Syrie
Lavrov (et donc
Poutine) : « Bachar ne partira pas » !
Louis Denghien
Lavrov et
Brahimi viennent d’être attaqués par les
opposants de Doha, qui s’en étaient pris
déjà à l’administration Obama parce
qu’elle mettait à l’index les
djihadistes du Front al-Nosra. Du train
où vont les choses, la «
Coalition
nationale de l’opposition syrienne
» ne pourra plus s’appuyer que sur
l’émir du Qatar et François Hollande.
C’est mieux que rien, mais c’est peu…
Dimanche 30 décembre
2012 «
Bachar al-Assad
a dit à maintes reprises qu’il n’avait
l’intention d’aller nulle part, qu’il
resterait à son poste jusqu’au bout (…)
Il n’est pas possible de changer cette
position« . Ce rappel de Sergueï
Lavrov, fait à l’issue de ses entretiens
avec l’émissaire de l’ONU Lakhdar
Brahimi, samedi à Moscou, s’adresse
évidemment au camp des ingérants et des
opposants. Et il faut la mauvaise foi
proverbiale de l’AFP
pour voir là un énième signe de prise de
distance de la Russie d’avec le
président syrien. Parce que le plumitif
de l’AFP
imagine sans doute que Poutine va
organiser un coup d ȃtat pour renverser
Bachar, après l’avoir soutenu
de facto
pendant 22 mois ? L’espoir fait vivre
autant que le parti-pris aveugle…
L’opposition radicale attaque Moscou,
après Washington et l’ONU
La veille, soit vendredi,
Lavrov avait eu ces mots, pourtant sans
ambigüité aucune : «
Avec le
respect que je dois à la communauté
internationale, c’est au peuple syrien
de prendre la décision (d’un
éventuel départ de Bachar),
c’est
notre position de principe. Au lieu
d’inciter les parties à poursuivre
l’effusion de sang et de poser des
conditions préalables, la communauté
internationale ferait mieux d’encourager
celles-ci à suivre la voie définie dans
le communiqué de Genève (du 30 juin
2012) et qui prévoit la création de
conditions favorables. pour que tous les
Syriens – tous les groupes politiques,
ethniques et confessionnels – se mettent
d’accord sur l’avenir de leur État«
. Il est à noter que le chef de la
diplomatie russe a fait cette
déclaration au terme de ses entretiens
avec son homologue égyptien Mohamed Amr.
On peut relier cette
déclaration à celle faite fin octobre
par le même Lavrov qui soulignait, dans
un entretien accordé à
Rossiyskaya Gazeta, que «
Bachar al-Assad
est le garant de la sécurité des
minorités nationales, dont les chrétiens
qui vivent en Syrie depuis plusieurs
siècles« .
Cette mise au point, ou
plutôt ces mises au point répétées, de
Lavrov sont d’abord, sans doute, une
réponse à l’arrogance de cheikh Moaz al-Khatib,
islamiste soi disant modéré et chef de
la «
Coalition nationale » de Doha,
nouvelle mouture de l’opposition
radicale adoubée «
représentant légitime du peuple syrien
» par plusieurs nations occidentales
dont la France. On se souvient que la
Russie avait voici trois jours invité
al-Khatib à participer à des
négociations avec des représentants du
gouvernement syrien, à Moscou ou au
Caire ou ailleurs, pour que cesse enfin
le « bain
de sang » en Syrie. Mais le
président de la Coalition a non
seulement rejeté la proposition russe,
mais demandé carrément des excuses au
gouvernement russe, exigeant le départ
de Bachar avant de daigner reprendre
langue avec Moscou.
Décidément, la Coalition
semble marcher dans les pas du CNS, par
son irrréalisme et son extrémisme. On
sait que Al-Khatib, avant de tancer les
Russes, s’en est pris aux Américains
parce que ceux-ci avaient placé le
groupe al-Nosra, la plus « dynamique »
des factions armées en Syrie, sur leur
liste de mouvements terroristes. Ses
amis ont eu aussi des « mots gentils »
pour Lakhdar Brahimi, trop proche de la
position russe à leur goût.
On voit quels «
modérés » et « responsables » les
Européens, enfin la France et la
Grande-Bretagne, ont choisi de soutenir.
Sergueï Lavrov s’est dit «
surpris
» de la réaction du président de la «
Coalition
nationale », mais il usait là de la
langue de bois diplomatique :
l’administration Poutine sait depuis le
début à quoi s’attendre de la part
d’opposants entièrement dans la main des
Frères musulmans syriens et des
monarques du Golfe, et obligés de
s’appuyer sur le terrain sur des groupes
djihadistes pour entretenir la fiction
fourbue de leur révolution populaire. Le
chef de la diplomatie russe a d’ailleurs
réservé à M. al-Khatib un peu de sa
désormais légendaire ironie :
«
Je sais
que M. Al-Khatib n’est pas très fort en
politique internationale, et il y
gagnera en apprenant notre position par
nous et pas par les médias qui avancent
parfois des allégations fort éloignées
de la réalité. Je pense que s’il prétend
être un homme politique sérieux, il
comprendra qu’il a tout intérêt à
entendre notre analyse de la situation
directement de notre bouche ».
Cette réaction attendue des
potiches syriennes du Golfe n’a pas
empêché Lavrov et Brahimi de proclamer
leur foi persistante dans les chances
d’une solution politique au conflit, et
Lavrov a appelé les radicaux à
reconsidérer leur position, et notamment
à renoncer à leur exigence d’un départ
du président syrien, en conformité avec
l’accord à Genève le 30 juin dernier,
signé tant par les Occidentaux que par
les russes et les Chinois. Et il a
réaffirmé que son pays continuerait de
s’opposer, au sein du Conseil de
sécurité, à tout projet de résolution
pouvant conduire à une ingérence
étrangère en Syrie.
Maintenant,
quid
de la suite? Les Russes lâcheront moins
que jamais Bachar dans les circonstances
actuelles, et ils viennent de vérifier,
« officiellement » en quelque sorte,
qu’il n’y a rien à attendre de
l’opposition sous licence qataro-séoudienne.
Il y a donc fort à parier qu’ils vont
gagner du temps, le temps nécessaire à
ce que l’insurrection s’affaiblisse
significativement, appuyer leur
stratégie sur la « promotion » d’une
opposition raisonnable et peut-être
tâcher d’amener la nouvelle
administration Obama (post-Clinton) sur
leur terrain. C’est de l’ordre du
possible car de l’autre côté de
l’Atlantique, la crainte des barbus
fanatiques et incontrôlables a supplanté
l’hostilité idéologique et géopolitique
au régime syrien, et les actions de
l’opposition syrienne islamo-bobo,
extrémiste et sans prise sur la réalité,
sont en baisse. Pour
Obama qui a tant d’autres chats à
fouetter, chez lui et dans le monde,
mieux vaut une Syrie baasiste affaiblie
qu’un califat djihadiste « radioactif ».
On peut même considérer
qu’un maximaliste comme al-Khatib se
comporte en allié objectif – encore
qu’involontaire – du président syrien et
de son gouvernement : la psycho-rigidité
politique des opposants « syro-qatari »
ne peut en effet que lasser l’Oncle Sam.
Et si l’Amérique se
rapproche de Moscou, ou s’éloigne de
Doha, sur ce dossier, la baudruche de la
«
révolution syrienne » va se
dégonfler un peu plus. À suivre…
Publié le 30 décembre
2012 avec l'aimable autorisation d'Info
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