Les amis belges de Shalom Archav
Un
gouffre entre les perceptions juive et arabe en Israël
Yossi Alpher
Yossi Alpher
13 janvier 2008
[Un gouffre sépare Juifs et
Arabes israéliens quant à leur conception de l’avenir de
l’Etat. Le courant dominant arabe israélien rejette l’identité
d’Israël comme Etat juif. Cette approche suscitera inévitablement
des tensions entre Juifs et Arabes en Israël.]
Un gouffre sépare la majorité
juive du pays et les citoyens arabes israéliens quant à leur
perception du futur d’Israël. C’est un des effets les plus
troublants du processus de paix entamé à Oslo en 1993. Ce fossé
est plus profond que jamais. En témoigne l’attitude des Arabes
israéliens envers le renouveau actuel des négociations entre
Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Voici quelques années seulement,
la communauté des Arabes israéliens se présentait elle-même
comme un « pont » vers la paix entre Israël et les
Palestiniens représentés par l’OLP. Elle était perçue comme
telle par certains milieux juifs. Aujourd’hui, elle fait partie
du problème, non de sa solution.
Pis : des éléments de la
communauté arabe israélienne semblent avoir adopté des
positions plus extrêmes que celles du leadership palestinien avec
qui Israël négocie. Pour preuve, par exemple, la posture
activiste de certains secteurs du mouvement islamiste arabe israélien
quant au droit d’Israël à exister. Ou leur « appropriation »
du plaidoyer musulman relatif au problème du Mont du Temple /
Haram al-Sharif. Observez la position du courant dominant arabe
israélien. Dans une série de déclarations de principes publiées
l’année dernière, il rejette l’identité d’Israël comme
Etat juif. Certes le leadership OLP/Autorité Palestinienne à
Ramallah refuse lui aussi de reconnaître qu’Israël est un Etat
juif. Mais il est presque moins tonitruant dans son rejet que la
majorité du leadership arabe israélien.
Ici réside l’expression
fondamentale du gouffre évoqué plus haut. Tout comme le lien
principalement négatif entre la relance d’un processus de paix
et les citoyens arabes d’Israël. Aux yeux des Juifs israéliens,
une dynamique très problématique s’est développée ces sept
dernières années dans la sphère israélo-palestinienne. Elle a
pour caractéristique l’intransigeance arabe à Camp David sur Jérusalem
et sur le droit au retour, l’éclatement de la Seconde Intifada
et en particulier les attentats suicides, et les révélations
quant au « retour » informel vers les villes et
villages arabes israéliens de quelque 100.000 Palestiniens
originaires de Cisjordanie et de Gaza. Ces faits et d’autres
connexes ont persuadé la majorité de l’opinion juive israélienne
que le but de feu Yasser Arafat, légué au Président Mahmoud
Abbas et relayé par lui, est éventuellement de « palestiniser »
Israël.
De plus en plus, l’opinion
majoritaire israélienne perçoit le concept palestinien de
solution à deux Etats de la manière suivante : un Etat
palestinien en Cisjordanie et à Gaza, et un Etat nommé Israël
habité par des Juifs et par un nombre grandissant d’Arabes
palestiniens. Ceux-ci, par croissance démographique naturelle
couplée à un retour officiel et clandestin, pourront éventuellement
devenir majoritaires. La notion d’Israël comme Etat juif,
contenue dans les articles des actes constitutifs d’Israël, en
particulier la Résolution 181 du 29 novembre 1947 de l’Assemblée
Générale des Nations Unies, s’oppose à cette orientation.
Pendant qu’il discute avec Israël
de matières comme la sécurité et les territoires, le leadership
palestinien à Ramallah peut faire l’impasse sur cette question,
fût-ce au prix de reporter une résolution sur les questions du
droit au retour et du Mont du Temple / Haram al-Sharif.
Entre-temps le leadership civil des citoyens palestiniens d’Israël,
dans sa majorité, a fait savoir que seul serait acceptable à ses
yeux un Etat d’Israël devenu binational dans ses frontières de
1967. Et ensuite il exprime perplexité et colère face à la
popularité grandissante parmi la majorité juive israélienne
d’initiatives comme déplacer la frontière de la ligne verte de
1967 pour inclure dans un futur Etat palestinien les régions de
Wadi Ara et du petit triangle à forte population arabe, ou
promulguer des lois exigeant des serments de loyauté de la part
des Arabes israéliens.
Je rejette catégoriquement de
telles initiatives. Mais je tente de comprendre leurs causes.
Quand la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni suggère
qu’une solution à deux Etats pourrait offrir une identité
nationale aux Arabes d’Israël, elle ne cherche pas à
provoquer. Elle répond plutôt à ce que bien des Juifs israéliens
perçoivent être un besoin grandissant des Arabes israéliens. A
savoir s’identifier à une nationalité palestinienne même si
ils restent citoyens d’Israël et minorité nationale dans un
Etat juif. Les Juifs n’ont pas inventé cette idée, mais bien
les citoyens palestiniens d’Israël.
De manière idéale, un processus
de paix israélo-palestinien vers une solution à deux Etats
pourrait fournir des réponses novatrices aux aspirations
nationales des Juifs et des Arabes sur l’ensemble Israël/Palestine.
Des réponses qui stabiliseraient et cristalliseraient la vision
de la Résolution 181 de l’ONU quant à « un Etat arabe et
un Etat juif en Palestine mandataire ». Mais ceci n’exige
pas seulement de la part de la majorité juive israélienne une
plus grande tolérance envers les non Juifs en Israël. Cela
requiert une approche radicalement différente de la part, tant du
leadership palestinien à Ramallah que des citoyens palestiniens
d’Israël. Faute d’une telle approche, et avec ou sans
processus de paix abouti, nous nous dirigeons vers des tensions
accrues entre Juifs et Arabes en Israël.
Yossi Alpher est
codirecteur de bitterlemons.org et bitterlemons-international.org.
Il est ancien directeur du « Jaffee Center for Strategic
Studies » et ancien conseiller principal du Premier Ehud
Barak.
Source : www.bitterlemons.org
Bitterlemons 45 - 10 décembre
2007 - Traduction Kol Shalom
Publié le
14 janvier 2008 avec l'aimable autorisation de Kol Shalom.
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