Opinion
Achat par Israël
de sous-marins à Berlin:
scandale dans la classe politique
allemande
Konstantin Bogdanov
© RIA
Novosti - AFP/GETTY IMAGES NORTH
AMERICA/SPENCER PLATT
Mardi 5 juin
2012
La presse allemande
a fait éclater au grand jour une
histoire sensationnelle: il s'est avéré
que l'Allemagne livrait à Israël des
sous-marins capables de lancer des
missiles nucléaires. Ce scandale
retentissant a déjà attiré l'attention
des députés du Bundestag. L'histoire qui
semblait uniquement intéresser l'opinion
publique allemande pourrait exercer un
impact extrêmement négatif sur la
situation au Proche- et au Moyen-Orient.
Un scoop nucléaire
dans un ciel serein
Les journalistes allemands ont ouvert
les yeux de l'opinion publique sur les
particularités de la coopération
militaire et technique entre l'Allemagne
et Israël. Selon le magazine Der
Spiegel, le gouvernement allemand livre
à Israël des sous-marins du type Dolphin
capables d'être équipés avec des armes
nucléaires.
La une du magazine représentant la
chancelière fédérale Angela Merkel avec
un sous-marin en toile de fond est
manifestement destinée à ne laisser
aucun doute sur la protagoniste du
scandale.
La publication de l'article est
apparemment liée à la remise le 3 mai
2012 à la marine israélienne du
sous-marin Tanin, quatrième sous-marin
diesel-électrique du type Dolphin. Les
trois autres avait été reçus par Israël
en 1999 et en 2000.
Selon Der Spiegel, les sous-marins de ce
type peuvent être équipés avec des
missiles de croisière nucléaires de
longue portée. Rappelons qu'Israël n'a
jamais reconnu officiellement qu'il
possédait des armes atomiques mais les
experts militaires qualifient l'Etat
hébreu de puissance nucléaire de facto
au moins depuis le début des années
1970.
Après avoir pris connaissance des
révélations sensationnelles des
journalistes allemands, on pourrait se
sentir perplexe, toutefois moins par la
monstruosité de l'entente cynique du
gouvernement de Berlin avec la machine
de guerre israélienne que par le lien
entre le scoop, le moment et le lieu de
sa publication. Que se passe-t-il donc
Un scoop
tout frais sentant la naphtaline
L'histoire de la conception par Israël
d'un missile nucléaire de longue portée
lancé à partir d'un sous-marin remonte
au milieu des années 1990. Après que la
Maison blanche dirigée par Bill Clinton
avait fait comprendre que les Etats-Unis
ne fourniraient pas à Israël de missiles
de croisière de longue portée Tomahawk
(sous le prétexte traditionnel de ne pas
vouloir déstabiliser la région), l'Etat
hébreu a procédé à la conception de ses
propres missiles de ce type.
Le système, dont le nom de code serait,
selon certaines sources, Popeye Turbo
SLCM (Submarine-launched Cruise
Missile), a été créé sur la base du
missile de croisière air-sol Popeye
(connu également des experts américains
en tant que AGM-142). Sa principale
particularité, hormis le lancement à
partir d'un sous-marin, a été une portée
augmentée par rapport à la version
Popeye II, à savoir 900 milles marins au
lieu de 200.
Toutefois, le premier tir d'essai visant
à établir la portée maximale du missile
a eu lieu dès 2000 dans l'océan Indien
(depuis des sous-marins du même type
Dolphin que ceux qui viennent d'être
livrés à la marine israélienne). Et
c'est à cette époque que remontent les
soupçons selon lesquels ces missiles
étaient destinés à devenir des vecteurs
d'ogives nucléaires.
Il est difficile de comprendre pourquoi
les yeux de l'opinion publique allemande
ne se sont dessillés que douze ans plus
tard. On peut seulement émettre des
hypothèses et réfléchir aux éventuelles
conséquences de ce phénomène.
Les pots
allemands cassés dans la cuisine
proche-orientale
Chaque épisode composant cette histoire
est clair et décrit depuis longtemps. La
seule question est de savoir ce qui est
à l'origine de la réanimation
aujourd'hui d'un sujet antédiluvien lié
à l'armement nucléaire israélien.
Aucune raison apparente ne peut être
retracée pour expliquer la dynamisation
des attaques contre la coopération
militaire et technique entre l'Allemagne
et Israël. Certes, cette année leur
coopération dans le domaine des
sous-marins a cessé d'être au point
mort. Après des années au cours
desquelles les parties négociaient
intensément et que Berlin avançait des
revendications politiques concernant les
territoires palestiniens (largement
ignorées par Israël), l'Etat hébreu a
fini en mars 2012 par commander un
nouveau, le sixième du nombre,
sous-marin du type Dolphin.
Il est à noter que la publication dans
Der Spiegel (connu pour ses relations
étroites et de longe date avec la gauche
allemande) a été instantanément reprise
par l'opposition de centre-gauche au
parlement, à savoir par les
sociaux-démocrates et les Verts. Les
deux ont crié au scandale en accusant
pratiquement leur gouvernement allemand
de fournir des armes nucléaires à
Israël.
Le Chancellerie fédérale allemande a
réagi à ces insinuations de manière
relativement irritée ce qui n'a fait
qu'attiser le feu. Le porte-parole du
gouvernement allemand Steffen Seibert a
déclaré qu'au moment de la remise à
l'armée israélienne, les sous-marins
n'étaient pas équipés d'armes
nucléaires. Et que les équipements
installés par la suite ne concernaient
pas le gouvernement allemand. Et que
l'Allemagne se sentait en général
particulièrement concernée par la
sécurité de l'Etat hébreu.
Au final, on a une impression tenace
qu'il s'agit d'une histoire qui ne
concerne que la politique intérieure
allemande: l'opposition a tenté de
s'attaquer une nouvelle fois à la
coalition de centre-droit au pouvoir
réunissant les démocrates-chrétiens et
les libéraux-démocrates dans un contexte
d'élections fédérales qui s'approchent
(elles auront lieu en automne 2013).
Rappelons que pas plus tard que trois
semaines auparavant, la coalition au
pouvoir a été battu à plate couture aux
élections régionales anticipées en
Rhénanie-du-Nord-Westphalie. L'histoire
a été tellement désagréable et
inattendue que la chancelière Angela
Merkel a remercié sans autre forme de
procès le ministre fédéral de
l'Environnement Norbert Röttgen, tête de
liste des démocrates-chrétiens aux
élections régionales.
Il est très probable qu'enhardie par ce
succès impressionnant, l'opposition a
décidé de ne pas s'arrêter en si bon
chemin. Certes, les moyens avec
lesquelles le centre-gauche attaque le
gouvernement Merkel pourraient paraître
douteux à certains.
Et on ignore complètement comment
l'orage médiatique qui a éclaté en mai
en Allemagne et au cours duquel ont été
évoqué les mots clé "Israël" et
"armement nucléaire" se répercutera sur
la situation au Proche-Orient. Or, cette
dernière n'incite pas souvent ces
derniers mois les observateurs à
utiliser à tout bout de champ les termes
de "stabilisation" et de "prospérité".
© 2012
RIA Novosti
Publié le 5 juin 2012
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