Opinion
Poutine conforte
Bachar,
et Joumblatt dénonce le jeu américain
Louis
Denghien
Dmitri
Peskov, porte-parole de Poutine, vient
de délivrer un
satisfecit
au plan de paix de Bachar,
et donc à Bachar lui-même : comme dirait
Libération,
la direction russe « évolue » bien sur
le dossier syrien
Vendredi 25 janvier
2013 «
Nous
croyons sincèrement que le plan proposé
par le président Bachar al-Assad fait
suite aux accords de Genève et pourrait
constituer une excellente base aux
tentatives ultérieures de règlement de
la crise (syrienne) ». La
déclaration n’émane pas de n’importe
qui, puisqu’il s’agit de Dmitri Peskov,
porte-parole du président russe Vladimir
Poutine. Elle n’est pas adressée à
n’importe qui non plus, puisqu’elle a
été faite dans les colonnes de la revue
américaine
The National Interest, et est donc
un message adressé à la Maison Blanche
et au Département d’État.
Cette
fois, c’est Poutine qui parle
Un message très clair : non
seulement, il n’est pas question, pour
les Russes, de pousser le président
syrien vers la sortie, mais il demeure
un acteur majeur et incontournable des
négociations pour une sortie de crise en
Syrie. Rappelons que Bachar al-Assad
avait proposé son plan le 6 janvier
dernier, un plan qui se rapprochait de
celui défendu par l’ONU et Lakhdar
Brahimi, mais qui insistait sur la
nécessité préalable d’un engagement de
certains États à ne plus fournir d’aide
financière aux mouvements terroristes à
l’oeuvre en Syrie – et sinon prévoyait
la formation d’un nouveau gouvernement,
l’adoption d’une nouvelle constitution
ainsi qu’une amnistie générale. Les
Occidentaux avaient traité par le mépris
cette initiative du président syrien,
Washington la jugeant «
déconnectée de la réalité« .
Eh bien la Russie rappelle
à ces mêmes Occidentaux qu’on ne fera
rien en Syrie sans Bachar et son
gouvernement, et que ses propositions
sont compatibles avec cet accord de
Genève dont se réclament en principe
tous les acteurs internationaux. C’est
bien évidemment à Barack Obama et à John
Kerry, futur chef de la diplomatie
américaine, que Poutine s’adresse par
Peskov et
The National Interest interposés.
Lavrov avait multiplié les déclarations
réaffirmant la position russe sur la
Syrie et son président.
Et maintenant c’est
Poutine lui-même qui dit aux Américains
– et à leurs suiveurs transatlantiques –
qu’il n’y aura pas de désolidarisation
entre Moscou et Damas. Après
cela l’AFP
et les médias qu’elle abreuve vont-ils
continuer à broder sur le thème de l’ »évolution
russe« , véritable « marronnier »
de la couverture française de la crise
syrienne ? Ca sera en tout cas encore un
peu plus difficile qu’avant…
Le chemin
de Damas de Walid Joumblatt
Walid
Joumblatt : politicien-girouette qui
vient de donner une indication
intéressante sur le sens du vent, voire
de l'Histoire, en Syrie
Cette présence, durable et
incontournable, de Bachar al-Assad
commence à s'imposer à tous, même à ceux
qui avaient déjà vendu sa dépouille
avant de l'avoir tué. Ainsi Walid
Joumblatt, chef historique de la
communauté druze libanaise, qui vient, à
l'occasion d'un voyage à Moscou, de
mettre pas mal d'eau dans son vin
pro-rébellion. Le chef du Parti
socialiste progressiste - appellation
politique officielle cachant (mal) un
positionnement communautaire et même
clanique - a confié ses impression à la
télévision Russia Today
: tout en maintenant son opposition à
Bachar, et en estimant que la Syrie
était entrée dans une phase
d'instabilité durable, il tient des
propos plutôt lucides sur les origines
et l'"alimentation" du drame syrien : "Certains
États influents contribuent à
l'instabilité de la région. Des États,
Israël en tête, voient un intérêt dans
la guerre en Syrie".
"Le
problème, ajoute-t-il,
c'est que les États-Unis
ne sont pas intéressés par la paix et
ils veulent détruire la Syrie pour
édifier le nouveau Moyen Orient. Pour y
parvenir, il faut semer le chaos afin
qu'Israël soit le chef d'orchestre de
cette situation". Un peu
plus loin, il pointe du doigt - sans les
nommer mais est-ce bien utile ? - les "acteurs
internationaux qui veulent faire sortir
la Syrie du cercle d'influence de la
Russie", qui a hérité en l'espèce
de l'URSS. Joumblatt dit encore que ces
mêmes Américains et Israéliens cherchent
à atteindre l'Iran à travers la Syrie,
que ce pays constitue "le
maillon le plus important de la
stabilité" dans l'ensemble de la
région et qu'il faut préserver son
unité.
Cette analyse, qui pourrait
être signée par le gouvernement syrien,
l'Iran ou un site français de
réinformation, éloigne considérablement
Walid Joumblatt de ces derniers alliés
libanais de circonstance, MM. Saad
Hariri et Samir Geaga, principaux
animateurs de l'"Alliance
du 14 mars", opposition
pro-américaine, pro-séoudienne et
résolument anti-syrienne. Quelle mouche
a donc piqué le "vieux" chef (63 ans,
dont au moins trente de vie politique)
druze ?
Si l'on en croit les
compte-rendus, la visite à Moscou de
Joumblatt s'est passée dans un climat
cordial. Elle illustre donc le fait qu'à
défaut de se rapprocher de Bachar, le
leader druze se rapproche de Poutine.
Une nouvelle "évolution" de Joumblatt
qui au début de la crise syrienne
collait (depuis janvier 2011,
précisément) plutôt à la majorité
politique libanaise pro-syrienne
constituée autour du Hezbollah. Nous
avons retrouvé au fin fond des archives
d'Infosyrie un
article relayant les déclarations faites
par Joumblatt lors d'un séjour à Paris à
la mi-juin 2011, au début de la crise
syrienne donc. Le leader libanais
s'était entretenu avec le président
Sarkozy et lui avait dit notamment que
Bachar était le seul à même de mener des
réformes tout en maintenant la stabilité
en Syrie et donc dans toute la région.
Les troubles durant et s'étendant, le
politicien druze avait à nouveau
"évolué", claquant la porte de la
coalition gouvernementale libanaise, et
se lançant dans une apologie sans
nuances de la "révolution" syrienne, et
dans une dénonciation bruyante de
Bachar, qu'il accusait, entre autres,
... d'alignement sur Israël ! Cette
ligne "occidentalo-compatible" a duré
toute l'année 2012, jusqu'à ce qu'un
ange pro-syrien visite apparemment le
patriarche du PSP dans son sommeil...
"Ce n'est pas
la girouette qui tourne, c'est le vent"
a dit un jour Edgard Faure, politicien
français devenu l'archétype de
l'opportunisme. Cet
énième "changement de position" de
Joumblatt - on serait tenté de parler de
"retournement de veste" - ne fait en
tout cas que confirmer que c'est bien
Poutine, et non Obama, qui est l'arbitre
international en Syrie, et que le chemin
de Damas passe décidément par Moscou. Le
vent souffle à l'Est, visiblement.
Fabius
soudain moins sûr de lui
Fabius
présentant ses voeux 2013 à la presse :
il a reconnu en tout cas que le départ
de Bachar s'avérait décidément être un
voeu pieux...
Un qui n'a pas changé de position, mais
constate l'impasse dans laquelle elle
l'a conduit, c'est Laurent Fabius.
Présentant ses voeux à la presse, jeudi
24, le ministre hollandais des Affaires
étrangères a bien été obligé de
reconnaître que, de son point de vue
socialo-atlantiste-sioniste, les choses
n'évoluaient pas bien en Syrie : "Il
n'y a pas de signe récent positif vers
la solution que nous espérons,
c'est-à-dire le départ de Bachar et la
venue au pouvoir de la coalition de
l'opposition syrienne".
Fabius a perdu beaucoup de son arrogance
par rapport à certaine déclaration de
décembre dernier, où il prophétisait la
"fin prochaine" du
régime baasiste, assurant que même les
Russes étaient d'accord avec lui sur ce
point. Pour les Russes, on vient de voir
ce qu'il en était. C'est vrai qu'en à
peine un mois, les "signes
récents positifs", sur le terrain
et même à l'international, sont plutôt
allés dans le sens du gouvernement
syrien et de ses alliés.
Par suffisance et
aveuglement (géo)politique, Laurent
Fabius s'est auto-intoxiqué, tel un
vulgaire analyste du Monde,
de Libé ou d'I-Télé,
sur la force militaire et plus encore
politique de ses protégés de la "révolution"
syrienne. On se demande d'ailleurs ce
qu'il va bien pouvoir dire le 28 janvier
aux représentants de cette "Coalition
nationale de l'opposition syrienne",
sponsorisée par la France et le Qatar.
Il est certain en tout cas que le
communiqué final de cet énième non
événement diplomatique ira
instantanément rejoindre aux oubliettes
ceux émis par les "Amis de
la Syrie" ou la Ligue arabe. On
imagine que Laurent le Pathétique va
s'efforcer de se refaire une santé avec
le Mali, la libération de Florence
Cassez ayant tout de même une incidence
limitée sur le prestige du Quai d'Orsay.
La Syrie,
tombeau des illusions et arrogances
occidentales ? Ca semble en prendre le
chemin : la défaite des rebelles sera
aussi celle du gouvernement et des
médias français, un intéressant "dommage
collatéral"...
Publié le 25 janvier
2013 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|