Opinion
Ce dont l'Italie
doit vraiment avoir honte
Manlio
Dinucci
Samedi 5 octobre 2013
« Honte et horreur » : ce sont les
termes utilisés par le président de la
république Napolitano à propos de la
tragédie de Lampedusa. Ils devraient
plus exactement être utilisés pour
définir la politique de l’Italie à
l’égard de l’Afrique, en particulier de
la Libye d’où provenait
le bateau de la mort. Les gouvernants
qui aujourd’hui battent leur coulpe sont
les mêmes qui ont contribué à cette
tragédie, et à d’autres, des migrants.
D’abord,
le gouvernement Prodi, le 29 décembre
2007, souscrit l’Accord avec
la Libye de Khadafi
pour « faire obstacle aux flux
migratoires illégaux ». Puis, le 4
février 2009, le gouvernement Berlusconi
le perfectionne avec un protocole
d’application. L’accord prévoit des
patrouilles maritimes conjointes devant
les côtes libyennes et la fourniture à la Libye, de concert avec
l’Union européenne, d’un système de
contrôle militaire des frontières
terrestres et maritimes. On constitue à
cet effet un Commandement opérationnel
inter-forces italo-libyen.
La Libye
de Khadafi devient ainsi la frontière
avancée de l'Italie et de l’Ue pour
bloquer les flux migratoires d’Afrique.
Des milliers de migrants venant
d’Afrique sub-saharienne, bloqués en
Libye par l’accord Rome-Tripoli, sont
contraints de retourner dans le désert,
condamnés à une mort certaine. Sans que
personne à Rome n’exprime honte et
horreur.
On
passe ensuite à une page plus honteuse
encore : celle de la guerre contre la Libye. Pour
démanteler un état national qui, malgré
d’amples garanties et ouvertures à
l’Occident, ne peut plus totalement être
contrôlé par les Etats-Unis et par les
puissances européennes, garde le
contrôle de ses propres réserves
énergétiques en concédant aux compagnies
étrangères des marges de profit
restreintes, investit à l’étranger des
fonds souverains pour plus de 150
milliards de dollars, finance l’Union
africaine pour qu’elle crée ses
organismes économiques indépendants :
la Banque
africaine d’ investissement,
la Banque centrale
africaine et le Fond monétaire africain.
Grâce à un actif commercial de 27
milliards de dollars annuels et un
revenu par habitant de 13mille dollars, la Libye est avant la guerre le
pays africain où le niveau de vie est
les plus élevé, malgré les disparités,
et se trouve félicitée par
la Banque mondiale pour
« l’utilisation optimale de la dépense
publique, y compris en faveur des
couches sociales pauvres ».
Dans cette Libye environ un
million et demi d’immigrés africains
trouvent du travail.
Quand en mars 2011 commence la
guerre USA/OTAN contre
la Libye
(avec 10mille missions d’attaque
aérienne et de forces infiltrées), le
président Napolitano assure que « nous
ne sommes pas entrés en guerre » et
Enrico Letta, vice-secrétaire du Pd (Partito
democratico), déclare que « les
va-t-en-guerre sont ceux qui sont contre
l’intervention internationale en Libye,
et certainement pas nous qui sommes des
bâtisseurs de paix ». « Paix » dont les
premières victimes sont les immigrés
africains en Libye, qui, persécutés,
sont contraints de s’enfuir. Rien qu’au
Niger 200-250mille migrants reviennent
dès les premiers mois, en perdant la
source de revenus qui entretenait des
millions de personnes. Nombre d’entre
eux, poussés par le désespoir, tentent
la traversée de la Méditerranée vers
l’Europe. Ceux qui y perdent la vie sont
eux aussi des victimes de la guerre
voulue par les chefs de l‘Occident. Ces
mêmes gouvernants qui aujourd’hui
alimentent la guerre en Syrie, qui a
déjà provoqué plus de 2 millions de
réfugiés. Parmi lesquels certains
tentent déjà la traversée de la Méditerranée. Si
leur embarcation aussi coule, il se
trouve toujours un Letta prêt à
proclamer le deuil national.
Edition de samedi 5 octobre 2013 de
il manifesto,
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20131005/manip2pg/02/manip2pz/346736/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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