Le Maghrébin
Roland Dumas pointe du doigt
Israël
AMD
Avocat
- Journaliste - Ministre des Affaires européennes, porte-parole
du gouvernement (1981-1983) - Ministre des Relations extérieures
(1984-1986) - Président de la Commission des affaires étrangères
à l'Assemblée nationale (1986-1987) - Ministre d'Etat, ministre
des Affaires étrangères (1988-1993) Président du conseil
constitutionnel en 1995 jusqu’à 2000.
C’était
un proche de Mitterrand et du monde arabe, connu pour des
analyses et des prises de positions clairvoyantes sur la situation
de la région. Récemment il n’a pas hésité
à demander au président français des négociations directes
avec le Hamas, ce dernier ayant été
élu démocratiquement.
A
plus de 80 ans, Roland Dumas travaille dans son
bureau d’avocat, reçoit , suit de près les événements du
monde et y porte toujours le regard lucide et subtil qu’on lui
connait. Comme dans cet entretien :
Entretien
conduit par Youssef Lahlali
lahlaly@yahoo.fr
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Que
dire de l’agression israélienne contre le Liban ?
Je
la trouve excessive et démesurée,
injustifiée. Un
sentiment partagé par beaucoup de pays, d’observateurs et
de responsables politiques. Le prétexte évoqué de récupérer
trois soldats israéliens n’a pas été
couronné de succès et enfin de compte le bilan est la mise à
sac d’un pays souverain et indépendant. Cette agression a
engendré une situation internationale explosive. Je ne considère
pas que la décision prise par les Nation Unies
soit de nature à apporter un apaisement dans la région. On ne
peut pas séparer le problème israélo-libanais de ce qui se
passe au Moyen-Orient. Je constate qu’un cessez le feu est
intervenu et une force de l’ONU est en train
de se mettre en place mais rien n’a été évoqué
et dit sur le problème palestinien. On ne peut pas continuer de
nier cette situation. Tant qu’il n’y aura pas de solution
convenable pour le problème palestinien, la paix ne reviendra pas
dans la région. Plus celle-ci tarde à venir,
plus la situation deviendra compliquée dans la
région.
Vu
l’ampleur de cette agression, pensez-vous que celle-ci fut ne
fut pas découragée par les Américains ?
Je
crois que les Américains ont une grande responsabilité dans tout
cela .Ils n’ont pas pu ne pas donner leur accord à cette
solution militaire compte tenu des liens très
étroits qui existent entre Israël et le gouvernement de
Washington. Du reste différentes déclarations
du gouvernement israélien ont fait nettement allusion à cette
caution. Par ailleurs, à plusieurs reprises le président Bush a
justifié cette agression avec cette formule passe-partout :
Israël a le droit de se défendre. Il n’y a pas de doute sur la
collusion et la responsabilité des Etats Unis.
Cela
voudrait-il dire que l’option militaire
choisie par l’actuelle administration américaine a échoué dans
la région?
La
politique israélo-américaine est une politique de soumission et
de force. L’expérience montre que cela n’aboutit pas .On
l’a vu en Irak qui est en état de guerre civile ; on l’a
vu avec les Palestiniens malgré le blocus intégral, malgré les
actions quotidiennes dans la bande de Gaza et ailleurs. La
violence n’apporte aucun résultat positif. Au point
qu’aujourd’hui la situation est pire qu’avant. Dernier
argument : pour la première fois dans l’histoire du
Proche-Orient, une force s’est constituée, le Hezbollah, qui a
tenu tête et qui a mis en
échec la puissante armée israélienne. On ne peut pas dire, de ce
fait, que la force a donné des résultats positifs, mais le contraire.
Aujourd’hui
la situation n’est pas claire : pour les Israéliens le rôle
de la FINUL doit se limiter au désarmement du
Hezbollah… mais les Nations Unies disent que ce n’est pas leur
rôle ?
Leur
rôle c’est de maintenir la paix et le problème de désarmement
du Hezbollah qui est parti prenante dans la structure de l’Etat
libanais appartient à l’Etat libanais. On est
obligé de constater que le Hezbollah a une mission politique et
militaire importante au sein du Liban. Il n’appartient pas à un
pays étranger d’intervenir dans les affaires d’un pays
souverain. Le Hezbollah n’est plus une milice au Liban. On voit
bien qu’il est parti prenante dans la vie
politique libanaise, dans le gouvernement, dans les organisations
qui assistent les victimes de la guerre. Il joue
un rôle éminent la preuve : le général Aoun a dit à la télévision
récemment qu’il a fait un accord avec ce parti qui est une réelle
force politique au Liban. C’est une force avec laquelle il faut
compter et traiter.
Les
américains qui ont pourtant échoué
continuent de parler de nouveau Moyen-Orient…
Elle
parle d’un Moyen-Orient nouveau, mais ce n’est pas nouveau.
Depuis la première offensive contre l’Irak, l’idée développée
par Washington et le Pentagone c’est de modifier la carte du
moyen orient, c'est-à-dire de la faire à l’image des démocraties
occidentales en particulier la démocratie américaine. Je
continue à penser que c’est une erreur politique majeure. On ne
peut pas imposer à toute une région du monde qui a ses habitudes,
sa langue, ses mœurs, sa politique une image toute faite qui
serait importée d’un autre continent.
L’administration
américaine ne va pas changer d’avis à quelque mois d’élections.
Quand on connaît la puissance d’Israël en Amérique et le jeu
du lobby juif américain, on ne doit pas être surpris que la perspective
des élections favorise un changement. Je pense que jusqu’aux élections
américaines les choses ne changeront pas dans le sens qu’on
peut souhaiter.
Comment
évaluez- vous la discussion sur le dossier du nucléaire iranien ?
C’est
un dossier compliqué et complexe, je pense que l’Iran a de bons
atouts. D’abord le droit, il a signé le traité de non prolifération
du nucléaire et il a l’appui de deux grandes puissances :
la Russie et la Chine. Ensuite il a des moyens
de rétention : c’est un pays puissant, il a des sources pétrolières
importantes et d’autre part il s’adosse à
toute la communauté musulmane faisant taire les querelles de
jadis entre sunnite et chiite. Je crois que c’est une partie
difficile pour les américains et ce ne sera pas une partie de
plaisir pour eux.
Les
européens sont aussi impliqués dans ce dossier ?
Maintenant
les européens commencent à réfléchir comme la France pour
prendre leur distance… d’autres sont en train de le faire. De
nombreuses personnalités qui jouent un rôle
important dans la diplomatie. Elles commencent
à oser s’exprimer sur le comportement d’Israël et à mettre
en doute l’honnêteté de Tel Aviv quand elle prétend vouloir
la paix.
A
votre avis, comme juriste et diplomate, les Iraniens ont-ils
le droit aux armes nucléaires ou non ?
Pas
sur le droit puisque ils ont signé le traité de non prolifération,
mais politiquement ils ont le droit de veiller à leur sécurité.
Dans
la région il y a un pays surpuissant , Israël
, qui étale sa surpuissance et qui menace les uns et les autres ;
on a entendu des déclarations d’un responsable israélien qui
dit que si les Américains ne font rien dans le dossier iranien,
Israël est capable de le faire seule. C’est intimidant et inquiétant
. A partir de là, l’Iran a des raisons. Je fais
observer que l’Iran, jusqu’à présent, ne demande pas le
droit à la bombe. Jusqu’à preuve du contraire, il demande le
droit de poursuivre ses recherches et son
travail pour l’atome pacifique. Il faut prendre l’Iran au mot,
faire en sorte de vérifier très en détail ce qui se fait là-bas,
s’il n’y a pas un dérapage vers l’atome militaire.
Publié
avec l'aimable autorisation de : Le Maghrébin
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