Syrie
L'Italie aussi est
en guerre contre la Syrie
Manlio
Dinucci
Mardi 27 août 2013
Alors que le ministre Emma Bonino assure
d’un ton tranquillisant que l’Italie ne
participera pas à l’opération militaire
contre la Syrie sans mandat ONU, le
grondement de la guerre résonne déjà sur
Pise : ce sont les C-130 italiens, et
probablement aussi étasuniens, qui ont
intensifié les vols vers les bases
méditerranéennes. L’aéroport –où on est
en train de réaliser le Hub
aéroportuaire de toutes les missions
militaires à l’étranger, mis également
« à la disposition de l’OTAN »- se
trouve dans les environs de Camp Darby,
la grande base logistique étasunienne
qui approvisionne les forces aériennes
et terrestres dans l’aire
méditerranéenne et moyen-orientale.
Comme preuve de la volonté de
paix du gouvernement italien, le
ministre Bonino annonce que le 4
septembre se réunira le groupe des
« Amis de
la Syrie » (celui qui
soutient les « rebelles » et donc la
guerre intérieure), auquel participe
l’Italie avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Arabie saoudite,
qui s’apprêtent maintenant à frapper la Syrie même de l’extérieur.
Bonino oublie la rencontre qui a eu lieu
le 27 août à Istanbul (rapportée par
Reuters), dans laquelle les « Amis »
ont communiqué aux « rebelles » que
l’attaque pourrait avoir lieu dans
quelques jours.
Le gouvernement n’explique pas
pourquoi l’Italie a envoyé le chef
d’état-major à la réunion, convoquée par
le Pentagone en Jordanie les 25-27 août,
à laquelle ont participé les chefs
militaires des USA, Grande-Bretagne,
France et Arabie saoudite, qui préparent
l’attaque contre
la Syrie. Pendant
ce temps un porte-parole du ministère de
la défense, cité par la presse
étasunienne, explique que les bases
aériennes et navales italiennes
pourraient être utilisées pour l’attaque
contre la Syrie avec le consensus du parlement, non
nécessaire par contre pour les bases
étasuniennes comme Camp Darby ou
Sigonella (Sicile). Le ministre de la
défense Mauro laisse la porte ouverte à
la participation directe de forces
italiennes, en affirmant que le
gouvernement donnera « sûrement son
assentiment aux orientations qui sont
celles de la communauté
internationale ». C’est-à-dire de l’OTAN
qui tient aujourd’hui une « réunion
d’urgence » sur la Syrie, pour épauler l’attaque même sans intervenir
pour le moment en tant que telle comme
elle avait fait en Libye.
Selon
Il Sole 24 Ore d’hier, « les bases
italiennes sont superflues » car les
raids seront limités dans le temps,
effectués avec des missiles lancés des
navires et vélivoles, et que les avions
n’auront pas besoin de bases avancées.
Tous éléments qui « semblent exclure un
rôle même marginal de l’Italie ». En
réalité c’est encore l’Italie qui est
base de lancement de la guerre. Les
opérations contre
la Syrie, comme celles
contre la Libye en 2011, sont dirigées
depuis Naples, où se trouve le
commandement des Forces navales USA en
Europe, comprenant la Sixième Flotte,
aux ordres d’un amiral étasunien qui
commande en même temps les Forces
navales USA pour l’Afrique et les Forces
conjointes alliées.
C’est donc de Naples que
partirait l’ordre d’attaquer
la Syrie depuis
la Méditerranée
orientale. C’est là, à distance
rapprochée (environ 200kms) de Damas et
d’autres objectifs, que sont déployés au
moins quatre contre-torpilleurs
lance-missiles : le Barry et le Mahan,
déjà utilisés dans l’attaque contre la Libye, le Gravely et le
Ramage. Ils peuvent lancer des centaines
de missiles Cruise, qui, en survolant à
basse altitude le profil du terrain,
frappent l’objectif avec des têtes
pénétrantes ou à fragmentation (chacune
avec des centaines de munitions),
contenant de l’uranium appauvri. On a
aussi sûrement déployé des sous-marins,
comme le Florida, d’attaque nucléaire,
armé, au lieu de 24 missiles
balistiques, de plus de 150 missiles
Cruise. Dans la seule nuit du 19 mars
2011, il en lança 90 contre
la Libye
(en
pleine nuit, de quoi rassurer la
population sur notre « responsabilité de
[la] protéger », NdT). Le
déploiement comprend aussi le groupe
d’attaque du porte-avions Harry Truman
(doté de 90 chasseurs-bombardiers),
comprenant deux croiseurs et deux
contre-torpilleurs lance-missiles, que la Sixième Flotte a transféré en
Mer Rouge, aire de la Cinquième Flotte.
S’ajoutent à tout cela les unités
navales alliées, dont peut-être le
porte-avions français Charles de Gaulle.
En soutien de ce déploiement se
trouve la base navale (étasunienne) de
Sigonella, spécialisée dans
l’approvisionnement de
la Sixième Flotte
et dotée d’avions USA et OTAN de tous
types, dont les espions
Global Hawks. La base, où sont
cantonnés 7mille militaires
(étasuniens), constitue pour le
Pentagone « le centre stratégique de
la Méditerranée ».
Cette base et quelques autres, comme
celle d’Aviano (région Frioul), ne
pourraient pas fonctionner sans le
support des forces et infrastructures
italiennes.
L’Italie n’a donc pas à attendre
le mandat ONU pour participer à cette
nouvelle guerre sous commandement du
Pentagone.
Edition de jeudi 29 août 2013 de
il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20130829/manip2pg/02/manip2pz/345061/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Apostille de la traductrice pour la
version francophone (avec l’accord de
l’auteur) : qui est Emma Bonino ?
Rappel :
« Bonino, souligne-t-on à Washington,
est une ancienne élève du Département
d’Etat, auprès duquel elle a suivi un
cours de formation (International
Visitor Leadership Program). Brillante
élève. Elle a soutenu les bombardements
de l'OTAN contre l'ex-Yougoslavie, puis
la guerre en Afghanistan, en déclarant
qu’ « on ne peut pas parler
d’occupation : il y a ici une force
multinationale » et qu’ « une occasion
militaire peut conduire à la
démocratie » ; elle a accusé Gino Strada
(chirurgien, fondateur et président
d’Emergency, organisation d’aide
médicale et humanitaire véritablement
indépendante, NdT), d’ « attitude
ambiguë, entre l’humanitaire et le
politique ». Elle a soutenu la guerre en
Irak, affirmant qu’« il n’y avait pas
d’alternative pour renverser le réseau
terroriste » après le 11 septembre et
elle a qualifié d’ « irresponsables »
les manifestants contre la guerre. Et,
en habit de vice-présidente du sénat
italien, elle a été parmi les plus
ardents défenseurs de la guerre contre
la Libye, en demandant
en février 2011 la suspension du traité
bilatéral car « il entrave les mains de
l’Italie pour porter secours à la
population civile », « secours » arrivé
immédiatement après avec les
chasseurs-bombardiers ».
(Rubrique de mardi 30 avril de
il manifesto)
Sachant qu’E. Bonino participe par
ailleurs activement aux réunions des
« Amis de la Syrie », que peut-on mesurer
dans ces déclarations : l’hypocrisie ou
les mensonges du gouvernement Letta ?
L’errance ou retour à la niche, pour le
moment, des « diplomates » de la
« communauté internationale » en
l’absence d’ordres clairs de la voix de
leur maître ?
Dans cette situation, sommes-nous fondés
à dire, pour reprendre une expression
citée par José Saramago, qu’ « ils
étaient allés chercher de la laine et
étaient revenus prêts à être tondus » ?
(Les
intermittences de la mort. Ed.
Seuil)
Le sommaire de Manlio Dinucci
Le dossier
Syrie
Les dernières mises à jour
|