Afrique noire
Mali:
Sempiternelle ritournelle ?
Koro
Traoré
Photo: RIA
Novosti/©
AFP/ Habibou Kouyate
Lundi 26 mars 2012
En soixante-deux ans d’indépendance, le
Mali a été dirigé pendant trente-trois
ans par des militaires, 23 ans de
dictature musclée sous Moussa Traoré
(1968-1991) et dix ans de bureaucratie
militaire laxiste sous Amadou Toumani
Touré (2002-2012).
Le nouveau coup de force des jeunes
officiers, le 22 mars 2012, à quarante
(40) jours du 1er tour de
l’élection présidentielle de 2012 et à
quatre jours du 21me anniversaire de
l’éviction de Moussa Traoré, paraît
devoir plonger le pays dans une nouvelle
zone de turbulence.
Comme si trente-cinq ans après le
meurtre symbolique du père fondateur de
la nation, Modibo Keita, précisément par
des militaires, le Mali paraît happé par
une nouvelle spirale de violence, lourde
d’incertitudes, comme si ce pays était
voué à une errance faute d’avoir expié
cet acte sacrilège.
Héritier d’un triple empire, l’Empire du
Ghana, l’Empire du Mali et l’Empire
Songhaï,
foyer historique de l’Empire
Mandingue qui forgea sous Soundiata
Keita, la Charte du Mandé,
lointaine préfiguration des règles de
bonne gouvernance moderne, le Mali vit
la nouvelle irruption touarègue comme
une réminiscence cauchemardesque de
l’invasion de 1076 qui vit la
désintégration de l’Empire Songhaï
d’Askia Mohammad, sous le coup de
boutoir des forces berbères
déferlant d'Afrique du Nord pour
islamiser l’Afrique occidentale.
Contrecoup de
l’élimination de Mouammar Kadhafi, le
Mali subit de plein fouet les effets du
reflux massif des groupes armés
Touareg de Libye. Recrutés pour
sécuriser le sud de la Libye et soutenir
la croissance économique libyenne, en
véritables soldats laboureurs dans
l’optique de Kadhafi,
leur reflux massif vers leur
ancienne zone de déploiement au Mali et
au Niger, a provoqué une modification de
la donne régionale.
Anciens vigiles de
l’empire islamique, dont ils
constituaient avant terme les forces de
déploiement rapide, les Touaregs,
littéralement en arabe, «Al- Tawareq-Les
urgences»
caressent le projet de détacher
du Mali, le territoire de l’Azawad, dans
le nord du pays.
Géographiquement,
à des milliers de kilomètres de
la capitale malienne, Bamako, en
concurrence avec Al-Qaeda au Maghreb
islamique (AQMI), le Mouvement national
de libération de l'Azawad (MNLA) a
développé
à Ménaka, Gao et Tombouctou, une
action en vue de réunifier, sous son
égide, l'ensemble des populations
azawadies dans toutes leur composantes:
Songhay, Touareg, Arabes, Peuhls, afin
de réussir l'Unité du Peuple de l'Azawad.
Jouant de l’effet
de surprise, visant tout à la fois à
crédibiliser ses revendications, à
impressionner la population, Ansar Ed
Eddine, (partisans de Dieu) ont infligé
une série de revers militaires aux
troupes gouvernementales, fragilisant
considérablement le pouvoir central, en
révélant au grand jour son impéritie.
La première alerte
aura été l’humiliante défaite
d’Aguelhok, où la base de l‘armée est
tombée le 24 janvier 2012, faute
de munitions. Galvanisés par ce premier
succès inattendu, Ansar Ed Edine
enfoncera le clou en portant une
estocade stratégique à Tessalit, lieu
d’une bataille décisive, dans une ville
stratégique, proche de la frontière
algérienne et dotée d'une base et d'un
aérodrome militaire.
Trois unités de
l’armée ont dû
battre en retraite en Algérie, le
4 mars, laissant le contrôle de la base
et de l'aérodrome aux mains du MNLA,
laissant sur le terrain un fort
contingent de tués et blessés, sans
compter les prisonniers et les
déserteurs.
En deux mois de
combats, l'armée malienne a perdu le
contrôle de la plus grande partie de l'Azawad,
avec des pertes de militaires tués,
capturés ou déserteurs estimées à au
moins un millier d'hommes.
Se superposant aux
camouflets successifs infligés par la
France et la Mauritanie dans leur
exercice du droit de poursuite des
combattants d’AQMI sur le territoire
malien, la perte du camp militaire d’Amachach,
le 10 mars 2012, dans la région de
Kidal, humiliation suprême, a installé
un climat de méfiance jusqu’au plus haut
niveau de l'armée malienne.
Le général Gabriel
Poudiougou, chef d’état-major général
des armées, ivre de colère face au
rapatriement par l’Algérie, le 16 mars
dernier, de plus de 100 militaires
maliens à l’aéroport de Bamako, a
ordonné le retour sur le champ des
combattants sur le front de GAO,
les menaçant du peloton
d’exécution devant ce deuxième
rapatriement de militaires maliens par
l’Algérie depuis janvier.
Les combats ont
provoqué l’exode de déjà près de 195.000
personnes depuis la mi-janvier 2012,
selon l'OCHA, le Bureau de coordination
des Nations unies pour les affaires
humanitaires, accentuant la crise
alimentaire qui frappe près de trois
millions de Maliens du fait
de la sécheresse prolongée dans
le nord du pays.
Face aux revers successifs de l’armée,
la crise politique et sociale qui se
profilait
et menaçait d’emporter le pays,
un groupe d’intellectuels conduit par la
prestigieuse militante Aminata Traoré,
ancien ministre de la Culture, a donné
de la voix proclamant leur opposition au
démembrement du Mali, dénonçant au
passage la démoralisation des
combattants et leur démotivation (Cf. en
annexe documentaire le texte du
manifeste).
Latent depuis la décennie 1990, le
conflit entre le Nord et le Sud du Mali
s’est exacerbé avec l’effondrement de la
Libye et son passage, par une
invraisemblable légèreté occidentale,
sous gouvernance islamique avec
l’intervention de l’Otan.
Une exacerbation amplifiée par
la volonté prêtée à un ancien
dirigeant touareg Iyad Ag Ghali de
vouloir instaurer la Charia au Mali et
surtout le laxisme du président
Amadou Toumani
Touré, que ses détracteurs
accusent d’avoir utilisé des Touaregs de
Libye pour contrer la rébellion du nord
du Mali, suscitant la méfiance des
officiers de grades intermédiaires.
L’opposition malienne reprochera à ATT
son népotisme, son corporatisme, sa
gestion laxiste du pouvoir d’Etat, la
gabegie de son administration agrémentée
de corruption. Celui qui passait pour
l’homme de la relève en phase de
transition démocratique en a payé le
prix. Déposé par ses frères d’armes de
la même manière qu’il avait procédé avec
son prédécesseur Moussa Traoré.
En contradiction avec son rôle premier,
Amadou Toumani Touré, à l’époque colonel
dans l’armée, avait en effet été
l’instrument décisif du premier
printemps africain en prenant la tête
d’un Conseil de transition pour le salut
du peuple qui se retira sagement au bout
d’un peu plus d’un an, au profit
des civils et d’élections pluralistes.
Sombre présage, le coup d’Etat de ce
quarteron de sous-officiers du camp
militaire de Kati, à 15 kms de Bamako,
s’est surtout
traduit par des pillages dans les
ministères et les commerces privés.
Face au double défi représenté par le
réveil de la révolte touareg, encadrée
notamment par le Mouvement national de
libération de l’Azawad (MNLA) et
l’activisme des katibas d’AQMI (Al-Qaïda
au Maghreb islamique), le Mali risque
fort d’en sortir très affaibli,
confronté à la progression quasi
quotidienne de l’offensive touareg dans
le Nord.
Une sanctuarisation d’AQMI dans une
région saharo-sahélienne dont la chute
de Kadhafi a accentué la
déstabilisation, amplifiée de surcroît
par la circulation d’un arsenal
consistant, entraînerait un
bouleversement géostratégique de la zone
aux confins de six pays (Algérie, Libye,
Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal) de
l’ancienne Afrique occidentale
francophone.
Près de quarante partis politiques se
préparaient à se disputer le
suffrage des Maliens, pays au
nationalisme chatouilleux, partisan d‘un
panafricanisme résolu et d’un non
alignement revendiqué et assumé, affligé
toutefois d’un parlementarisme hérité
des pratiques corrosives de la défunte
IIIème République française.
Classé parmi les pays les moins avancés
de la planète, le Mali
s’enorgueillissait en revanche d’une
expérience démocratique, très imparfaite
mais réelle, inaugurée en mars 1991 avec
le renversement du régime du général
Moussa Traoré.
Face à un monde arabe en ébullition, une
Europe en crise systémique, faute d’une
refonte drastique du système politique
malien visant à l’instauration d’un
pouvoir exécutif fort, avec de solides
contrepouvoirs, à défaut d’un sursaut
moral, le Mali risque de plonger dans
une longue crise de langueur.
Crise à tous égards inopportunes ; alors
qu’il a, paradoxalement, vocation à
constituer, de par son histoire et sa
configuration géographique, l’épicentre
d’un nouvel ensemble confédéral,
antidote à la balkanisation de l’Afrique
et barrage contre les ingérences
occidentales et de leurs alliés pétro
monarchiques, tant l’Arabie saoudite par
ses achats massifs de terres arables que
les autres émirats dont le vecteur de
pénétration est le salafisme sous
couvert de finance islamique.
Effet d’endoctrinement, d’embrigadement,
d’entrainement par émulation, de
mimétisme, de zèle prosélyte ou
de lubrification
des rapports ? Quoiqu’il en soit,
trois des principaux dirigeants de la
rébellion proviennent du corps
diplomatique malien ayant servi dans les
monarchies pétrolières, conséquence de
la stratégie erratique occidentale et de
l’instrumentalisation de la religion
musulmane à des fins politiques et de
l’impunité pétro-monarchique de la part
des pays occidentaux.
Un an après l’intervention militaire
occidentale contre la Libye, l’onde de
choc libyenne ne cesse de faire sentir
ses effets avec la déstabilisation du
pré-carré africain de la France, la
contestation
de
la dynastie Wade au Sénégal et la
prolifération islamiste dans la zone
sahélienne.
En ces heures périlleuses, il
est à espérer que le coup de
poker des putschistes fasse l’effet d‘un
électrochoc à l’effet de réveiller la
conscience civique des Maliens et à les
inciter, les militaires, à la défense de
la Patrie, et, les civils à la défense
de la République et de la Démocratie.
Enrôler les islamistes d’Al Qaïda pour
combattre l’athéisme de l’Union
soviétique, avant de mener une guerre
décennale contre le terrorisme de leur
ancien allié d’Al Qaïda, pour finir par
faire intervenir enfin l’Otan pour
instaurer la charia en Libye, …….on
aurait rêvé meilleure perspicacité de la
part d’un hémisphère qui se réclame de
l’intelligence athénienne, de l’ordre
romain et du rationalisme cartésien
français.
Un peu d‘intégrité et de perspicacité
auraient pu épargner au Mali une
nouvelle épreuve, dans ces
circonstances-là, de même qu’un zeste de
sagesse africaine aurait fait,
sans nulle doute, un peu de bien à
l’humanité.
Auteur de «L’Afrique en procès
d’elle-même»-Editions Golias,
Koro
Traoré
est
titulaire d’un diplôme de l’ENA de Paris
(Promotion Mahatma Gandhi, Strasbourg,
2011).
Ancien
chargé de mission à la Présidence
de la République malienne en tant
qu’assistant du Secrétaire Général
(2002-2008), puis chargé de mission au
Cabinet du Premier ministre (2008-2009)
Le dossier Afrique noire
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