Opinion
Israël et la Syrie
en "guerre de voisinage"
Konstantin
Bogdanov
© AFP/
SANA
Mardi 7 mai 2013
Source:
RIA Novosti
Israël se remet à lancer des raids
aériens sur la Syrie, ce qui peut être
directement interprété comme une aide au
profit de l'opposition syrienne.
Cependant le rôle et l'intérêt de l’Etat
hébreu dans le conflit syrien est plus
complexe.
Chronique
d'une guerre non déclarée
L'armée de l'air israélienne a
attaqué la Syrie les 3 et 5 mai 2013. Il
n’y a toujours aucune description sensée
des événements et les communiqués de
l'opposition syrienne, rapportés par les
médias, ne sont pas du tout plausibles :
l'attaque de 18 avions contre 43 cibles
à la fois sans pénétrer dans l'espace
aérien de la Syrie ne peut être qu'une
forte exagération.
Israël ne commente pas les
communiqués annonçant que ces attaques
visaient les missiles iraniens Fateh 110
envoyés au Liban via la Syrie et
destinés au Hezbollah. Ces informations
ont été rapportées par l'agence Reuters,
qui se réfère à des sources chez les
renseignements occidentaux. Quant à
l'Iran, il nie tout en bloc.
L'attaque israélienne contre la Syrie
n'est pas la première cette année. Selon
diverses informations, les alentours du
centre de recherche de Jamraya avaient
déjà essuyé des frappes aériennes le 30
janvier dernier (selon d'autres sources
un convoi transportant des armes aurait
été attaqué par l'aviation). Dans le cas
présent le scénario se répète : d'après
la presse la première attaque avait pour
cible un convoi et celle du 5 mai visait
les environs de Jamraya.
De quoi s'agit-il ? D'une guerre?
Israël tente-t-il de frapper dans le dos
son ennemi juré ? C'est ainsi qu'on le
perçoit. A moins d'y regarder de plus
près.
Des alliés en
guerre
La partie la plus originale de cette
mise en scène est qu'Israël est
pratiquement le seul pays de la région –
avec l’Iran - à n’être absolument pas
intéressé par la chute du régime
alaouite des Assad.
Selon une opinion largement répandue,
Tel-Aviv ne peut pas s'endormir sans
mettre des bâtons dans les roues de
Syriens mais, malheureusement pour les
adeptes de cette légende, cette idée est
infondée.
La présence à Damas d'un régime
d’officiers, certes hostile mais
centralisé et laïque, est extrêmement
désagréable. Mais quelle alternative est
possible ? Le chaos, la poursuite de la
guerre civile en Syrie, la perte d'un
contrôle élémentaire, des armes en
nombre et changeant de mains constamment
ou encore la transformation du pays en
foyer d'extrémisme islamique.
Le choix est affligeant mais sans
compromis.
Israël se comporte de façon cynique
mais totalement rationnelle et
pragmatique : la Syrie n'est plus
considérée comme un Etat intègre et
contrôlé mais plutôt comme un espace
géophysique politiquement déstructuré.
Divers acteurs s’y déplacent, avec des
occupations variées – et les affaires de
certains d'entre eux sont loin de plaire
à Israël.
Jusqu'à présent, Israël ne pouvait
pas se permettre d'éliminer tous les
convois transportant des armes
iraniennes pour le Hezbollah par la
Syrie. Mais l'affaiblissement
significatif du régime permet à Tel-Aviv
de renforcer la pression sur ses ennemis
de longue date, qui se sont établis en
Syrie avant la vague de guérilla
actuelle.
Vague de guérilla qui, d’ailleurs,
est de plus en plus tournée vers l'islam
politique radical.
Par exemple, l'un des mouvements qui
combat Assad en Syrie, Jabat al-Nousra,
vient d'être inscrit dans la liste
américaine des organisations terroristes
et d'ici peu elle fera également partie
de celle de l'Onu. Ce mouvement se
considère ouvertement comme une branche
d'Al-Qaïda et reconnaît officiellement
l'autorité d'Ayman al-Zawahiri, le
successeur d'Oussama Ben Laden.
La chimie de
la politique proche-orientale
L'histoire très trouble de
l'utilisation de l'arme chimique en
Syrie est un exemple classique de ce
qu'Israël devrait réellement craindre.
Depuis décembre 2012, on compte au moins
quatre cas de ce genre, y compris le 19
mars 2013 à Alep.
La destruction des armes chimiques dans
le Monde
© RIA Novosti
Qui a utilisé cette arme ? La
question est ambiguë. Damas a annoncé
qu’il s’agissait de l'opposition et
cette dernière a "retourné le
compliment" au gouvernement. La première
vague médiatique a évidemment accusé
Assad d'avoir utilisé l'arme chimique
mais cette théorie s'est rapidement
noyée : quelque chose ne collait pas.
A l'heure actuelle les observateurs
disposent du témoignage de Carla del
Ponte, ex-procureur général de la
Suisse, qui a marqué à ce poste la
population russe en participant à
l'affaire Mabetex, puis a occupé le
poste d'accusateur principal au Tribunal
pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (TPIY). Actuellement,
del Ponte est membre de la commission de
l'Onu pour enquêter sur les violations
des droits de l'homme en Syrie.
Elle a littéralement déclaré que les
rebelles avaient utilisé des armes
chimiques - du gaz sarin - tout en
précisant que la commission avait des
soupçons forts et concrets mais pas
encore de preuves incontestables. Quant
à l'utilisation de l'arme chimique par
le gouvernement, selon
del Ponte, aucune preuve n'a encore été
découverte.
Pour l'Occident, la situation
syrienne passe progressivement dans une
phase de "dissonance cognitive". D'une
part : le printemps arabe, les
combattants pour la liberté, la
démocratie et d'autres catégories.
D'autre part : l'extrémisme islamique,
le terrorisme, Al-Qaïda et d'autres
phénomènes flous ressentis de près par
les Américains. Notamment après les
récentes explosions à Boston, après
lesquels la presse américaine a
immédiatement associé l’islamisme avec
les événements actuels en Syrie.
Le tout alors que les capacités
d’intervention des USA en Syrie se
réduisent et que l'activité des milieux
islamistes du Qatar et d'Arabie
saoudite, qui se sont distingués en
Libye, se renforce.
Le mélange est tel qu'on ne voudrait
s'en approcher en aucun cas.
La fourchette
syrienne
Maintenant, mettez-vous à la place du
gouvernement israélien. Quelque chose de
très louche, saupoudré d'islamisme
radical, se prépare au nord du plateau
de Golan dans une Syrie hostile mais
compréhensible, habituelle et
prévisible.
Si tout cela débordait, on se
retrouverait avec la plus grande
"basse-cour de l'anarchie" du
Proche-Orient, en lieu et place d'un
Etat autrefois centralisé. Des individus
erreraient sans but et le contrôle
serait minimal.
Aujourd’hui, une partie de ces
individus utilise déjà des armes
chimiques venues de nulle part. Du gaz
sarin plus précisément, un produit
neuroparalytique largement répandu dans
les arsenaux chimiques actuels.
On se retrouve donc dans une position
où n'importe quelle action entraînera
forcément la détérioration de la
situation. En principe, Tel-Aviv
souhaite de tout cœur que le pouvoir de
Bachar al-Assad tombe au plus bas mais
qu'il reste en place et maintienne le
contrôle du territoire syrien.
Au final, le régime alaouite serait
plus conciliant dans les négociations
informelles et se concentrerait sur les
problèmes intérieurs en cessant de
s'ingérer activement dans la politique
libanaise, par exemple, et en réduisant
probablement son soutien au Hezbollah
qui irrite tant Israël.
Cependant, Israël ne peut pas se
prononcer en faveur d'Assad même si
cette idée audacieuse venait à l'esprit
du gouvernement israélien. Pour cette
raison, il ne reste qu'à viser les
activistes du Hezbollah qui transportent
les armes au Liban par le territoire
syrien en profitant de l'impuissance des
autorités syriennes.
Et surtout ceux qui témoignent un
intérêt malsain pour les entrepôts
militaires syriens. Seuls les aveugles
sont passés à côté du renforcement
militaire considérable des islamistes du
Sahel, qui a failli provoquer une
catastrophe au Mali. Cela a également
entraîné le pillage des entrepôts
militaires du régime de Kadhafi en
Libye. Il faut éviter de relancer cette
histoire au Proche-Orient.
Le gouvernement syrien sait que, dans
la situation actuelle, il est incapable
de riposter sérieusement contre Israël
et surtout qu’il n'a aucune raison de le
faire. Pourquoi ?
Cela n'améliorera pas la situation
intérieure du régime d'Assad et ne
renforcera pas ses positions dans la
lutte contre les insurgés sunnites.
Damas n'est pas non plus prêt à le
reconnaître : cela anéantirait
simplement les restes d'autorité du
gouvernement vacillant aux yeux de la
population.
On se retrouve donc avec une sorte de
"guerre" entre deux ennemis-alliés, un
mélange d'inutile et de désagréable.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 10 mai 2013 avec l'aimable
autorisation de RIA Novosti.
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