Syrie
Plan de paix - et
de retrait : une mise au point
inévitable
Louis
Denghien
Hors de
question pour les Syriens de laisser les
gangs ASL profiter du retrait des forces
armées :
pas de nouveau Bab Amr après tant de
morts et de destructions !
Dimanche 8 avril
2012
«
Dire que
la Syrie va retirer ses forces des
villes à la date du 10 avril est
inexact, Kofi Annan n’ayant pas encore
présenté de garanties écrites sur
l’acceptation par les groupes
terroristes de l’arrêt de toute forme de
violences et sur leur volonté de livrer
leurs armes« .
48 heures
pour relancer le chaos ?
Ce communiqué du ministère
syrien des Affaires étrangères, publié
dimanche après-midi, met fin à une
ambigüité redoutable porté par l’accord
sur le cessez-le-feu et que ce site
n’avait guère eu de mérite à souligner,
tant elle était évidente : comment le
gouvernement syrien confronté depuis des
mois, certes à une opposition politique,
populaire mais à l’évidence minoritaire,
mais surtout à une logique de guerre
civile portée par des groupes armés à
financement, appui politique – et même
pour une bonne part à recrutement –
étrangers, comment le
gouvernement donc aurait pu accepter que
sa bonne volonté – son acceptation des
propositions et principes du plan de
paix arabo-onusien – permette à ces
bandes armées, battues sur le terrain
par l’armée syrienne, et expulsée des
centres urbains essentiels, de se
refaire une santé militaire en profitant
du retrait des soldats syriens de ces
centres urbains ?
Le porte-parole du
ministère syrien des Affaire étrangères,
Jihad Makdissi, a d’ailleurs évoqué le
précédent de la mission d’observation de
la Ligue arabe en Syrie, en décembre
dernier : là aussi on
avait demandé au gouvernement syrien –
et obtenu de lui – un début de retrait
de ses forces des zones de combat, et
les insurgés en avaient immédiatement
profité pour consolider et étendre leurs
positions, notamment à Homs.
Rappelons que ces groupes
armés, théoriquement fédérés par
l’état-major ASL depuis la Turquie, mais
à recrutement et orientation
politico-religieuse composites,
disposent de 48 heures pour se conformer
à l’exigence de cessez-le-feu, 48 heures
après le retrait des troupes syriennes,
48 heures qui sont amplement suffisantes
pour que les groupes repliés dans la
campagne, ou caché dans certains
quartiers, ressortent au grand jour en
unités plus ou moins constituées, et
imposent à nouveau leur loi dans
certains secteurs d’Idleb, de Ham, de
Homs ou de Deraa. On vient d’ailleurs de
voir que le début de retrait des troupes
de la ville de Zabadani a entraîné la
réapparition immédiate de bandes
insurgées dans cette ville très proche
de la poreuse frontière libanaise.
Les
sacrifices consentis par l’armée, les
exigences les plus élémentaires de
souveraineté, d’ordre et de sécurité
interdisaient au gouvernement syrien
d’accepter qu’en 48 heures, les mêmes
bandes islamistes soutenues par le
Qatar, l’Arabie Séoudite et la Turquie
paradent à nouveau en toute impunité à
Bab Amr.
CNS et
ASL ne veulent pas du plan Annan (leurs
amis non plus)
Peu après cette déclaration
gouvernementale, on a d’ailleurs eu
droit à la réaction du chef – théorique
– de l’ASL, le «
colonel »
Ryad al-Asaad, réfugié en Turquie de
puis des mois : Asaad a prétendu
qu’aucune garantie écrite ne lui avait
jamais été demandée au sujet d’un
cessez-le-feu de l’ASL, assurant
cependant que lui et ses collègues
avaient «
donné leur parole » (à un émissaire
de Kofi Annan, on suppose) et qu’on
devait se fier à leur «
honnêteté«
. Le moins qu’on puisse dire, si le
colonel-déserteur et rénégat dit vrai,
c’est que les gens de l’ONU manquent
singulièrement de sérieux et d’équité :
dans une affaire aussi grave, on ne peut
demander moins au groupe CNS/ASL qu’au
gouvernement syrien qui s’est engagé,
lui, officiellement, par écrit et à
travers les médias audiovisuels à
respecter, sous réserve de réciprocité,
ses engagements. En
somme, en forçant à peine le trait,
Bachar al-Assad devrait s’engager par
serment devant les caméras du monde
entier sur un texte contraignant et
décisif, tandis qu’on demanderait dans
le même temps à MM. Ghalioun et al-Asaad
un simple hochement de tête ou un clin
d’oeil vaguement approbatif !
Ca ne peut pas marcher
!
Du reste, le sieur al-Asaad en est
lui-même persuadé,
lui qui a déclaré à
Reuters
que ce plan allait échouer, ce qui doit
bien l’arranger car l’exécution
rigoureuse des exigences du dit plan –
déposer et rendre les armes, au moins
aux observateurs de l’ONU – aurait mis
fin à l’existence de sa milice. Et plus
globalement le plan Annan qui prône le
dialogue et la réconciliation enterre de
fait le projet de révolution radicale et
violente du pôle ASL/CNS/Frères
Musulman, projet soutenu par la troïka
Turquie/Qatar/Arabie séoudite.
Et justement, à ce dernier propos, le
communiqué syrien met quelques points
sur les « i » : «
M. Kofi
Annan n’a pas non plus présenté
d’engagements écrits des gouvernements
du Qatar, de l’Arabie séoudite et de la
Turquie sur l’arrêt de leur financement
des groupes terroristes« .
Financement, et, dans le cas de la
Turquie, appui non seulement politique
direct mais logistique : les bandes ASL
opérant dans le nord du pays, plus
personne en Occident ne songe désormais
à le nier, se réfugient, se reposent, se
rééquipent, et même s’entraînent en
territoire turc, territoire-sanctuaire
pour ces groupes, ce qui revient à un
quasi-acte de guerre d’Ankara contre
Damas.
Kofi
Annan, dont nous ne suspectons pas
a priori,
contrairement à son patron Ban Ki-moon,
la bonne foi, n’a pas non plus obtenu
d’accord officiel du CNS sur le
désarmement des bandes agissant plus ou
moins – plutôt moins que plus – en son
nom, malgré que l’émissaire de l’ONU a
déclaré travailler à cela.
Pour l’heure, Kofi Annan
n’a pas réagi directement sur la
déclaration syrienne, se contentant de
déclarer «
choqué » par «
l’accroissement des violences et des
atrocités dans plusieurs villes et
villages de Syrie« , lesquelles,
dit-il, constituent une «
violation
des assurances qui m’ont été données«
. Compte tenu du rôle qui est le sien,
que pouvait-il faire d’autre ?
Dans ces conditions de flou
artistique, l’accord sur le retrait des
troupes syriennes au plus tard le mardi
matin 10 avril apparaissait clairement
comme un marché de dupe au détriment de
la Syrie. Et il était inévitable que le
gouvernement de Damas tape du poing sur
la table, remette les pendules à
l’heure. C’est donc fait. Bien sûr, non
moins inévitablement, cette fermeté va
entraîner les cris d’orfraie
internationaux sur le non respect de la
parole donnée par Bachar al-Assad et son
régime. Alors que,
jusqu’à présent, c’est l’autre camp qui
n’a donné aucune parole ferme et claire
quant à son exécution de « sa part du
contrat ». Et Recep Tayyep
Erdogan a d’ailleurs été le premier à
réagir, avec sa morgue agressive et
habituelle, en déclarant ce dimanche à
un quotidien turc que son gouvernement
prendrait de nouvelles mesures si le 10
avril Damas n’avait pas obtempéré aux
exigences de l’ONU. Mais cela ira-t-il
jusqu’à prendre le risque d’un
affrontement armé avec Damas ? Nous ne
le croyons pas pour les raisons
internationales et intérieures que nous
avons développées ici à plusieurs
reprises. On devrait entendre aussi
Hillary Clinton, Alain Juppé, William
Hague et les monarques pétroliers aboyer
de concert. Mais le gouvernement syrien
est habitué à leurs protestations et
condamnations. On attend avec plus
d’intérêt la réaction de la Russie et de
la Chine, qui n’ignorent rien de ce qui
se passe sur le terrain.
Un terrain dont le gouvernement ne doit
plus céder un pouce à l’ennemi intérieur
agissant pour le compte de puissances
extérieures.
Pas
question non plus que le sacrifice de
plusieurs mois de lutte...
... soient
réduits à néant en 48 heures !
Publié le 9 avril
2012 avec l'aimable autorisation d'Info
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