Opinion
Double attentat de
Damas : encore un scénario à l'irakienne
Louis
Denghien
Dimanche 25 décembre
2011
Pas de trêve de Noël en Syrie, et
même un – inquiétant – fait nouveau : le
double attentat à la voiture piégée qui
a ensanglanté, vendredi 23 décembre, le
centre de Damas – au moins 44 morts et
150 blessés – a fait d’autant plus de
bruit que ce modus
operandi du terrorisme était resté,
depuis le début des troubles, inédit en
Syrie. Qui du coup se retrouve à l’heure
de son voisin irakien où l’on en est
plus à compter, depuis la chute de
Saddam en 2003, ni le nombre des
attentats à la voiture piégée ni celui
de leurs victimes.
Les voitures ont explosé à proximité
immédiate de deux bâtiments des forces
de sécurité. Il n’a pas fallu longtemps
aux autorités pour incriminer al-Qaïda,
un porte-parole précisant que le
gouvernement libanais avait averti Damas
de l’imminence d’un tel acte. Et de
fait, c’est aux côtés du chef de la
délégation « préparatoire » de la Ligue
arabe, Samir Seif al Yazal, que le
vice-ministre syrien des Affaires
étrangères s’est rendu sur les lieux du
drame. Il n’a fallu guère plus de temps
à l’opposition radicale – Observatoire
syrien des droits de l’homme, Comités
locaux de coordination et Conseil
national syrien – pour voir au contraire
la main des services syriens derrière
ces attentats, destinés donc, selon les
opposants, à frapper l’imagination des
premiers observateurs de la Ligue arabe,
arrivés la veille à Damas : ces
attentats tomberaient à pic, selon
l’opposition, pour renforcer la thèse
gouvernementale d’une violence
terroriste émanant de groupes isla
mistes ou des «
déserteurs » de l’ASL. Et depuis
Londres, l’OSDH s’est déjà fendu d’un
communiqué péremptoire, selon lequel
al-Qaïda « n’a pas
mis les pieds en Syrie depuis 10 ans
». Dix ans c’est-à-dire depuis l’arrivée
au pouvoir de Bachar al-Assad, soit dit
en passant.
Le Figaro reconnaît la
présence de guérilléros libyens
Al-Qaïda, on ne sait pas, mais des
groupes radicaux islamistes venus de
l’étranger, il n’y a pas, ou plus,
débat. Même Le
Figaro vient de publier, dans son
édition du 23 décembre, un reportage sur
les combattants islamistes libyens venus
exporter leur « révolution » en Syrie.
Et c’est édifiant : on a droit à une
séance de prière collective associant
des membres de l’ASL et un groupe de
Libyens très « pros », puisque vétérans
de la prise de Tripoli et d’ailleurs
conduits en Syrie par Abdel Mehdi al
Harati, qui commandait, du temps de la
guerre civile libyenne, la «
brigade de Tripoli
» de l’armée rebelle. Après la prière,
tout ce beau monde déballe ses « cadeaux
» à la « résistance
» syrienne : des armes, bien sûr, fruit
de « collectes » organisées ces derniers
temps en Libye-CNT, et aussi des
talkie-walkies, de téléphones
satellitaires de marque Thuraya. On a
même droit, entre deux «
Allah o akbar !
» à un « cours de formation » dispensé
aux membres de l’ASL par Mehdi al Harati
qui tient à ses « élèves » syriens des
propos sans ambiguité :
« Vous êtes là pour
faire la guerre ! ». Et le reporter
du Figaro
d’indiquer que les Libyens sont en Syrie
« depuis presque une
semaine » et qu’il «
leur faut rentrer en
Turquie ». Pour préparer de
nouvelles missions ?
Encore une fois, tout ceci, qui
pourrait émaner d’une déclaration du
gouvernement syrien ou d’un article de
l’agence Sana,
vient d’être écrit noir sur blanc par un
journaliste du
Figaro ! Même les adversaires les
plus déterminés du régime de Damas ne
peuvent plus cacher la réalité des
groupes armés venant de – et soutenus
par – l’étranger. Les sites
d’information alternatifs parlaient
depuis une quinzaine de jours de
l’infiltration en Syrie de plusieurs
centaines de djihadistes libyens : le
Figaro, avec un
peu de retard, valide l’information. De
même que voici un mois, le journaliste
atlantiste Frédéric Pons reconnaissait,
dans les pages de l’hebdomadaire
Valeurs Actuelles,
que le gouvernement turc aidait
logistiquement l’ASL et que, plus
récemment, le « spécialiste » du dossier
syrien au Figaro,
Georges Malbrunot, disait que l’ASL
était entièrement contrôlée par Ankara
et la confrérie syrienne des Frères
musulmans.
L’opposition ne veut plus de
la Ligue arabe et de sa mission
Bref, est-ce que le régime de Bachar
al-Assad qui est confronté, à Homs
notamment, à une véritable guérilla
urbaine – attestée là encore par un
article récent du très politiquement
correct magazine français
Les Inrocks (voir
notre article « Etonnant : Les Inrocks
disent la vérité sur Homs ! », mis en
ligne le 19 décembre) -,
est-ce que ce régime donc a besoin
d’organiser un double attentat à la
voiture piégée pour convaincre les
observateurs de la Ligue arabe de la
réalité des prémices d’une guerre
civile, ou au moins d’un terrorisme
organisé, en Syrie ? Non. Mais
tout est bon à l’opposition pour
délégitimer déjà la mission de la Ligue
en Syrie, qui, une fois sur le terrain,
ne pourra évidemment pas nier la réalité
d’une violence, d’un terrorisme émanant
des groupes d’opposition, et qui, ce
faisant, avalisera la thèse du
gouvernement syrien, reprise d’ailleurs
par la Russie et la Chine. Du coup, les
réseaux médiatiques de l’opposition
débinent de toutes les manières possible
cette mission arabe qu’ils ont pourtant
réclamée sur tous les tons depuis des
semaines : on tente de mettre en doute
la personnalité du général soudanais al-Dabi
dirigeant les observateurs de la Ligue
en Syrie, on s’offusque que le
gouvernement syrien ait pu obtenir de la
Ligue arabe des «
améliorations » en termes de «
sécurité nationale
» pour le déploiement des observateurs
dans le pays. Les cyber-opposants de
Syrian Révolution
2011 crient à la manoeuvre, et les
CLC et le CNS réclament que l’ONU
supplante ou coiffe plus étroitement la
mission arabe en Syrie. Et, selon
l’OSDH, des manifestations auraient eu
lieu en Syrie contre l’arrivée des
observateurs arabes !
L’insupportable vérité de la
violence de l’opposition
Bref, l’opposition ne veut
pas – on s’en doutait mais ça se
confirme tous les jours – d’un rapport
équilibré, objectif, de la Ligue arabe
en Syrie, un rapport qui reconnaîtrait
que la violence ne vient pas d’un seul
côté – celui du pouvoir – en Syrie.
Un rapport que le porte-parole du
ministère syrien des Affaires étrangères
a salué comme un «
texte honnête et important », un
texte qui, justement, mentionne
expressément que la violence «
vient de tous les
côtés ». Et c’est exactement pour
la même raison fondamentale qu’au
Conseil de sécurité de l’ONU les
Occidentaux clament haut et fort, ces
derniers jours, leur volonté d’»amender
» le fameux projet de résolution russe
condamnant la répression «
disproportionnée
» du gouvernement ET les violences
commises par les groupes armés de
l’opposition. Et c’est bien cette
dénonciation de TOUTES les violences
commises en Syrie qui ne passe pas chez
les opposants syriens et leurs puissants
soutiens occidentaux, parce que ça ne «
colle pas » avec leur discours sur la
perversité intrinsèque et la violence
univoque du régime syrien.
Dans ces conditions, ce
dernier n’avait nul intérêt à organiser
des attentats à Damas : les observateurs
de la Ligue arabe auront assez de
témoignages, à Homs et ailleurs, des
méthodes de l’ASL et des groupes
concurrents pour se faire une idée juste
de la réalité du terrain syrien.
En revanche, ce double attentat
confirme le danger d’irakisation de la
crise syrienne. Une irakisation
encouragée par ceux-là même qui ont
naguère fait de l’Irak leur « champ
d’expérience » de la déstabilisation du
monde arabe.
Publié le 26 décembre
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
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