Si je pensais que les lecteurs
du Jerusalem Post disposaient des éléments du débat sur
l’affaire de Mohammed al-Dura, je ne ressentirais pas
aujourd’hui la nécessité d’entrer dans les détails qui
expliquent pourquoi je pense qu’il est ridicule et moralement
aveugle de prétendre que la mort du petit Palestinien a été un
"bobard", une mise en scène. S’il y en avait d’autres que moi à
écrire en anglais (a priori, rien en hébreu... ndt) contre les
adeptes de la théorie de la mise en scène, je me contenterais de
mon article al-Dura et les dingues du
complot [1],
point barre. Mais le débat sur al-Dura, au moins en anglais, est
totalement univoque. Le web est submergé d’écrits de juifs de
droite qui accumulent les "preuves" à l’appui de leurs théories
conspirationnistes, alors que les meilleurs journalistes
d’investigation, qui n’ont aucun intérêt personnel dans
l’affaire, et dont certains, à l’origine, avaient mis en doute
le fait que le jeune garçon ait été tué par l’armée israélienne,
sont passés depuis longtemps à autre chose. Alors, puisque
personne, à ma connaissance, ne défend plus la cause de la
raison et de l’honnêteté dans cette bataille à la fois acharnée
et extrêmement connotée, je suppose que je dois encore une fois
m’y coller.
Tout d’abord, je formule
de nouveau mon point de vue de base : je pense que ce sont
probablement des tireurs palestiniens, et non israéliens comme
on l’a cru au départ, qui ont tué Mohammed al-Dura et blessé son
père Jamal, le 30 septembre 2000, au carrefour de Netzarim dans
la bande de Gaza. Je n’ai jamais cru que des soldats israéliens,
avec préméditation et méchanceté, aient tiré délibérément sur un
enfant à terre et sur un père appelant à l’aide, ce qui est la
manière dont le monde musulman et la gauche dans le monde ont en
général décrit l’événement. Comme je l’ai écrit :
« Israël et le peuple juif ont le droit
d’être révoltés par la façon dont les Palestiniens et le monde
arabe ont déformé et exploité la mort du petit Mohammed al-Dura.
Ils ont pris ce qui a été, au pire, un tir israélien accidentel
et en ont fait un emblème du sadisme israélien. »
Dans l’article en question, je ne portais
aucun jugement sur le reportage du correspondant de France 2
Charles Enderlin et du caméraman Talal Abou Rahme, ni sur leur
manière de gérer les suites de l’affaire, sauf pour dire qu’il
était absurde de prétendre qu’ils avaient inventé toute
l’histoire. Mais aujourd’hui, je pense qu’on peut affirmer
qu’Abou Rahme, le seul caméraman à avoir filmé les événements, a
lancé des accusations extrêmement imprudentes contre les soldats
israéliens concernés, ce qui met en cause à la fois sa fiabilité
et le contenu de ce qu’il a rapporté à Enderlin, à savoir que
l’armée avait tiré sur al-Dura, ce qui a marqué le début de
l’affaire.
Quant à Charles Enderlin, on l’a accusé de
médiocrité, d’avoir fait obstruction [à l’enquête] et même de
mensonge, non seulement par les partisans de la théorie du
complot, mais par ces mêmes journalistes éminents cités plus
haut qui, toutefois, rejettent l’idée de la mise en scène. Après
lui avoir parlé au téléphone, je ne dis pas qu’il ait fait
obstruction, ni menti. Il a des réponses raisonnables aux
accusations qu’on a portées contre lui, et pense toujours que ce
qu’il a rapporté et qui lui a été dit par Abou Rahme (des
soldats israéliens ont tiré sur Mohammed et Jalal al-Dura) était
exact. Il a même une réponse raisonnable à ce qui semble
constituer l’accusation la plus accablante contre lui : du fait
de l’absence de rushes montrant clairement la mort du petit
Mohammed, Enderlin aurait menti toutes ces années en disant
avoir coupé au montage "l’agonie" du garçon parce que les images
étaient "insoutenables".
Dans ses réponses à mes
questions, Enderlin s’en tient à ses déclarations selon
lesquelles on peut voir l’agonie sur les rushes. Il fait
évidemment référence aux secondes de fin qui montrent un
Mohammed couché sur le ventre, levant progressivement un peu son
bras, puis le laissant tomber. « J’ai
employé le mot français ‘agonie’, différent du terme « agony »
en anglais (supplice, martyre, ndt). Nous avons montré la
cassette à un pathologiste légal en France. Selon lui, les
images collaient parfaitement à des moments qui précèdent la
mort. »
Toutefois, j’ai une
critique à l’égard de ce journaliste expérimenté. Dans son
reportage, il n’aurait jamais dû dire que les al-Dura avaient
été "visés"
par des soldats israéliens. Il aurait dû laisser planer le doute
sur l’origine (palestinienne ou israélienne) des balles.
Au début, son commentaire
dit clairement qu’il y a eu des balles qui volaient depuis les
deux directions. Il dit même que c’étaient les Palestiniens qui
avaient commencé à tirer : « Les
Palestiniens ouvrent le feu et les Israéliens ripostent. Des
conducteurs d’ambulances, des journalistes et des passants sont
pris entre deux feux » : ce n’est pas
un travail à la hache anti-israélien, cela sonne plutôt comme un
reportage impartial. Le problème est ce qu’Enderlin dit juste
après : « Jamal (al-Dura) et son fils
Mohammed sont visés par des tirs à partir d’une position
israélienne. Une nouvelle volée de balles - Mohammed est mort et
le père est gravement blessé. »
Après avoir décrit une
scène de tirs croisés entre Palestiniens et Israéliens, Enderlin
se précipite pour conclure, à partir de ce qu’Abou Rahme a filmé
et lui a dit depuis Gaza, que c’est le côté israélien qui a tiré
sur les al-Dura. Beaucoup d’autres journalistes étrangers ont
été plus prudents. « Les médias écrits
ont en général fait attention et dit que Mohammed al-Dura a été
tué dans un ‘échange de tirs entre Israéliens et Palestiniens’ »,
note James Fallows dans un article paru en juin 2003 dans la
revue Atlantic Monthly. Quoi qu’on pense de l’affaire, la phrase
déterminante d’Enderlin a constitué un jugement précipité.
Mais gardons un peu le sens des proportions.
Même si Enderlin avait dit qu’on ne savait pas exactement quel
côté était responsable de la mort de Mohammed al-Dura, l’enfant
serait quand même devenu une icône de l’Intifada. Son père
accusait les Israéliens, tous les Palestiniens accusaient les
Israéliens, et une modification de la phrase d’Enderlin n’aurait
rien changé, ni pour eux ni pour le reste du monde musulman.
Et dire que les images de Mohammed al-Dura
(comme le répète la Mena, ndt) ont déclenché l’Intifada est
aller un peu trop loin. Bien sûr, ces images ont beaucoup
soufflé sur les braises, mais l’Intifada était déclenchée depuis
la veille, quand cinq ou six manifestants palestiniens ont été
tués sur le Mont du Temple, au lendemain des émeutes au même
endroit, en réaction à la visite d’Ariel Sharon. Au moment où
al-Dura était tué et le reportage d’Enderlin diffusé, les
émeutes s’étaient étendues du Mont du Temple au reste de la
Jérusalem arabe, à la Cisjordanie et à Gaza. Les Palestiniens la
nommaient déjà "Intifada al-Aqsa". Et le jour où al-Dura était
tué, 10 autres Palestiniens étaient tués aussi, comme le
soulignait le New York Times.
Si ce malheureux enfant n’était pas devenu un
symbole, une autre victime palestinienne aurait été trouvée.
Mettre l’Intifada sur le dos de l’affaire Mohammed al-Dura
revient à accuser l’autodéfense des colons pour le meurtre de
Shalhevet Pass, un bébé de Hebron tué par un sniper palestinien.
Ce ne sont pas les martyrs qui créent les massacres, ce sont les
massacres qui créent les martyrs.
Pour en revenir à la question de savoir qui a
tiré sur les al-Dura, la raison pour laquelle je pense qu’il ne
s’agit pas de soldats israéliens réside dans le résultat
d’enquêtes, non seulement de l’armée israélienne, mais de celle
de Fallows et de trois autres journalistes respectés et n’ayant
aucun intérêt personnel dans cette affaire : Esther Shapira,
documentariste allemande, Denis Jeambar (L’Express) et Danial
Leconte, documentariste. S’ajoute le professeur en communication
Gabriel Weimann, de l’université de Haïfa, dont les étudiants
ont également enquêté sur les tirs. Leur conclusion principale
est que les al-Dura, accroupis derrière un cylindre de béton,
étaient en-dehors de la ligne de tir de la position israélienne
de Netzarim. En revanche, le père et le fils se trouvaient dans
la ligne de tir de tireurs palestiniens.
Cette conclusion est la raison principale
pour laquelle je pense que les al-Dura ont été atteints
accidentellement par des tirs palestiniens. De plus, chacun de
ces enquêteurs ont rejeté la possibilité de "mise en scène" du
tir. Cela seul justifie de jeter aux oubliettes l’idée selon
laquelle Abou Rahme, les al-Dura et une série de complices
auraient conçu un gigantesque bobard dans le seul but de salir
Israël en mettant en scène la mort d’un enfant de 12 ans.
Autant que je sache, il n’existe aucun
observateur impartial, quelqu’un qui n’ait aucun rapport avec
les médias systématiquement pro-israéliens et anti-arabes, pour
croire à la théorie de la mise en scène. Il est vrai que l’un
des partisans de cette théorie, Luc Rozenzweig, a été
journaliste au Monde, mais il est devenu un contributeur de la
Mena (Metula News Agency), un site web juif francophone qui a
été en première ligne dans la diffusion des "preuves" du bobard.
Pourtant, les appartenances et les visées
politiques des uns et des autres ne sont qu’une partie de la
raison pour laquelle je sais, autant que je puisse savoir
quelque chose, que Jamal al-Dura a réellement été blessé ce
jour-là dans la bande de Gaza, que Mohammed al-Dura a réellement
été tué et que toutes les théories du complot qui emplissent le
cyberespace juif de droite ne sont que des stupidités
anti-arabes.
Commençons par les faits simples. Le père et
le fils étaient au carrefour de Netzarim au troisième jour de
l’Intifada. Il y avait de vrais tirs entre Palestiniens et
Israéliens. Sur les rushes (visibles sur YouTube), on peut voir
des balles frapper le mur à quelque 30 cm de l’endroit où
étaient blottis les al-Dura. Il y a une tache de sang au milieu
du corps de Mohammed après qu’il a été atteint.
Ce serait mis en scène ?
Richard Landes, professeur en histoire
médiévale à l’université de Boston, explique l’impact des balles
sur le mur par le fait qu’un "tireur d’élite" aurait fait partie
de la mise en scène. Le physicien Nahum Shahaf, pionnier de la
théorie du complot dans l’affaire al-Dura, et qui s’était déjà
cassé les dents sur l’assassinat de Rabin [2],
explique la tache de sang par un "tissu rouge" caché dans la
chemise du gamin et devenu visible, donnant à la caméra
l’apparence de sang.
Bon Dieu, et il y a vraiment des gens pour
croire à des choses pareilles !
Autre raison toute simple qui conduit à
penser que la théorie de la mise en scène est idiote : le nombre
de personnes présentes, après les tirs, autour du cadavre de
Mohammed ou de son père. Combien de gens ont-ils dû être
impliqués dans ce complot ? Combien de gens cachent-ils encore
ce secret explosif ? Voyons un peu :
Les
médecins de l’hôpital Shifa de Gaza qui ont prononcé le décès de
l’enfants suite à de multiples blessures par balles, et les
médecins, infirmières et autres membres de l’équipe médicale qui
a traité Jamal pour ce que l’hôpital a déclaré être des
blessures multiples par balles ;
L’ambassadeur de Jordanie en Israël qui a emmené Jamal depuis
Gaza à Amman pour qu’il soit soigné dans un hôpital militaire ;
Les
médecins, infirmières et autres membres de l’équipe de l’hôpital
d’Amman, où Jamal est resté quatre mois ;
Les
passants autour du mur où l’on a tiré sur les al-Dura ;
La
famille al-Dura.
Et ce ne sont là que les personnes qui ont eu
une connaissance de première main de la « vérité » - que
Mohammed al-Dura était encore vivant et son père indemne, ou,
selon l’autre théorie, que Mohammed a été tué délibérément par
des Palestiniens pour en faire un emblème de l’Intifada. Mais
réfléchissons ; à part la famille al-Dura, les équipes médicales
des deux hôpitaux, l’ambassadeur jordanien et qui sais-je
encore, combien de ces complices du grand complot, proches de la
famille, amis et connaissances, ont été mis au courant ? Et à
combien de personnes supplémentaires l’ont-ils raconté ? Etc.
Parce qu’une histoire comme celle-ci, il serait difficile de la
tenir sous le boisseau très longtemps.
Alors, comment cette information inestimable
aurait-elle échappé au Shin Bet et au reste de ce qui compte en
Israël ? Comment ce scoop historique aurait-t-il échappé à tous
les médias du Moyen-Orient et au delà ?
Enfin, il faut se poser la question : si
vraiment on était dans la troisième dimension et qu’une pareille
mise en scène a pu être organisée, pourquoi Talal Abou Rahme &
Co ont-ils mis en scène cette mort-ci alors que 1) ils ne
pouvaient pas connaître à l’avance le genre de réactions qu’elle
allait susciter, et 2) Abou Rahme et d’autres cameramen
palestiniens avaient déjà filmé des milliers de Palestiniens,
enfants et adultes, tués ou blessés dans des accrochages avec
l’armée israélienne ?
C’est le problème du concept de "Pallywood"
popularisé par Landes : malgré ce qu’il affirme, les
Palestiniens n’ont pas besoin de mettre en scène des morts et
des souffrances, ils disposent d’heures et d’heures de vrai, et
ils reçoivent des éléments frais quasi quotidiennement.
Toutefois, je sais que
Jeambar, Leconte et quelques autres observateurs disent avoir
identifié dans les rushes des jeunes Palestiniens, des cameramen
et des ambulanciers mettant en scène des blessures et des
évacuations. (Encore une fois, ils soulignent que les scènes
brèves où les al-Dura se protègent des balles puis sont frappés
ne leur paraissent pas du tout mises en scène). Je n’ai pas vu
les 23 minutes de rushes qu’ont pu voir Jeambar et Leconte,
ainsi que Rozenzweig. Je n’ai vu que les 18 minutes projetées au
tribunal, ainsi que le documentaire de 14 minutes de Landes,
al-Dura, la naissance d’une icône,
visible sur YouTube.
Je dois dire que je n’ai vu ni entendu de
mise en scène, seulement du chaos : jets de pierre, tirs, fumée,
feu, gaz lacrymogène, beaucoup de jeunes Palestiniens excités
qui courent, ambulances circulant pour venir sur les lieux ou en
sortir. Au milieu de tout cela, l’idée que Talal Abou Rahme,
Jamal al-Dura, Mohammed al-Dura et leurs complices aient pu
mettre en scène un tir fatal est au-delà de ce qui est crédible.
Mais pour les partisans de la théorie du
complot, c’est simple comme bonjour.
Par exemple, quand Abou Rahme tient deux
doigts devant la lentille tout en filmant les al-Dura, c’est le
caméraman qui fait un signe de "deuxième prise", d’après le
commentaire du documentaire de Landes.
Autre exemple ; quand un
groupe de jeunes Palestiniens passent en courant devant les
al-Dura alors que le père et le fils restent accroupis devant le
mur, le commentaire pose la question (sur fond sonore de tirs) :
"Se sauvaient-ils ou nettoyaient-ils
le décor ?"
Les théories du complot sur l’affaire al-Dura
sont délirantes et irrationnelles, mais elles sont aussi plus
(ou moins), que cela : elles sont indécentes. Pour croire que le
gamin est toujours en vie et que le père n’a jamais été atteint
par une balle, il faut supposer que tout Palestinien, du plus
haut au plus bas placé, est le pire des menteurs imaginables, et
que quand des Palestiniens agissent ensemble, ils inventent des
bobards et des camouflages d’un génie et d’une précision
surhumains. Pour croire que les balles n’ont même jamais touché
les al-Dura, il faut réfuter tout ce qui ne colle pas à cette
théorie de la nature irrémédiablement mauvaise du comportement
des Palestiniens en disant : quelqu’un ment, ou quelqu’un couvre
un mensonge.
Par exemple, Karsenty et
Landes n’ont aucun mal à résoudre l’énigme d’un Jamal al-Dura,
indemne ce jour-là à Gaza, repose pendant quatre semaines dans
un hôpital militaire d’Amman, jouant sa guérison devant les
caméras, et même à l’occasion de la visite du roi Abdallah.
« Quant aux médecins de l’hôpital
d’Amman », ont-ils écrit,
« une fois que l’histoire a ‘pris’, qui
étaient-ils pour dénoncer un coup si fort et si réussi contre
Israël ? Comme Enderlin, une fois qu’ils ont découvert qu’il
s’agissait d’une falsification, ils n’ont pas pu le reconnaître
publiquement. »
Karsenty et Landes se satisfont vraiment de
cette explication. Quels détectives rigoureux ils font.
Maintenant, si l’on croit à l’autre théorie
du complot (les Palestiniens ont perpétré l’assassinat planifié
du gamin à fins de propagande), non seulement il faut supposer
que les Palestiniens sont par nature des menteurs diaboliques,
mais encore qu’ils sont par nature de diaboliques assassins
d’enfants. Il faut être convaincu du fait que même le père du
petit Mohammed, sa mère et tout le reste de la famille al-Dura
coopèrent.
Alors, ça suffit, les dingues du complot. Ce
que vous faites est dégoûtant. Et vous n’aidez pas non plus la
cause d’Israël, vous lui nuisez. A part dans la chambre d’écho
des juifs de droite, vous donnez une très mauvaise image
d’Israël.
Je signale à tous ceux que cela intéresse
qu’il existe une défense très raisonnable et honnête de la
conduite de l’armée israélienne dans cette affaire. Elle est
l’œuvre de gens comme James Fallows, Esther Shapira, Denis
Jeambar, Daniel Leconte et Gabriel Weimann. De plus, je pense
que leurs efforts auront eu un résultat. A mon avis, les
journalistes, de façon générale, ne pensent plus qu’al-Dura a
été tué par des balles israéliennes, et cette histoire leur a
donné une leçon de prudence.
Une dernière chose sur les
théories du complot. Il y a plusieurs années, j’interviewais
quelqu’un qui était convaincu que le Shin Bet, ou Shimon Peres,
ou les deux, étaient derrière l’assassinat de Rabin. L’homme
soulevait un détail qui, à son avis, ne trompait pas : place des
Rois d’Israël (devenue place Rabin), peu après l’assassinat,
« il y avait des centaines de bougies
de yahrzeit [3]
qui brûlaient. Or, dans la plupart des foyers, il y a un maximum
d’une bougie de yahrzeit. On était samedi, tous les magasins
étaient fermés, on ne pouvait donc pas en acheter autant.
Comment sont-elles arrivées si vite sur la place ? Il n’y a pas
d’autre explication à part le fait qu’elles avaient été
préparées à l’avance. »
J’étais sur la place cette
nuit-là. Je me suis rappelé quantité de bougies de yahrzeit qui
brûlaient, mais surtout de bougies de Hanouka.
« Dans une boîte, il y a, quoi, 20 bougies de
Hanouka ? », ai-je dit.
« La plupart des familles ont chez elles une
boîte ou deux. Combien de gens avec une boîte de bougies de
Hanouka fallait-il pour allumer la place ? Pas tant que ça. »
Le type a réfléchi un
moment, puis a dit : « C’est un point
intéressant. Nous allons nous pencher là-dessus. »
Les théoriciens du complot al-Dura ont à leur
disposition un nombre infini de détails révélateurs et de
contradictions accablantes. Ni moi ni personne ne peut tous les
expliquer, car pour ce faire, il faudrait prouver tout ce qui
s’est passé à chaque moment à chaque endroit et ce qu’a pensé
chacun des cerveaux des participants, ce dont personne n’est
capable.
Mais, chaque événement historique, depuis
l’assassinat de Lincoln au 11 septembre en passant par
l’alunissage, ayant son lot de théories du complot, ayant tous
des tonnes de détails révélateurs et de contradictions
accablantes, il n’y a aucune raison de prendre celle-ci plus au
sérieux.
Il y a une explication simple et raisonnable
à ce qui s’est passé : le garçon et son père, qui se
protégeaient de la direction de la position israélienne, ont été
pris sous le feu de tirs croisés. Abou Rahme et Enderlin se sont
précipités pour conclure qu’ils ont été atteints par des tirs
israéliens. Le petit Mohammed est devenu une icône de l’Intifada
et l’histoire a été frénétiquement déformée dans le monde
musulman pour diaboliser Israël et donner aux Palestiniens du
cœur au combat.
Alors, il n’y a nul besoin d’avoir recours à
des bobards extraordinaires pour expliquer ce qui s’est passé,
en particulier des bobards qui diabolisent les Palestiniens. La
vérité, au moins dans ce cas précis, n’a rien d’extraordinaire
du tout.
S’il y a des gens qui veulent prouver que
Mohammed al-Dura est toujours vivant, qu’ils le produisent. S’il
y a des gens qui veulent prouver que des Palestiniens l’ont
délibérément assassiné, qu’ils commencent par produire au moins
un témoin. En attendant, ce dossier doit être fermé
définitivement.