« Jaffa, la
mécanique de l'orange », de Eyal Sivan Luc Delval
Mercredi 21 avril 2010
Au début de janvier 1948, alors qu'avait débuté depuis
plusieurs semaines la guerre dont par la suite les sionistes
allaient s'échiner, non sans succès, à faire croire qu'elle
avait été déclenchée par les armées des pays arabes voisins
(lesquels en fait attendirent stoïquement pour réagir sans excès
d'enthousiasme qu'une moitié des villages palestiniens eussent
été attaqués, souvent pillés et leurs habitants parfois
massacrés), un attentat sanglant commis par l'Irgoun [1] eut
lieu à Jaffa : une bombe pulvérisa la "Maison Sarraya", le siège
du comité national palestinien local. Bilan de cet
attentat terroriste de l'Irgoun : 36 morts [2].
Bien avant déjà, c'est-à-dire avant même le vote par l'ONU de
sa résolution du 29 novembre 1947 prévoyant la partition de la
Palestine, la population arabe avait - notamment à Haïfa, dont
les maisons brûlaient et les écoles étaient dynamitées dans les
quartiers arabes - vécu dans une terreur grandissante à mesure
que le colonisateur britannique cessait de facto
d'assumer ses responsabilités et laissait le champ libre aux
milices sionistes.
Le ton des relations que les sionistes entendaient désormais
avoir avec les Arabes était dès ce moment donné. Depuis lors, il
n'a guère changé.
Peu après l'attentat de Jaffa, David Ben Gourion fit savoir à
ses troupes qu'il n'était plus nécessaire désormais, de faire de
différence entre «coupables» et «innocents».
Expression dont il définit par la suite ainsi le sens [2] : «Toute
attaque doit se terminer par l'occupation, la destruction et
l'expulsion».
Le chef du Palmah [4], Yitzhak Sadeh, qui reste un héros
légendaire aux yeux de beaucoup d'Israéliens, ajouta que c'est à
tort que les troupes sionistes s'étaient jusque là cantonnées à
des opérations de ″représailles″ (ce que d'ailleurs
elles ne faisaient nullement, le terme de ″représailles″ n'étant
déjà à l'époque qu'un de ces artifices de langage destinés à
tromper l'opinion mondiale et à ménager les dirigeants de pays
qui savaient se montrer d'autant plus compréhensifs et
faussement naïfs qu'ils ne souhaitaient en aucun cas accueillir
sur leur propre sol tous les Juifs que le mouvement sioniste
voulait attirer en Palestine). L'heure, disait-il, était venue
d'une offensive totale.
D'autres dirigeants sionistes déploraient, à cette époque, de
n'avoir pas ″utilisé correctement [leur] capacité
d'étrangler l'économie des Palestiniens″ (ils se sont
largement rattrapés depuis).
Et Yigal Allon, le second de Sadeh, critiquait ouvertement le
Conseil consultatif (sioniste) pour n'avoir par déclenché
explicitement une offensive massive dès le début de décembre : «Nous
devons effectuer une série de ″punitions collectives″, même s'il
y a des enfants qui vivent dans les maisons [attaquées]»
[3].
Un des modes opératoires favoris des commandos sionistes, à
l'époque, quand ils n'étaient pas occupés à empoisonner ou à
dynamiter les puits d'eau des villages arabes, était de faire
exploser des maisons de nuit, dans des villages arabes endormis,
sans juger utile ou convenable d'en faire sortir les habitants.
Ou encore, variante particulièrement plaisante aux yeux de ceux
qui s'y adonnaient, si les habitants étaient arrachés au sommeil
et chassés à l'instant de leurs maisons, c'était pour succomber
sous les rafales des mitrailleuses préalablement postées dans
les rues du village par les assaillants...
Jaffa était un enjeu. Economique, politique, symbolique.
C'est à deux pas de là, dans un immeuble de Tel Aviv baptisé "La
Maison Rouge" que se réunissait le Conseil consultatif sioniste,
où en dépit de son appellation, étaient arrêtées toutes les
décisions stratégiques, où s'élaboraient les plans de conquête
visant à s'approprier un maximum de territoire avec aussi peu de
population arabe que possible, débordant très largement des
limites fixées par la "plan de partage" onusien que les
dirigeants sionistes avaient feint d'accepter.
Le 13 février 1948 débuta l'offensive que Yagaël Yadin avait
mise au point. A Jaffa, des maisons furent choisies au hasard
puis dynamitées [6] avec leurs habitants (ensuite hâtivement
rebaptisés "combattants" par la propagande sioniste), selon une
technique déjà bien rodée un peu partout ert qui allait encore
beaucoup servir.
Jaffa fut la dernière ville palestinienne à tomber, le 13
mai, deux jours avant la fin du mandat britannique. 5.000
soldats de la Haganah et de l'Irgoun eurent raison de la
résistance des 1.500 volontaires alignés du côté arabe, qui
avaient résisté trois semaines durant [6].
Toute la population de Jaffa - 50.000 habitants qui
subsistaient après un premier exode - fut expulsée. Certains
furent littéralement poussés à la mer - ce qui n'est pas sans
rappeler un des slogans favoris des sionistes - quand les
expulsés s'entassèrent vaille que vaille dans des bateaux de
pêche beaucoup trop petits qui allaient les conduire vers Gaza,
tandis que les miliciens juifs tiraient au-dessus de leurs tête,
histoire de hâter le mouvement et de signifier clairement que
c'était un voyage "aller simple".
L'immense majorité d'entre eux, quelle que soit leur
appartenance de classe, de catégorie professionnelle ou de
religion, n'a jamais plus pu mettre les pieds à Jaffa.
Tout cela, et quantité d'autres crimes, eut lieu - il ne faut
pas se lasser d'y insister - avant qu'un seul soldat des
armées régulières arabes ne soit entré en Palestine.
Voilà donc le contexte du film que Eyal Sivan a consacré à
Jaffa : "JAFFA, LA MECANIQUE DE L'ORANGE". La
version proposée ci-dessous (faites l'impasse sur le petit laïus
creux d'introduction avant le générique) en trois tronçons, est
une version courte destinée à la télévision (52 minutes au
total), tandis qu'une version plus longue (90 minutes) devrait
apparaître sur quelques grands écrans qu'il convient de
favoriser.
[1] qui, avant comme après, en commit
beaucoup d'autres dans toute la Palestine, le plus célèbre étant
sans doute le dynamitage de l'Hôtel King David en juillet 1946
(91 morts), organisé sous la direction personnelle de celui qui
devint en 1977 le premier ministre d'Israël : Menahem Begin.
Menahem Begin qu'aujourd'hui le si rafiné Elie Barnavi -
archétype du sioniste humaniste, charmeur et raisonnable, bien
propre à convaincre l'Europe que comme la majorité des
Israéliens il n'aspire qu'à la paix - qualifie sans état d'âme
de "démocrate grand teint"
et de "parlementaire
irréprochable" ("Marianne" du
6/2/2010, p. 128). Ben Gourion, lui, refusait de prononcer son
nom et voyait en Begin "un
hitlérien type". Begin
fut aussi, en 1952, le commanditaire d'un attentat contre le
Chancelier allemand Adenauer.
[2] Ilan Pappé, "Le nettoyage ethnique de la Palestine" - Ed.
Fayard 2008, p. 89 à 92
[3] Ilan Pappé, op. cit, p. 97 - sur base des archives de Ben
Gourion
[4] Troupes de choc de la Haganah
[5] Ilan Pappé, op. cit, p.110
[6] Ilan Pappé, op. cit, p.143-145
[7] Environ 500 maisons de Jaffa furent détruites par les
conquérants sionistes - Ilan Pappé, op. cit, p.280
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