Théopolitique
Le Vatican et
l'avenir de la pensée politique mondiale
Manuel
de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 2 novembre 2013
Présentation
Une grande majorité
des internautes qui m'écrivent
approuvent l'insistance avec laquelle,
depuis le mois de juin, j'estime que M.
Vladimir Poutine et le pape François se
placent au cœur de l'histoire mondiale.
Le 30 octobre, Forbes, qui établit
chaque année un classement devenu
officiel des personnalités dominantes de
la planète , accorde le premier rang à
M. Vladimir Poutine et, tout de suite,
après le trio des Etats-Unis , de la
Russie et de la Chine, à un nouvel
arrivant dont l'autorité sur la scène
internationale n'est autre que celle du
pape François.
L'un des évènements
les plus extraordinaires et, il faut
bien le dire, les plus incroyables de ce
début du IIIe millénaire aura été le
retour torrentiel sur le théâtre du
globe terrestre d'une Eglise de plus en
plus marginalisée dans l'enceinte de
tous les Etats démocratiques depuis la
loi de 1905, qui a déclenché la
laïcisation accélérée d'une civilisation
mondiale censée avoir substitué la
liberté terrestre à la liberté de la foi
selon Saint Paul. Jamais, même sous
Dioclétien ou Constantin, la religion
fondée sur la divinisation d'un supplice
sacrificiel perpétré sur le bois d'une
potence n'avait guidé l'empire romain
agonisant. Assistons-nous au passage du
sceptre de la raison politique des mains
des défenseurs d'une religion de la
Liberté humaine à celle d'une classe
dirigeante un peu plus éclairée sur la
barbarie nouvelle de la planisphère qui
substitue désormais à la colonisation
armée de la mappemonde, un crime inconnu
des ancêtres , celui de la
strangnulation économique d'un peuple de
quatre vingt cinq millions d'habitants :
l'Iran héritier des Darius et des
Artaxerxès?
Certes, la
domination sauvage des puissants sur les
faibles et des vainqueurs sur les
vaincus faisait l'histoire du monde
depuis des milliers d'années ; mais qui
aurait seulement imaginé qu'une religion
des valeurs morales fondées sur les
droits innés du genre humain ne courrait
pas à toute allure vers le bonheur
universel, parce que les auréoles des
idéalités manqueraient de carburant
surnaturel?
Dans le texte
ci-dessous, j'ai tenté de
spectrographier les promesses de
l'éthique internationale dont l'Eglise
ne tient pas encore les cartes en mains
, parce qu'une religion n'apprend pas
tout subitement à porter un regard
d'anthropologue sur la barbarie du Dieu
des théologiens. Mais le pape François
est déjà devenu un acteur immense du
monde contemporain, parce que l'âme et
la raison à la peine sur notre astéroïde
ne reposent pas sur une cargaison de
dogmes intouchables, mais sur des
témoins respirants de l' "esprit".
Malraux ne
renvoyait en rien à l'Eglise quand il
disait : " Le XXIe siècle sera spirituel
ou ne sera pas ". Qu'est-ce que le "
spirituel " ?
|
1 - Une nouvelle
intelligentsia mondiale
2 - L'Eglise et la raison
politique
3 - Le péché de candeur
4 - L'anthropologie scientifique
et le mythe de la révélation
5 - L'Eglise et le trépas des
utopies
6 - Un cas d'école
7 - La chute d'Achille dans le
fantasmagorique
8 - Qu'est-ce que le génie
politique?
9 - Les nouveaux lunetiers de la
mort
|
1 - Une nouvelle
intelligentsia mondiale
Il est paradoxal
d'imaginer que, trois siècles après
Voltaire, ce serait au sein de l'Eglise
et, plus précisément, à la tête même de
la religion catholique que l'avant-garde
de l'intelligentsia politique mondiale
trouverait les promesses d'une écoute.
Bien plus, qui aurait cru que le nouveau
Vatican deviendrait l'interlocuteur le
plus attentif aux progrès de la
connaissance rationnelle du genre
humain, parce qu'il rénoverait la
méthode historique superficielle qui
ridiculise la science officielle de la
mémoire du monde depuis un siècle et
demi? Ce prodige culturel s'expliquerait
pourtant par vingt siècles d'expérience
secrète des Etats dont bénéficie le
Saint Siège et que nulle autre autorité
politique ne saurait égaler: deux
millénaires de documentation
anthropologique cachée à une Clio
puérile ont armé la Curie romaine d'une
lucidité et d'un pessimisme à toute
épreuve. Les intellectuels laïcs ont à
en prendre de la graine, et cela
nullement parce que François est devenu
une star mondiale aux yeux d'une
jeunesse de plus de dix millions de "followers",
mais, tout au contraire, parce queson
grand âge illustre l'analyse de Platon
dans La République, qui explique qu'il
faut attendre deux générations après la
défaite militaire d'une nation pour
qu'elle retrouve son courage et sa
lucidité. La Libération est désormais
ressentie comme le déclencheur de
l'éjection du Vieux Continent de l'arène
de l'histoire. C'est pourquoi la
troisième génération des vaincus trouve
ses guides intellectuels et politiques
chez les septuagénaires et les
octogénaires, tandis que les phalanges
de la raison nées entre 1950 et 1970 se
révèlent endoctrinées par les
ressassements stériles d'un désastre.
Jean Paul II, né en
1920 savait encore que la chute du
socialisme serait nécessairement suivie
de l'échec aggravé du capitalisme
mondial. Pas un instant il n'a cédé à
l'euphorie qui a embrumé l'encéphale du
monde entier à la suite de la chute du
mur de Berlin. Mais seule une poignée
d'intellectuels nés entre 1920 et 1930
ont compris la portée du jugement de
Cicéron: "Exsistit e rege dominus, ex
optimatibus factio, e populo turba et
confusio" - "La royauté conduit au
despotisme, l'oligarchie au règne d'une
faction, le peuple à la chienlit".
En revanche, les
hauts dignitaires de l'Eglise savent
depuis des siècles qu'à l'opposé des
fourmis et des abeilles, les évadés du
règne animal sont ingouvernables sur la
longue durée et que, de siècle en
siècle, la raison politique se trouve
alertée et sur pied de guerre non point
seulement afin de combattre des
décadences en chaîne, mais des naufrages
successifs. De plus, l'Eglise sait que
l'identité d'un troupeau de bœufs se
reconnaît au seul nom de son
propriétaire, tandis que l'identité des
peuples et des nations ressortit à
l'inventaire du patrimoine d'une
divinité. Elle sait également que le
troupeau choisit son propriétaire
céleste, le peint à son image et en
dresse le portrait. Aussi Rome
expose-t-elle une galerie d'encéphales
d'Adam dont l'intelligentsia prospective
du IIIe millénaire ne cessera de
décrypter les armoiries. Les ultimes
secrets des pavanes de l'histoire et de
la politique sous le soleil se
trouveront progressivement décodés à
l'école des déchiffreurs à venir de la
succession des pavois théologiques
auxquels notre espèce s'est livrée. Ce
sera à l'école du réalisme politique le
plus sûr, celui dont les archives de la
foi conservent le trésor, que
l'anthropologie iconoclaste s'initiera à
la lecture des documents secrets en
possession de l'interlocuteur le plus
lucide du genre humain .
2 - L'Eglise et
la raison politique
Prenons un seul
exemple du quasi monopole de la lucidité
anthropologique dont témoigne une
papauté paradoxalement demeurée juvénile
face aux défaussements narcissiques que
les piétés collectives présentent sur le
théâtre du monde. Il est évident
qu'Israël est un quinquagénaire déphasé
et qu'il a grand besoin de faire preuve
de constance dans l'étalage de ses
dévotions sur la scène internationale.
Ce sera donc au nom d'une Liberté et
d'une Justice universelles et
catéchisées que cet Etat fera sans cesse
appel à la conscience de soi édénisée
que tout le genre humain sera censé
partager face à la menace militaire de
l'Iran. Mais tout le monde sait que deux
Etats armés de la foudre de l'apocalypse
se neutralisent réciproquement sur les
planches de l'histoire et que tel est le
fondement anthropologique planétaire de
la stratégie de la dissuasion vertueuse.
Voir : Trois textes
sur la dissuasion nucléaire que j'ai
publiés dans la revue Esprit,
présentation mise en ligne le 1 er
septembre 2005
Le dissuadeur dissuadé,
Esprit, novembre-décembre
1980
Critique de la dissuasion,
Esprit, juin 1979
La crédibilité de la dissuasion
nucléaire, Esprit,
novembre 1977
Or, David dispose
de cent quatre vingt cinq frondes
atomiques et le Goliath de Téhéran
d'aucune. La menace s'exerce-t-elle du
faible au fort ou du fort au faible?
3 - Le péché de
candeur
Aussi les phalanges
originelles des Pères de l'Eglise
n'ont-elles pas attendu Molière pour
découvrir à quel point le dédoublement
confortable de la sainteté entre le ciel
et la terre fait tomber les théologies
banalisées dans un péché originel
biface. Toutes les religions qui se
savent perfectibles connaissent la
sclérose des auréoles de l'angélisme, et
le christianisme de paroisse est le
principal otage des défaussements de la
foi sur un apostolat de façade. Mais qui
d'autre que l'Eglise de François armera
la naïveté des intellectuels laïcs d'un
réalisme politique guéri de ses
illusions les plus infantiles? Car le
tartuffisme confessionnel de type
démocratique s'est calqué sur les
masques sacrés d'une Eglise confite en
dévotions. Les Etats modernes se sont
bien vite revêtus de la chasuble des
idéalités de 1789. Comment se fait-il
que le rationalisme énergique, mais en
apprentissage du XVIIIe siècle n'ait pas
gagné en profondeur au sein de la
politologie pseudo-scientifique
mondiale, sinon parce que la raison
adolescente dont le mythe de la Liberté
rédemptrice des modernes nourrit ses
candeurs s'est révélé aussi faussement
séraphique que le confessionnalisme
bourgeois d'autrefois?
Mais il se trouve
que le pape François a fait un pas de
plus - et sans doute le plus décisif -
dans la dénonciation d'une histoire des
religions masquée et truquée à l'usage
des nourrissons; car il a refusé tout
net de recevoir M. Netanyahou. Serait-ce
parce que ce dernier a traité le Vatican
avec une désinvolture diplomatique
affichée? On ne rend pas visite au Saint
Père en passant et seulement à
l'occasion d'une rencontre programmée
depuis longtemps avec le chef du
gouvernement italien. Mais le nouveau
Vatican fait débarquer dans l'histoire
du monde une connaissance
psychobiologique de la géopolitique: le
regard d'anthropologue abyssal que
l'Eglise porte secrètement sur la
conscience superficielle et spéculaire
d'une humanité de nouveau-nés dresse le
portrait d'une espèce viscéralement
onirique et dont le miroir des
théologies réfléchit depuis deux
millénaires la dichotomie cérébrale
apeurée.
4 -
L'anthropologie scientifique et le mythe
de la révélation
Mais le réalisme du
spéléologue que le regard trans-zoologique
de la foi religieuse porte sur la
crudité de la politique semi animale
d'Adam étoffe également le récit biaisé
et paniqué que le défaussement dévot de
la bête tente de voiler. La haute classe
dirigeante d' Israël sait fort bien que
l'Iran n'est coupable que d'un seul
forfait, mais irrépressible, celui de se
trouver à tel endroit précis du globe
terrestre. Elle n'ignore pas non plus
que, depuis trois millénaires, la
science historique réfléchie enseigne
que le destin des nations et des empires
est commandé par un défi inhérent à ce
type impardonnable de face à face entre
les Etats. Thémistocle passe deux ans à
Sparte: il feint de négocier avec la
cité de Lycurgue, alors qu' il s'agit
seulement de permettre à Athènes de
s'entourer de murailles à l'insu de
Lacédémone. Trois siècles plus tard,
c'est avec un grand retard que l'empire
athénien découvre le scandale de
l'ascension patiente et continue de Rome
à l'ouest. Puis la ville éternelle
mettra longtemps à comprendre que le
commerce maritime avec la Phénicie passe
par la conquête de la Sicile et que "Carthago
delenda est".
L'Espagne dévote de
Charles-Quint découvrira que
l'Angleterre n'a aucune raison légitime
de se dresser effrontément aux côtés de
l'empire des conquistadors, puisqu'elle
porte ombrage à sa tiare. Puis, Napoléon
découvrira que la France ne saurait
régner sur le Continent face au
souverain de toutes les mers du globe.
Quant à la Grande Bretagne
d'aujourd'hui, elle sait, depuis Jules
César, qu'elle ne saurait tolérer
l'unification pécheresse d'un Continent
face à ses rivages. La voici rassurée:
cette unification périlleuse pour son
identité insulaire ne se fera jamais -
inutile de combattre des moulins à vent.
5 - L'Eglise et
le trépas des utopies
Les hauts
dignitaires d'Israël, en revanche, se
savent piégés par la religion
actuellement culpabilisante sur toute la
mappemonde et qui répand partout le
venin de ses songes vaporeux - ceux des
droits d'un homme universel, donc
schématisé, mais flanqué en tous lieux
d'une théologie abstraite de la
décolonisation mondiale. Or, cet Etat en
expansion n'a pas achevé la conquête de
son territoire biblique. Depuis trois
quarts de siècle, il combat d'estoc et
de taille en Cisjordanie et à Jérusalem
afin d'en expulser manu militari
la population autochtone qui
l'empoisonne et d'y imposer la
domination exclusive du glaive de son
ethnie messianique.
Mais qui se trouve
le mieux armé pour peser l'échiquier des
rêves eschatologiques à la lumière d'une
anthropologie de spéléologue du sacré,
sinon, comme il est dit plus haut, le
théologien des alliances en profondeur
de la sotériologie chrétienne avec la
politique? Seul le mythe du salut permet
de braquer sur le bimane détoisonné le
télescope des paradis verbifiques dont
se nourrit la politique des démocraties
infernales. On sait qu'avec Jean Paul II
l'Eglise était déjà devenue discrètement
suspecte de darwinisme et qu'elle voyait
dans l'évolutionnisme "bien davantage
qu'une hypothèse", parce qu'une
humanité en marche vers le ciel répond
au fondement même de la vie mystique:
depuis les origines, celle-ci met
l'histoire du salut à l'écoute d'une
annonciation progressive. L'Eglise
sommitale a perdu ses illusions
politiques dès le premier siècle. Mais
elle sait qu'un animal évolutif, donc
inachevé par définition a placé ses
neurones à des altitudes variables entre
le réel et l'utopie et qu'il s'agit de
fabriquer la balance nécessaire à la
pesée d'une bête en suspension
germinative dans le néant.
6 - Un cas
d'école
Bien plus, depuis
Jean Paul II, une alliance souterraine
de l'intelligentsia ecclésiale
d'avant-garde, d'un côté, avec, de
l'autre, le "clergé" sommital de la
raison scientifique fournit à l'Eglise
en marche de François les armes
nouvelles d'une simianthropologie
critique. Une politologie mondiale du
bébé humain se trouve en cours
d'enrichissement cérébral dans les
profondeurs de notre civilisation, parce
qu'Israël présente désormais un cas
d'école à l'examen spectral de cette
discipline au berceau: pour la première
fois au monde, un Etat réputé rationnel,
donc doté d'une raison encore infirme,
se voit contraint de s'armer d'un
tartuffisme politico-religieux
internationalisé et étalé sans relâche,
en raison de la nécessité absolue dans
laquelle il se trouve de se fonder sur
une foi démocratique plus planétarisée
qu'aucune religion du passé. Mais, dans
le même temps, il s'agit, plus que
jamais, d'une rivalité politique
inscrite dans le temporel depuis qu'il
existe des Etats et des peuples
ambitieux de s'accroître. La haute
classe dirigeante d'Israël sait fort
bien que son hégémonie locale au Moyen
Orient n'est pas moins incompatible sur
le long terme avec l'existence d'un Iran
puissant et en devenir que l'Angleterre
de Wellington ne pouvait partager
"équitablement" l'empire de Neptune avec
la France du Ier Empire ou l'Amérique
d'aujourd'hui se réjouir de l'ascension
irrésistible de la Russie de la Chine,
de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du
Sud.
Le sceptre du monde
ne se partage pas. Mais, en raison de sa
taille, Washington peut encore s'offrir
le luxe de se rendre crédible sur les
deux fronts, celui de sa piété
démocratique et celui de sa vocation
impériale, tandis qu'Israël n'est pas
d'une stature suffisante pour brandir
efficacement ses bénitiers: sitôt que ce
nain tire son épée du fourreau et se
campe en matamore sur le champ de
bataille de l'histoire de la planète,
tout le monde lui glisse à l'oreille:
"Ne serais-tu pas exclusivement la
victime pitoyable de l'holocauste, le
crucifié immémorial sur la potence de
l'histoire du monde , le Christ nouveau
et universel de l'humanité?"
7 - La chute
d'Achille dans le fantasmagorique
Israël s'affole:
Netanyahou déclarait tout de go dans le
Monde que la future bombe
atomique de l'Iran menacerait de
pulvériser non seulement son pays, mais
Paris, Berlin, Londres ou Rome et qu'il
était mortifère de remettre l'arme de
l'apocalypse terminale entre les mains
d'un tueur-né, parce que, dans ce cas,
la survie même de tout le genre humain
dépendrait des caprices d'un dément
incurable . Tel-Aviv déclarait en outre
que tous les Etats du globe peinent sang
et eau à augmenter la radioactivité de
l'uranium afin de porter l'évaporation
naturelle de cette matière à la "masse
critique" qui permettra de la faire
exploser, tandis que l'Iran serait
capable de vaporiser la mappemonde dans
les plus hautes régions de l'atmosphère
avec de l'uranium enrichi seulement à
3,5%. Comment expliquer la pathologie
cérébrale qui rend incontrôlable
l'encéphale délirant d'une humanité
encore en bas âge et reléguer dans le
bucolique les rêveries guerrières, mais
contagieuses dont s'enflaient les
cosmologies mythiques des premiers
millénaires?
Mais tout se tient.
Si la conque osseuse de l'Europe de la
raison ne se trouvait pas contaminée par
l'épidémie du fabuleux nucléaire, Israël
ne pourrait se livrer à une
fantasmagorie gesticulatoire. N'est-il
pas hallucinant que les plus vieilles
nations du Continent d'Archimède et de
Copernic rivalisent dans le ridicule de
s'exercer, chacune pour son compte et
sur ses lopins à des manoeuvres
militaires exclusivement cérébrales? Le
Ministre allemand de la défense, M. de
Maizières, se frotte les mains: il
aurait consolidé, dit-il, le rang de
Berlin au sein d'une Alliance résignée à
se trouver privée d'ennemis et dont le
commandement pseudo salvifique se trouve
entièrement entre les mains d'un galonné
américain.
La logique interne
d'une humanité redevenue aussi onirique
qu'au Moyen Age conduit à l'émergence du
plus vassalisé des Etats: le prestige du
miraculé de première classe appartient,
depuis soixante-dix ans, à une Allemagne
domestiquée par le bivouac de deux cents
bases militaires de l'étranger campées
sur son sol. Il est normal que la masse
la plus nombreuse des valets conquière
une hégémonie de marionnette militaire
au détriment de sa compagne d'infortune,
la Gaule, qui a perdu l'avantage de
prêter son territoire aux garnisons de
l'étranger. Certes, la France s'est
placée derechef sous le joug dont elle
s'était libérée en 1966. Mais, sur le
terrain, elle n'est plus attelée au char
du triomphateur de 1945. Raison de plus
pour qu'elle retrouve le sens rassis et
qu'elle apprenne à décrypter les
mécanismes psychiques délirants, mais
guérissables qui commandent le
fonctionnement mental d'une scolastique
politique débile.
Comment se fait-il
que les guerriers nouveaux de
l'imagination para religieuse de
l'humanité invoquent le plus
sérieusement du monde et avec des mines
sévères de stratèges avertis la
"capacité de réaction" rapide de leurs
légions face à une attaque ennemie qui
surgirait de nulle part? Où le champ de
bataille se trouve-t-il si l'ennemi à
combattre se révèle aussi verbifique que
Lucifer dans les boîtes osseuses du
Moyen Age ? Mais la Turquie ayant fait
mine d'acheter des armes moins coûteuses
à la Chine, Washington a bondi comme le
diable de sa boîte: les apôtres d'une
sophistique universelle et vaporisée ont
l'obligation de ne se présenter qu'à un
guichet hors de prix et de ne remplir
qu'une seule caisse, celle de
l'Amérique, parce que le ciel de la
démocratie idéale n'a qu'un seul coffre
à remplir et un seul fabricant d'armes à
rémunérer.
8 - Qu'est-ce que
le génie politique?
Pour comprendre le
fonctionnement cérébral des nains de la
politique internationale
tridimensionnelle, il faut méditer la
portée anthropologique de la remarque
d'Einstein, qui disait aux physiciens de
son temps qu'ils connaissaient la
physique sur le bout des doigts, mais
qu'ils n'avaient aucune compréhension du
génie. C'est que, pour bousculer les
notions d'espace et de temps et pour
mettre l'univers cul par-dessus tête, il
faut renverser la table de jeu de la
raison combinatoire et changer tout l'
échiquier d'Euclide et d'Archimède.
Le petit homme
d'Etat est un caissier: le nez sur ses
dossiers, il connaît les paramètres à
appliquer au traitement bon marché des
affaires les plus courantes. Il s'agit
de régenter l'équilibre des forces et
des comptes sur la route des Etats. M.
Sarkozy demandait: "Si Israël attaque
l'Iran, qu'est-ce qu'on fait?". A
son tour, M. Hollande contemple une
châsse, celle qu'on appelle "l'équilibre
des forces aux Moyen Orient".
Le petit homme
d'Etat fait ses additions et ses
soustractions. Cet arithméticien de
l'histoire ne sait pas que le monde se
trouve perpétuellement en mouvement et
il ignore où il se rend de ce pas. Un
vrai chef d'Etat européen saurait que la
question de l'illégitimité fondamentale
de l'occupation militaire perpétuelle du
Vieux Monde par les troupes d'occupation
d'une puissance étrangère est un
propulseur de la révolte dont il
entendrait vrombir le moteur et dont les
pistons poseront inévitablement aux
démocraties de ce continent le problème
de leur survie politique. La France
jouerait un rôle immense dans le monde
actuel si elle s'était engagée sur le
chemin de la logique qui commande
l'histoire universelle. Mais, pour cela,
il aurait fallu atteler au timon des
affaires un chef d'Etat informé de ce
qu'on ne négocie pas à armes égales avec
une puissance commerciale dominante,
sinon elle qualifiera de négociation
des pourparlers condescendants avec des
subalternes dont elle prendra sans
tarder le commandement.
Certes, l'Europe en
marche vers sa souveraineté aurait subi
de lourdes rétorsions économiques de son
maître si elle avait placé des chefs
d'Etat à sa tête, mais l'élan de ses
exportations aurait été irrésistible,
parce que le prestige politique
s'attache à l'indépendance des Etats et
le commerce ne fait jamais que drainer
après coup des écus dans l'éclat des
armes qui précède le charroi des
marchandises. Mais la fortune sourit aux
audacieux: voici que de petits cailloux
dans les chaussures du géant entravent
son expansion sur toute la terre
habitée.
Car si l'Amérique
cesse de placer ses vassaux sur écoutes,
elle renonce à ses ambitions d'empire,
ce qui lui est bien impossible, et si
elle persévère, elle perdra plus
lentement, mais non moins
irrévocablement son statut de pieuvre
dominante de la planète, parce que
personne ne croit que les affranchis
enrubannés pourront se savoir écoutés
sans se ridiculiser sans cesse davantage
aux yeux de leur propre nation. Petites
causes, grands effets, dit la sagesse
populaire. Elle a tort: les petites
causes ne sont jamais que des rejetons
des grandes, mais leur minusculité
permet de porter le regard sur
l'histoire des vaines chamarrures des
esclaves.
9 - Les nouveaux
lunetiers de la mort
Pourquoi les Etats
démocratiques de l'Europe encore
qualifiés de souverains, mais seulement
du bout des lèvres, n'ont-ils pas d'yeux
pour les cinq cents gigantesques
forteresses américaines qui campent le
plus bibliquement du monde sur leurs
lopins? Parce que, dans ce cas, Israël
se trouverait réduit à invoquer à
l'écart du troupeau la menace atomique
imaginaire dont l'Iran est censé menacer
son apostolat . Il faut donc que
l'Europe se dévoue à porter le harnais
du mythe-alibi de la planète des
sauvages du XXIe siècle. Mais, encore
une fois, qui donc, à l'exception de
l'Eglise romaine, expliquera jamais aux
Etats devenus soi-disant rationnels à
l'école de leurs idéalités de 1789 le
fonctionnement viscéral d'une espèce
censée placée sur écoutes depuis les
origines du monde et dont un créateur du
cosmos aux longues oreilles écouterait
les conversations?
Faute d'un
décryptage anthropologique des
téléphones cosmiques, dont la
fabrication qui remonte à la Genèse, une
humanité devenue onirique à titre
atavique demeurerait à jamais
indéchiffrable, parce que
l'asservissement cérébral d'une Europe
mythologisée dans l'inconscient sur le
modèle vétéro-testamentaire demeurerait
purement et simplement incompréhensible
à elle-même. Les dossiers ne portent pas
de regard sur eux-mêmes, dit Einstein,
fort médiocre physicien classique, mais
génial regardant.
Certes, on
n'élèvera pas l'Eglise tout entière et
d'un seul coup au rang d'un pédagogue de
la classe dirigeante mondiale - mais le
globe oculaire qui observera la cécité
édénisée de l'humanité naîtra dans
l'Eglise de François et de ses
successeurs, parce que seuls les deux
mille ans d'expérience de l'histoire et
de la politique catéchisée dont dispose
le clergé catholique permettraient dès
aujourd'hui à des iconoclastes
ecclésiaux d'élargir le champ de vision
d'une phalange de croyants aux yeux
isaïaques.
Quelle tâche plus
digne du réalisme sacerdotal de demain
que de percer les secrets théologiques
de la bête frappée de cécité par le
fabuleux cérébral qui nourrit le sacré
et qui lui interdit de regarder du
dehors la divinité censée jouir du
monopole de l'extériorité! Mais comment
se fait-il que la "raison" des nains de
la politique enfante des religions
infantiles, mais autrefois reléguées
dans l'au-delà des Pygmées?
Puisque la bête
dichotomisée de naissance reproduit le
modèle politique de son ciel schizoïde,
puisque l'animal bipolaire est appelé à
doter un géant du cosmos du recul
intellectuel d'Adam, puisqu'enfin
l'envers de l'idole construite sur le
modèle d'un réseau téléphonique révèle
les secrets de la liberté cérébrale de
la créature, puisse le Vatican éclairer
un jour l'histoire du cerveau humain à
une profondeur inconnue des anciens
lunetiers de la mort. .
Reçu de l'auteur
pour publication
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