Opinion
M. Chevènement :
« En France la parole est confisquée par
une minorité »
Laurent
Brayard
Photo: EPA
Jeudi 14 février
2013 Jean-Pierre Chevènement nommé en
octobre 2012 représentant spécial
pour les relations entre la France
et la Russie est en visite à Moscou.
Il a pris le temps de venir
rencontrer les étudiants russes et
français de l’Université moscovite
du MGIMO pour un exposé sur le thème
« La France et la Russie face aux
défis contemporains ».
Durant un long
discours M. Chevènement a passé en
revue la situation internationale
actuelle et a finalement peu évoqué
les fameuses relations
internationales entre la France et
la Russie, mais venant d’un non
russophone, aussi intelligent qu’il
puisse être, il n’était pas très
étonnant de lire derrière le
discours du représentant spécial de
François Hollande une certaine
ignorance du thème de la Fédération
de Russie. Il était cependant déjà
venu à la rencontre des étudiants du
MIGMO en 2006, et durant l’exercice
sa vision analytique du monde et de
son futur a été dévoilée devant une
assistance très attentive.
Il faut dire
nonobstant, que nous étions très
loin de la prestation assez
pitoyable du ministre délégué chargé
de l’Agroalimentaire, Guillaume Garot, qui quelques mois plus tôt
avait fait à cette même place une
intervention très mitigée,
entrecoupée de citations, pour ne
pas dire d’appel à Jean Jaurès et de
phrases de circonstances. Avec
Jean-Pierre Chevènement le ton a été
très différent et nous avons senti
le personnage d’expérience, tant
politiquement que dans son rapport
au discours et au public. Après
avoir rappelé les sempiternels liens
qui unissent historiquement et
culturellement la France et la
Russie, il est ensuite entré dans le
vif du sujet… tout en parlant
finalement très peu de sujets
précisément franco-russes. M.
Chevènement, a ajouté toutefois que
la Fédération de Russie ne fait pas
partie des pays émergents mais qu’il
s’agit «
d’un pays réémergent ce qui est une
sacrée différence », devait
déclarer l’ancien ministre.
Le Monde a-t-il
indiqué est dans une période de
profonds changements qui voit la
montée sur le devant de la scène, de
pays qui ont le vent en poupe et qui
possèdent des atouts assez
similaires : population nombreuse,
réserves minières ou en
hydrocarbures gigantesques,
possibilité de croissance et main
d’œuvre bon marché en citant la
Chine, le Brésil mais aussi
l’Indonésie, l’Inde ou la Russie. En
rappelant ce fait, il a insisté sur
la crise financière qui frappe le
Monde et tout particulièrement
l’Ancien monde, en évoquant le fait
qu’une nouvelle bipolarité était en
train de naître : d’un côté les
Etats-Unis, de l’autre la Chine. A
ce propos, il dissociait assez
nettement, les USA de l’Occident, en
réfutant à demi-mot le fait que la
France et donc bien d’autres pays,
soit réellement comprise dans cet
ensemble. Il posait même la question
de la réalité de l’Occident, non pas
de son existence, mais de sa réelle
composition géostratégique.
Ecornant au passage
Nicolas Sarkozy, il indiquait
également que si la France sous son
égide avait rejoint le commandement
de l’OTAN s’était avant tout par sa
vision que la France faisait
réellement partie de cette entité et
ne pouvait en être séparée, M.
Chevènement mettant en doute le
bien-fondé de cette thèse. A
plusieurs reprises, l’ancien
président du MRC a cité le général
De Gaulle qui est revenu dans le
discours de Jean-Pierre Chevènement,
notamment pour faire allusion à la
création de l’Europe, et de «
L’Europe de l’Atlantique à L’Oural
». Et malgré son engagement passé
contre l’Europe des traités, le
discours de Chevènement a été très
lissé sur ce sujet, pour ne pas dire
absent.
Une grande partie du
discours a concerné en particulier
l’Asie, le Moyen et le Proche-Orient
et aussi l’Afrique notamment la
situation en Egypte et au Mali. Il
faisait justement remarquer que sous
fond de la montée d’un islam
politique extrémiste, se développait
dans les pays développés un hyper
libéralisme tenté d’un très puissant
individualisme. Il énonçait aussi
dans le cas de la montée du
terrorisme, les effets pervers de la
Charia, la persécution des Coptes en
Egypte qu’il qualifiait pourtant
d’un sérieux candidat à devenir
l’une des nations émergentes, en
citant également le Ghana et
l’Afrique du Sud. D’une manière
étonnante, il lançait même une
surprenante déclaration sur le fait
que «
Nous sommes des puissances
musulmanes, nous la Russie et la
France », en ajoutant que le
passé commun et les populations
musulmanes de ces deux pays, les
conduisaient à bien connaître le
monde musulman.
Au-delà de la phrase
malicieuse qui fait sursauter, M.
Chevènement s’attardait longuement
sur la question malienne et syrienne
en indiquant que sur la première la
France avait répondu à un appel au
secours du gouvernement du Mali et
qu’il y avait là urgence à
intervenir pour repousser une
offensive des trois principaux
groupes islamistes, voire plus ou
moins criminels, à l’œuvre dans le
nord du Mali. Répondant à une
question il affirmait même que «
la
France ne menait pas de guerre
néo-colonialiste au Mali et n’avait
pas d’intérêts économiques à
défendre dans la région».
Concernant la Syrie, l’ancien
ministre déclarait tout aussi
fortement que «
Ni
la Russie ni la France ne
souhaitaient voir un régime
djihadiste en Syrie malgré des
points de vue différents ».
En précisant toutefois que cette
crise syrienne «
n’avait que trop duré ». A ce
sujet le développement de son
discours s’inscrivait donc
majoritairement dans la ligne
officielle de la France, en gardant
une certaine mesure à propos de la
Russie.
Une certaine mesure
remarquée par les étudiants qui à la
sortie de la conférence faisaient
remarquer à Jean-Pierre Chevènement
que durant l’ensemble de sa
prestation, ses propos avaient été
originaux par rapport à ce qui
pouvait être entendu dans les médias
français, ce à quoi M. Chevènement a
répondu de manière assez impromptue
que «
Nous assistions en France à une
certaine confiscation de la parole
par une très petite minorité qui ne
représentait qu’elle » et
d’ajouter que cette minorité en
prenant ce droit ne représentait pas
forcément les intérêts de la France.
M. Chevènement a ensuite estimé que
son opinion était beaucoup plus
répandue parmi les Français que nous
ne pouvions le croire, un avis pour
le moins détonnant, mais non
surprenant lorsque l’ancien ministre
reprenait un interlocuteur en lui
précisant qu’il ne «
faisait pas partie du gouvernement
français ».
A la lueur de cette
conférence et de ce que M.
Chevènement a déclaré durant toute
sa durée, soit dans le feu de
l’action, soit plus officieusement à
sa sortie, la Russie aura été un
thème finalement assez mineur, même
si le rôle et les liens
franco-russes ont été rappelés et de
conclure que la France ainsi que la
Russie n’aspiraient finalement qu’à
prospérer et à vivre en paix, «
les Peuples devant faire l’effort de
comprendre les autres ».
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