Opinion
Force tranquille
russe,
optimisme syrien & désarroi américain
Louis
Denghien
Sergueï
Lavrov a encore « frappé » : selon lui,
l’évaluation russe de la situation
militaire
syrienne ne justifie aucun plan
d’évacuation de ses ressortissants, et
l’obsession anti-Bachar
de l’opposition radicale est responsable
de l’effusion de sang en Syrie
Jeudi 24 janvier
2013 On peut dire que
Sergueï Lavrov aura été, pendant toute
cette crise syrienne, une sorte de
statue du Commandeur, dont la seule
parole suffisait presque à « doucher »
ponctuellement une certaine hystérie
diplomatique et médiatique occidentale.
Il ne se passe guère de semaine sans que
ses conférences de presse viennent
contredire les supputations ou
insinuations de l’AFP
ou les menaces du Département d’État
américain ou du Quai d’Orsay. Mercredi
soir, il s’en est pris à l’ »obsession
» anti-Bachar de l’opposition, cause
principale de la poursuite du conflit en
Syrie : «
Tant que cette position restera en
vigueur, il ne se passera rien de bon«
.
Or Lavrov l’a dit plusieurs
fois, le départ du président syrien est
«
impossible » et d’ailleurs non
conforme et non prévu par le communiqué
final de la conférence internationale de
Genève sur la Syrie du 30 juin 2012. Le
chef de la diplomatie russe s’efforce
toujours de ramener, avec plus ou moins
d’ironie pour envelopper sa fermeté, au
réel, à la réalité de rapports de force.
Il est, avec son « supérieur » Poutine,
le grand « empêcheur d’ingérence »
international. La Maison Blanche,
l’OTAN, la France de Sarkozy/Hollande,
la Ligue arabe d’al-Thani et la Turquie
d’Erdogan ont littéralement été « tenus
en laisse » depuis plus d’un an, par ce
binôme russe. Que tous ont essayé de
fléchir, quitte à lui faire dire ce
qu’il n’avait pas dit.
Accès et
accents d’authenticité américain
À la force tranquille d’un
Lavrov correspond le désarroi de
l’interlocuteur américain. En
l’occurrence Robert Ford
himself,
l’ambassadeur de Washington à Damas
pendant les premiers mois de la crise
syrienne. Mr Ford, qui tant qu’il fut en
poste (jusqu’en octobre 2011), se
comporta comme un « gentil organisateur
» de l’opposition radicale à Bachar al-Assad,
prodiguant encouragement et certainement
dollars, manifestant même avec les
Frères musulmans à Hama à l’été 2011, Mr
Ford donc vient d’avoir un éclair de
lucidité en forme de regret : «
Je ne sais
pas comment al-Assad va partir, il se
peut qu’il ne parte jamais, il ne veut
pas partir » a dit le diplomate,
cité par l’analyste politique libanais
Sami Kouleib. Si Ford
dit cela, Obama et Kerry doivent le
penser aussi.
Et puisqu’on donne la
parole à d’éminents intervenants
américains, qu’on recueille leurs aveux
déchirants, citons aussi Hillary
Clinton, Secrétaire d’État en sursis,
qui vient de reconnaître que les
terroristes islamistes qui ont perpétré
la prise d’otages en Algérie devaient
beaucoup à la Libye libérée par leurs
soins de Kadhafi : «
Il n’y a
aucun doute que les terroristes
algériens avaient des armes venues de
Libye » a dit la première dame de
la diplomatie américaine devant une
commission du Sénat américain, mercredi.
« ll n’y a
aucun doute, a-t-elle ajouté,
que les
débris d’AQMI au Mali ont reçu, eux
aussi, des armes de Libye« .
Bref, reconnait Miss
Clinton, il n’y a guère de doute que les
Américains et leurs alliés ont une
responsabilité éminente dans le
développement du djihadisme au Sahara.
Comme il est certain que ce sont des
islamistes libyens, mis en place et
armés par Washington, qui ont tué
l’ambassadeur américain en poste à
Benghazi, l’année dernière. À la veille
de rendre les clefs du Département
d’État à John Kerry, Hillary C.
soulage-t-elle sa conscience ? Pour
qu’elle reçoive notre absolution, en
tout cas, il faut qu’elle aille jusqu’au
bout et dise ceci :
« Il n’y a
aucun doute que le terroristes en Syrie
reçoivent ou ont longtemps reçu des
armes, des fonds, des encouragements et
des conseils techniques de notre
administration et de ses alliés
régionaux arabes et turcs« .
Du temps
qu’il était à Damas, la conception très
« militante » que Robert Ford se faisait
de son rôle
d’ambassadeur des États-Unis lui avait
valu une certaine hargne des Syriens
pro-syriens…
Lavrov, «
correcteur automatique de
l’AFP »
L’AFP,
bien obligée de citer les propos du «
mâle dominant » de la diplomatie
péri-syrienne (Sergueï Lavrov), se venge
par ses petits artifices sémantiques
habituels : depuis des semaines, dans
ses articles, le nom «
Russie » est systématiquement
accompagnée de la mention «
l’un des derniers soutiens
du régime auquel il vend des armes«
, à croire que les rédacteurs disposent
d’une fonction de correction automatique
spéciale. Oui, un des derniers soutiens
avec la Chine, l’Inde, le Brésil,
l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Arménie, la
Biélorussie, l’Irak, une moitié du
Liban, l’Algérie, le Soudan, le
Vénézuéla, Cuba, la Corée du Nord et
quelques autres.
Dans sa conférence de
presse, Serguei Lavrov a aussi démonté
la dernière en date des «
interprétations » médiatiques
occidentales de la position russe :
revenant sur l’épisode des deux avions
de ligne venus évacuer à Beyrouth une
centaine de résidents russes de Syrie,
il a simplement dit : «
Des dizaines de milliers de Russes
vivent en Syrie mais seules une centaine
de familles ont accepté de rentrer au
pays« . À ce sujet, Lavrov a même
ajouté que l’ambassade russe à Damas
travaillait normalement et que
l’évaluation que fait Moscou de la
situation en Syrie n’exigeait pas «
l’exécution d’un plan
d’urgence d’évacuation des
ressortissants russes ».
En clair,
l’administration russe, qui a pas mal
d’yeux en Syrie, ne partage pas le
lyrisme des médias franco-bobos sur les
« progrès » des insurgés
islamo-atlantistes…
Et puis la Russie appuie
toujours le principe d’un dialogue
politique et pacifique entre les parties
syriennes. Le gouvernement syrien campe
sur la même ligne de principe : mardi,
Omrane al-Zobhi, ministre syrien de
l’Information, a invité «
toutes les forces de l’opposition »
à participer, en Syrie, à un «
dialogue basé sur le
respect de la souveraineté nationale et
le rejet de toute forme d’intervention
étrangère« . Une formulation
rituelle qui exclut de fait l’opposition
exilée, islamiste de fond et atlantiste
de fait, du CNS et de la «
Coalition nationale« . Mais, comme
les Russes, le gouvernement syrien
s’efforce de « détacher » les plus
raisonnables, lucides ou patriotes des
opposants à Bachar de l’emprise du
Golfe, de la Turquie et de l’Union
européenne. Et Damas, comme Moscou, «
drague » les gens du CCCND, avec un
succès mitigé pour le moment.
Mais, sans doute, le
gouvernement syrien se sent d’avantage
en position de force, avec de récents
succès militaires, et aussi ce qu’il
faut bien appeler la « décomposition
djihadiste »‘ de l’insurrection
syrienne.
Pour donner plus de corps à
cette ouverture, le gouvernement syrien
serait prêt à accorder à certains
dirigeants d’opposition en exil des «
garanties sécuritaires
» qui leur permettent de revenir au pays
pour y participer à des négociations.
C’est ce qui ressort d’une déclaration
fait à l’issue d’un comité ministériel
sur le sujet, présidé par le Premier
ministre Wael al-Halaqi, qui a aussi
planché sur la rédaction d’un programme
de sortie de crise. La
tonalité optimiste de ces déclarations
est de bonne guerre de communication,
mais, incontestablement, le autorités
syriennes se sentent de plus en plus « à
l’aise », n’en déplaise au
Monde, à Libération,
I-Télé, France 24 et
autres AFP. Plus à
l’aise que, par exemple, Hillary Clinton
et son ambassadeur Ford…
Wael al-Halaqi,
Premier ministre syrien, tend la main
aux opposants raisonnables, et leur
garantit
un sauf-conduit pour la Syrie. Un geste
qui traduit une certaine confiance en
soi…
Publié le 24 janvier
2013 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
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