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Mondialisation.ca
Égypte, pourquoi
c'est une révolte sociale
Manlio Dinucci
Mercredi 9 février 2011
« Les Etats-Unis sont en train de faire passer la stabilité
avant les idéaux démocratiques » : c’est ce qu’écrivait le New
York Times hier à propos de l’Egypte. Ils laissent donc «
l’espoir de changements pacifiques et graduels dans les mains
des fonctionnaires égyptiens, à commencer par Mr. Souleiman, qui
ont toutes les raisons de ralentir le processus ». Le secrétaire
d’Etat Hillary Clinton a clarifié ceci à la Conférence de Munich
sur la sécurité en déclarant que, en Egypte, comme dans d’autres
pays, les USA « soutiennent les institutions » et, en même
temps, sont « engagés à soutenir des organisations,
intellectuels, journalistes qui travaillent avec des moyens
pacifiques pour garder l’honnêteté du gouvernement».
Ceci confirme que Washington essaie de donner un visage «
démocratique » à un pays dans lequel le pouvoir continue à
s’appuyer sur les forces armées et dans lequel, surtout,
l’influence états-unienne reste dominante (cf. il manifesto du 6
février 2011). A Washington cependant, on fait ses comptes sans
l’hôte : des millions d’Egyptiens sont descendus dans la rue non
seulement contre Moubarak, mais contre l’injustice sociale que
son régime a imposé par la force.
En 1991, en échange de la remise d’une dette militaire de 7
milliards de dollars dus aux Etats-Unis, l’Egypte de Moubarak
accepta non seulement de participer à la guerre contre l’Irak
mais de réaliser un programme du Fond monétaire international,
fondé sur des mesures radicales de privatisation et de
déréglementation. Ceci a grand ouvert les portes de l’Egypte aux
multinationales, surtout états-uniennes et britanniques, en
provocant un endettement croissant du pays et un appauvrissement
de la population.
L’Egypte est un important exportateur de pétrole et de gaz
naturel (fourni aussi à Israël) : cela constitue, en valeur,
environ 50% de leur exportation. L’industrie énergétique
nationale est cependant fondamentalement aux mains des
compagnies occidentales (Bp, Shell, Eni et d’autres), qui en
tirent de grands profits en en laissant une partie à l’élite
locale. L’Egypte est aussi un important exportateur de produits
finis, qui représentent environ 40% des exportations, grâce à un
coût du travail parmi les plus bas du monde. Mais ce secteur
aussi est dominé, directement ou indirectement, par les
multinationales (General Motors, Volkswagen et autres).
Dans un tel contexte, malgré les exportations (directes)
croissantes, surtout vers les Etats-Unis et l’Italie, et les
fortes entrées dues au tourisme (environ 11 milliards de dollars
annuels), l’Egypte enregistre un déficit commercial qui a doublé
entre 2006 et 2010, dépassant les 25 milliards de dollars. La
dette extérieure a augmenté de façon parallèle, et dépasse les
32 milliards de dollars.
Bien que le PIB égyptien ait gardé un fort taux de croissance
(5-6 % annuels), la majeure partie de la population, surtout
dans les zones rurales, vit dans des conditions de pauvreté ou
en tous cas de graves restrictions économiques, accrues par un
taux d’inflation qui dépasse les 10% annuels. Selon des
estimations approximatives, environ 40% de la population (qui
avoisine les 85 millions d’habitants) se trouve dans des
conditions de pauvreté et, dans celle-ci, environ 20% en extrême
pauvreté. Ce qui signifie qu’il y a au moins 35 millions de
pauvres en Egypte.
Les conditions d’habitation sont un bon exemple des écarts
socio-économiques. Dans le Nouveau Caire, la ville satellite de
la capitale, on construit pour l’élite au pouvoir d’autres «gated
communities» : zones résidentielles luxueuses dans des enceintes
surveillées par des gardes armés, aux noms suggestifs comme «
Beverly Hills », « Mayfair » et « Le Rêve », avec des villas
d’un million de dollars, piscines et terrains de golf. En même
temps, la majeure partie de la population du Caire vit amassée
dans des habitations délabrées et, à quelques dizaines de
kilomètres de la capitale, les familles paysannes vivent dans
des cabanes de boue.
Dans les traces des antiques despotes, le nouveau « pharaon »
Moubarak (dont la richesse se monte à des dizaines de milliards
de dollars, déposés en grande partie à l’étranger) distribue le
pain au peuple, sous forme de subsides pour en abaisser le prix,
mais qui augmente la dette extérieure égyptienne payée elle
aussi, directement ou indirectement, par la population pauvre.
C’est ce système de pouvoir que les Etats-Unis entendent
conserver, pour garder l’Egypte dans leur sphère d’influence, en
faisant qu’un jour Moubarak se retire (avec une pension dorée).
Ainsi, dans une Egypte contrôlée par les hautes hiérarchies
militaires, ce seront les « démocrates » formés et financés par
Washington qui « travailleront avec des moyens pacifiques pour
garder l’honnêteté du gouvernement».
Il manifesto, 9 février 2011
http://www.ilmanifesto.it/il-manifesto/in-edicola/numero/20110209/pagina/01/pezzo/296821/
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Manlio Dinucci est géographe.
© Droits d'auteurs Manlio Dinucci,
Il manifesto, 2011
Publié le 10 février 2011
Le dossier Egypte
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