Opinion
Un opposant le dit
: « Le Golfe ne veut pas de démocratie
en Syrie »
Louis
Denghien
Janvier
2008 : S.A.R. Abdallah accueille un
grand avocat de la cause des peuples,
notamment arabes
Mardi 9 août 2011
Nous vous
proposons cette fois-ci un extrait d’un
entretien accordé – le 9 août – au site
de l’hebdomadaire Le Point par Haytham
Manna, opposant syrien en exil à Paris,
porte-parole de la « Commission arabe
des droits humains » et membre d’un
« Comité de coordination pour un
changement démocratique en Syrie ».
Haytham Manna, dont le frère a été tué
lundi 8 août à Deraa par les forces de
l’ordre, n’est pas, on s’en doute, très
tendre pour le régime baasiste. On a
quand même du mal à le suivre quand il
dit que le niveau de répression actuel
« est encore plus important que celle
qui a eu lieu à Hama en 1982″ : on
rappellera que les estimations les plus
basses du nombre de victimes de la
répression de ce soulèvement des Frères
musulmans parlent de 10 à 15 000 morts –
d’autre sources disent plus de 20 000.
On est très loin de ça à Hama – et dans
le reste de la Syrie – en cet été 2011 !
On ne peut
d’avantage accepter sa thèse selon
laquelle le régime « n’essaie plus de
tuer, mais de faire un maximum de
blessés, car il est beaucoup plus
difficile de les chiffrer que des
morts » ! Un tel machiavélisme nous
paraît hautement improbable, et de toute
façon, difficile à planifier dans un
contexte d’anarchie urbaine. Haytham
Manna nous paraît verser là dans le
complotisme le plus sommaire. Et que
dire de sa conclusion quand il assène :
« La politique du pouvoir consiste à
assassiner tout ce qui est politique au
nom de la sécurité, et tout ce qui est
diplomatique au nom du complot ». Nous
ne croyons pas du tout, nous, que le
pouvoir syrien ait intérêt à tuer tout
ce qui s’oppose à lui, ni à se suicider
diplomatiquement. La douleur est
mauvaise analyste. Si les forces
de l’ordre tirent en Syrie, c’est aussi
qu’on leur tire dessus ! Et, que l’on
sache, Bachar n’a pas renoncé à cultiver
ses amitiés et soutiens diplomatiques :
un simple coup d’oeil au site de
l’agence officielle Sana montre que le
n°1 syrien reçoit beaucoup de
responsables et délégations étrangères,
ces temps-ci. D’ailleurs Manna
dit lui-même que l’opposition syrienne a
besoin des pays « qui n’ont pas coupé
leurs liens » avec Damas et dont il
donne la liste.
En revanche, tout
ce que dit Haytham Manna sur les
motivations des monarchies du Golfe et
de la Turquie dans cette crise nous
paraît frappé au coin du bon sens
géopolitique : les bons sentiments
humanitaires étalés médiatiquement par
le roi Abdallah ou le Premier ministre
Erdogan ne sont que l’habillage
d’intérêts et d’intentions nettement
plus terre à terre et ressortent
d’avantage à l’égoïsme national qu’à la
défense de la liberté et de la dignité
humaines. On s’en doutait confusément…
Quelle est, selon vous, la
solution immédiate pour répondre à cette
crise ?
Il ne faut pas chercher à alimenter
des solutions qui puissent jouer dans le
sens de la violence. Nous sommes en
train de nous diriger vers une guerre
civile. Or le chaos est justement la
seule alternative prônée par le pouvoir.
C’est la raison pour laquelle nous avons
besoin des pays qui n’ont pas coupé
leurs liens avec la Syrie pour qu’ils se
rendent à Damas et qu’ils fassent passer
un message. C’est le cas de l’Inde, de
l’Afrique du Sud, du Brésil et même du
Liban et de l’Iran. Bachar n’entendra
que ses alliés, pas la France et les
États-Unis, qu’il considère comme ses
ennemis.
Avez-vous un plan précis ?
J’ai eu des contacts avec plusieurs
États qui vont dépêcher des délégations
à Damas. Nous avons également
rendez-vous la semaine prochaine avec
Nabil al-Arabi, secrétaire général de la
Ligue arabe, pour obtenir l’envoi de
représentants en Syrie. Nous ne le
faisons pas de gaieté de coeur, mais
parce que nous devons à tout prix faire
en sorte d’obtenir au moins quelques
jours de cessez-le-feu de la part de
l’armée.
Que pensez-vous de la récente
décision de l’Arabie saoudite, du
Bahreïn et du Koweït de rappeler leur
ambassadeur ?
Les pays du Golfe souhaitent dévier
la résolution du conflit syrien vers des
aspects plus confessionnels que
démocratiques. Les Saoudiens ne
recherchent, eux, qu’une seule chose :
renforcer la position des islamistes au
sein des forces politiques syriennes,
pour supplanter l’Iran dans ce pays.
L’Arabie saoudite n’a que faire de la
démocratie en Syrie, pourvu qu’elle
obtienne une meilleure relation avec
Bachar el-Assad. Les pays du Golfe ne
veulent pas voir apparaître un exemple
démocratique à leurs frontières, car ils
le considèrent comme un véritable danger
pour leur régime. N’oublions pas que
Riyad détient plus de 9 000 prisonniers
politiques.
Que pensez-vous de
l’initiative de la Turquie d’envoyer son
ministre des Affaires étrangères à Damas
?
C’est une bonne démarche, mais elle
doit se faire sous le signe de la
protection de la population civile en
tant que devoir humanitaire
international. Malheureusement, les
Turcs ont toujours négocié avec les
Syriens selon leurs propres intérêts. Le
Premier ministre Erdogan ne verrait pas
d’un mauvais oeil l’existence d’un autre
pays gouverné par un parti islamique.
Lors de notre voyage en Turquie, à la
frontière syrienne, nous avons découvert
que de nombreux laïcs élus par les
réfugiés syriens pour les représenter
avaient tous été arrêtés et remplacés
par des islamistes. La montée de
l’influence de la Turquie en Syrie en
ferait, d’autre part, une force
régionale incontestable.
Retrouvez l’intégralité de l’entretien
sur Le Point.fr
Publié le 9 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|