Opinion
Syrie : la défection du général
Manaf va-t-elle sonner la fin du régime
ou est-elle un coup d’épée dans l’eau ?
Khodor Awarki
Le général
Manaf Tlass
Samedi 4 août
2012
(revue de presse :
Afrique-Asie.fr, le 27/07/12).
Comment le noyau dur du régime a géré
cette défection prévisible depuis un an.
En raison de
l’implacable cohésion dont a fait preuve
jusqu’ici le régime syrien, tant au
niveau de ses structures sécuritaires et
militaires que diplomatiques, la
défection du général Manaf Tlass, a été
considérée comme un développement majeur
par les grandes puissances occidentales,
en conflit avec la Russie et ses alliés.
Un développement qui, estiment-elles,
dessinera le contour de l’avenir de la
Syrie post-révolution. Pour les
occidentaux, la défection de cet ami
intime du président syrien
(comme c’est le cas de la défection de
son ambassadeur en Irak) est la
«
faille » dans la structure du
barrage qui va sans cesse s’élargir
jusqu’à rompre et se désagréger.
Qu’en est-il dans
les faits ?
Il ne fait pas
l’ombre que la défection de Manaf Tlass
aura un effet énorme sur le moral des
forces populaires qui ont rejoint
l’opposition avec un seul objectif
qu’elles n’ont cessé d’affirmer avec
détermination, à savoir la chute du
régime. Mais la défection du commandant
105 de la Garde républicaine est-elle à
même de menacer les fondations d’un
régime que ses opposants qualifient de
«
dictatorial » ? Quel sera par
ailleurs l’impact de cette dissidence
sur les loyalistes qui forment, avec les
forces de sécurité
(armée, services de sécurité et de
maintien de l’ordre) et les alliés
extérieurs, les trois piliers sur
lesquels repose le régime et desquels il
tire sa force et sa cohésion ?
Le plus important
dans la défection du général Tlass n’est
pas tant la défection elle-même que la
manière dont il se déterminerait à
l’avenir à la fois vis-à-vis de
l’opposition et du régime. Ce n’est qu’à
partir de ce positionnement qu’on
pourrait cerner l’ampleur ou la limite
de la menace que cette défection va
représenter pour la survie du régime.
S’il est imprudent
de minimiser la portée de cet important
événement – la défection d’un des fils
d’un des fondateurs du régime actuel –,
qui en a irrité plus d’un à Damas, il
n’en demeure pas moins que certains
cercles très proches du président Bachar
ne s’étaient pas privés de fêter avec
jubilation cette dissidence. Pour ces
cercles, la défection du général Tlass
va désormais, pensent-ils, rendre plus
aisés et plus rapides le repérage et la
neutralisation de tous les autres
renégats en puissance à l’intérieur du
régime. Ces cercles rapprochés n’ont pas
cessé en effet d’évoquer, depuis le
début de la crise, la présence de
nombreux
«
chevaux de Troie » au sein du
pouvoir qu’il importait de liquider ou
neutraliser avant qu’ils entrent en
action ou passent dans les rangs
ennemis.
Durant les
décennies passées, les services de
sécurité syriens avaient pour règle de
conduite l’implantation d’agents au sein
des réseaux que certains pays
occidentaux et arabes s’évertuaient à
créer à l’intérieur de l’establishment
syrien. Ces agents doubles, dont
certains étaient très hauts placés,
étaient parvenus à faire avorter de
nombreuses tentatives occidentales et
arabes
(Golfe) de renverser le régime de
l’intérieur.
Le général Manaf
Tlass, selon des sources sûres, faisait
partie de ceux qui entretenaient des
relations étroites avec des services de
renseignements étrangers dont les plus
importants sont les services français.
Il tissait ces relations avec l’aval des
autorités syriennes, voire sur
instructions de ces autorités. La
question qui mérite d’être posée à ce
niveau est la suivante : cet officier en
colère était-il resté fidèle à un régime
qui l’avait écarté et lui a retiré tous
les dossiers qui lui assuraient un
certain poids auprès des hauts cercles
du pouvoir ?
Il est utile de
rappeler ici les rôles que le général
Rifaat al-Assad (oncle de Bachar) avait
essayé de jouer contre son frère Hafez
al-Assad avec la complicité du régime
saoudien. Cette relation avait commencé
avec l’aval, voire l’encouragement de
l’ancien président. Puis, l’ambition
aidant, l’ancien vice-président commença
à avoir de l’appétit pour devenir calife
à la place du calife, aidé en cela
financièrement, politiquement et au
niveau du renseignement par l’Arabie
Saoudite. Il sera stoppé net dans son
entreprise de prise de pouvoir grâce
notamment à des agents doubles que le
noyau dur du régime, fidèle au
président, avait planté au cœur des
cellules impliquées dans la conspiration
et financées par les services saoudiens.
À l’heure H, au moment où Rifaat al-Assad
décida de passer à l’action, il essuya
une défaite cinglante, non seulement en
raison des commandants des divisions
militaires qui avaient pris fait et
cause pour le président, mais surtout
parce que les principaux officiers
supérieurs et les commandants de
certaines unités qu’il pensait être
acquis à sa cause, l’avaient lâché
subitement. Il apprendra plus tard,
amer, que ces officiers et ces
commandants sur lesquels il avait misé,
étaient en fait des sous-marins qui
travaillaient contre lui pour le compte
du président.
Le même scénario
s’est déroulé quelques années après le
décès de l’ancien président Hafez al-Assad.
Le général Hikmat al-Chihabi, ancien
chef d’état-major, et Abdel Halim
Khaddam, l’ancien vice président de la
République, travaillaient main dans la
main pour renverser le régime de Bachar
al-Assad, profitant de la confusion de
la guerre américaine contre l’Irak en
2003. Les relations excellentes de ces
deux hommes clés du régime avec l’Arabie
Saoudite les ont poussés, après
l’assassinat de l’ancien président du
Conseil, le Libano-Saoudien Rafic
Hariri, en 2005, à tenter de renverser
le régime.
Mais le coup d’État
échoua, ce qui poussa Abdel Halim
Khaddam à prendre le chemin de l’exil à
Paris et Hikmat al-Chihabi à partir sans
déclarer sa défection, aux États-Unis.
Le troisième homme qui avait trempé dans
ce coup d’état avorté fut le général
Ghazi Kanaan. Après une communication
avec une haute responsabilité du
pouvoir, qui lui avait révélé les
preuves confondantes de sa participation
à ce coup d’État, le général Kanaan,
ancien pro consul syrien au Liban, et
ministre de l’Intérieur, préféra se
donner la mort dans son bureau.
Le plus intriguant
dans cette version avancée par des
personnalités qui avaient occupé à
l’époque des postes importants au sommet
de l’État, aura été le retour du général
Hikmat al-Chihabi en Syrie sans être
inquiété, comme si de rien n’était !
Regarder le passé pour mieux comprendre
le présent
Un diplomate
libanais en poste en Syrie a rapporté ce
jugement sévère sur l’opposition
syrienne comme le lui avait confié un
fonctionnaire de l’ambassade américaine
à Damas avant que le Département d’État
ne ferme sa représentation et évacue
tous ceux qui y travaillaient : « Notre
problème avec l’opposition syrienne
c’est notre conviction que nombreux
parmi ses figures les plus en vue sont
des agents des services secrets syriens
(Moukhabarat). Leur adhésion à la
révolution ou leur allégeance aux
services varient comme les indicateurs
de la bourse. Quand la révolution
progresse, ils la rejoignent, et dès que
le régime semble l’emporter, ils
reviennent vers lui ».
Manaf Tlass est
l’un des rares hommes qui connaissent
les détails de l’ascension et de
l’édification des centres d’influence et
de pouvoir de Bachar al-Assad qui lui
ont permis de s’imposer comme le nouveau
président en 2000. Ses adversaires, qui
ambitionnaient de profiter de la brève
vacance du pouvoir consécutive au décès
de Hafez al-Assad pour se lancer dans la
course, ont vite déchanté. C’est
justement parce que Manaf Tlass connaît
parfaitement ces éléments qu’il est
censé se faire une idée de la solidité
du noyau dur du régime au sommet du
pouvoir. Et par conséquent que le
scénario libyen ne pourra pas se
reproduire en Syrie étant donné
qu’aucune comparaison, tant au niveau
des circonstances, de la nature du
régime et du tempérament populaire,
n’est possible.
Le général Tlass
va-t-il être tenté de jouer le même rôle
joué par ceux qui avaient fait défection
en Libye et s’étaient retournés contre
l’ancien leader libyen Mouammar Kadhafi
?
Il n’est pas sans
ignorer, personnellement, que ce ne sont
pas ceux qui avaient fait défection qui
étaient à l’origine de l’effondrement du
régime libyen. Sans l’intervention
massive de l’Otan, par mer, par air et
par terre, contre son régime, les forces
loyalistes de Kadhafi auraient écrasé
les forces rebelles.
En Syrie, une
intervention militaire étrangère est
inconcevable, non pas parce que l’envie
n’y est pas, mais tout simplement en
raison de la toute puissance de la
machine de guerre syrienne. Dans ce cas,
Manaf Tlass va-t-il prendre le risque de
se transformer en une marionnette entre
les diverses forces internationales qui
se battent autour de la Syrie sans
aucune chance de l’emporter ? L’ancien
ami du président syrien se verrait-il un
maillon sous le commandement de l’Armée
syrienne libre ? S’imaginerait-il
commander personnellement les brigades
d’Al-Farouq à Rasta ou à Homs ? Lui, le
fils de Moustafa Tlass, l’un des
bâtisseurs de l’armée syrienne et du
pouvoir baasiste, va-t-il se soumettre à
Abdel Basset Sida, l’actuel président du
Conseil national syrien ? Quelles
garanties, enfin, espère-t-il arracher
auprès des grands acteurs
internationaux, pour se positionner dans
la future équipe qui gouvernera la
Syrie, à la suite d’un arrangement
inter-syrien, au cas où aucune partie ne
parviendrait à remporter une victoire
décisive sur le terrain ?
La défection de
Manaf Tlass ne supporte aucune
ambiguïté. Il a clairement fait son
choix en se retournant contre un régime
que son père avait contribué à en faire
ce qu’il est advenu. Sa dernière sortie
médiatique depuis l’Arabie Saoudite et
la France ne signifie aucunement qu’il
va se mettre réellement au service de la
révolution, mais tout simplement sauver
ses intérêts personnels et ceux –
économiques – de sa famille que
représentent son frère Firas et son fils
Ahmad (un jeune affairiste associé à son
oncle Firas dans tous ses projets
économiques). Il n’y a aucun secret dans
ce domaine. L’affairisme des fils du
général Moustafa Tlass, l’ancien
compagnon de route de Hafez al-Assad,
est un secret de polichinelle dans la
capitale syrienne.
Partant de là, si
un accord américano-russe va intervenir
à propos de la Syrie, notamment sur
l’ampleur du changement et sur les
personnalités qui vont représenter les
intérêts de ces deux puissances à
l’avenir, il ne fait pas de doute que le
clan Tlass aura sa part du gâteau. Et si
la grande confrontation russo-américaine
attendue après les élections américaines
de novembre prochain, le clan Tlass en
sera l’un des bénéficiaires. Du moins
c’est ce qu’il espère. Car les
États-Unis préfèrent travailler avec des
personnes qui ont quelque chose à perdre
auquel elles tiennent et qui
représentent un certain poids (supposé)
au sein du régime qu’ils combattent. Les
agissements des Tlass dans ce sens sont
antérieurs au déclenchement de la
révolution pour des raisons strictement
personnelles et affairistes.
Prenons le cas de
Firas Tlass, le frère de Manaf. C’est un
homme d’affaire qui ne s’embarrassait
pas de rencontrer, jusqu’à tout
récemment, en plein jour, dans des cafés
très fréquentés, des opposants syriens
ou des personnalités sur le point de se
retourner contre le régime. Les habitués
du café huppé de Damas, Julia Domna, ont
pu observer à quel point Firas Tlass ne
cachait pas son activité politique
contre le régime et le travail de
lobbying qu’il y déployait jusqu’au 4
juin dernier, dans ce lieu public pour
gagner à sa cause des partisans et des
obligés.
L’épouse de Manaf
et sa famille n’ont pas quitté la Syrie
clandestinement mais convoyées
publiquement par les services syriens.
Il ne s’agissait donc pas d’une
opération à la James Bond organisée par
les agents de l’Otan, mais un
déplacement des plus ordinaires. Ce
scénario s’était déroulé à l’identique
il y a près de deux mois quand Manaf,
son père et sa famille s’étaient rendus
à Paris. Ce voyage avait fait la une des
chaînes satellitaires arabes,
particulièrement celles des monarchies
du Golfe, qui avait colporté des
informations affirmant la défection du
général Moustafa Tlass et de sa famille.
Ces informations seront cependant
démenties par le général octogénaire
avant de regagner la capitale syrienne
accompagné de son fils Manaf le plus
normalement du monde. Ce n’était en fait
qu’une répétition générale en prévision
d’une vraie défection cette fois-ci.
Une relation instable avec le régime
La réalité syrienne
est complexe et désarçonnante pour ceux
qui ne connaissent pas ses mécanismes,
ses non dits et ses codes, qui sont,
faut-il le rappeler, très éloignés des
codes classiques de l’action
diplomatique, politique et sécuritaire.
Il faut être voyant pour oser anticiper
les réactions d’un régime dirigé, c’est
le moins qu’on puisse dire,
«
par un dirigeant qui centralise
souverainement entre ses mains tous les
centres de décision concernant sa survie
et monopolisant toutes les ficelles de
commandement des forces sécuritaires et
militaires qui assurent sa pérennité ».
Les hommes du
régime ne tirent pas leur force des
positions dont ils sont en charge. En
Syrie, un colonel qui a la confiance du
cercle étroit du pouvoir, pourrait
détenir, de ce fait, plus de pouvoir et
d’influence qu’un général dans
l’appareil de sécurité. En Syrie
également, un homme de confiance chargé
à titre personnel de gérer certains
dossiers, pourrait être plus puissant et
plus influent qu’un ministre. Le général
Manaf, qui était proche du chef de
l’État a ainsi perdu tout pouvoir et
toute influence dès l’instant où il
avait perdu la confiance de son ancien
ami. Manaf Tlass était l’ami du
président. C’était le cas également de
Abdel Halim Khaddam et ses enfants. La
question qui se pose est de comprendre
comment un régime peut-il tenir alors
que des amis proches du chef de ce
régime l’ont abandonné ? Comment aussi
une armée pourrait-elle rester debout
alors que l’un de ses chefs, le
commandant de l’une des plus
prestigieuses brigades de la garde
républicaine ?
À ce propos, l’un
des plus proches du président syrien,
qui a été depuis écarté du centre du
pouvoir et nommé dans une ambassade
syrienne dans un pays arabe, lève le
voile sur comment le pouvoir s’était
transmis du père au fils. Voici en
substance son témoignage :
«
Un opposant (qui était, il y a encore
quelques, mois membre du parti Baas),
prétend devant les médias qu’il a été
proche de Bachar al-Assad et son ami
personnel. Cette “relation privilégiée”
n’a jamais dépassé le cadre d’un
rencontre, debout, entre les deux
hommes, en 1999. Il était l’un des 180
intellectuels syriens que le docteur
Bachar al-Assad avait souhaité
consulter, chacun dans le domaine de sa
compétence, avant son accession à la
présidence. Cette rencontre a eu lieu
dans le cadre d’un forum général auquel
j’y avais été convié au même titre que
lui. Ce genre de forums et de rencontres
intéressait beaucoup celui qui se
préparait à succéder à son père, car les
très importants sujets de discussion et
de débat que ces intellectuels,
chercheurs et académiciens posaient lui
permettaient de dessiner les contours
prospectifs de la Syrie de demain. Les
débats étaient alors vifs et d’une
extrême franchise. C’est à travers ces
forums d’ailleurs que les participants
ont pu entrer en contact avec le futur
président de la République. Ces
rencontres avaient permis à chacun des
participants d’avoir accès à titre
personnel, au futur président et de lui
transmettre ses idées, ses projets et sa
vision directement, à travers son
bureau. Ce mode opératoire a continué à
fonctionner après l’élection de Bachar
al-Assad à la présidence de la
République. Le rôle de Manaf a été celui
de coordinateur qui recevait ces
propositions, ces projets de réforme et
ces idées avant de les transmettre au
chef de l’État. Il avait la lourde tâche
d’assurer le suivi avec ces
personnalités, une par une, issues de
tous les courants politiques en Syrie, y
compris au sein de l’opposition. »
Si aujourd’hui on passe en revue un
certain nombre d’opposants syriens, on
est frappé de constater qu’ils avaient
participé à ces forums et qu’ils ont en
commun leur relation intime avec le
général Manaf Tlass.
Mais où se trouve
le rôle militaire du général Manaf Tlass,
que beaucoup voyaient, à l’instar de son
père Moustafa, comme le futur ministre
de la Défense ? À regarder de près, et
en se basant sur des faits connus de la
plupart de ceux qui sont en étroite
relation avec le noyau dur du régime
syrien, le général Manaf Tlass occupait
pratiquement la fonction de délégué
présidentiel en charge du dialogue avec
les réformateurs et avec les opposants
de l’intérieur et de l’extérieur. De
manière intermittente, il a été
également chargé de certaines missions
avec des milieux français précis. Quant
à ses responsabilités militaires en tant
que commandant de la brigade 105 de la
Garde républicaine, elles étaient
exercées, pendant son absence, par son
adjoint. De là à dire que ce titre de
commandant de la brigade 105 était
purement honorifique – étant donné son
emploi de temps plus que chargé dans le
suivi des dossiers relatifs au dialogue
avec les milieux ci haut mentionnés –,
il y a un pas que beaucoup
franchissement allègrement. Cela ne doit
pas pour autant discréditer le rôle de
ce général, ni nier le fait qu’il avait
un accès direct au président qui lui
vouait amitié, affection et
considération. Il s’agit là d’une simple
constatation de bon sens : le général
n’avait pratiquement pas le temps de
commander réellement cette brigade
républicaine.
Incontestablement,
le général Manaf Tlass était parmi les
rares personnes qui pouvaient
transmettre directement au président le
fond de sa pensée. Mais, à partir du
troisième mois suivant le déclenchement
de la contestation populaire, il a perdu
ce privilège et a été pratiquement exclu
du noyau dur du pouvoir. Plus grave
encore, il était devenu, en raison de
ses ambitions personnelles
présidentielles, objet de suspicion. Il
était, selon certains de ses proches,
tombé sous l’influence de son frère
affairiste, Firas.
Le général Manaf
Tlass a commis une erreur fatale pour
quelqu’un de son calibre qui connaît
bien le fonctionnement sécuritaire du
régime : fort de l’immense confiance que
lui donnait le président, il a pensé
qu’il pouvait tout se permettre. Cette
confiance absolue que Bachar avait en
lui a volé en éclat quand son frère
Firas a mis fin, d’une façon théâtrale,
à toutes ses activités commerciales et
financières en Syrie. Il a été suivi par
un groupe de sociétés égyptiennes
d’investissement qui n’avaient pu
s’introduire en Syrie que grâce à son
intervention personnelle. Il était
d’ailleurs indirectement, sous couvert
de son fils aîné Ahmad et de son frère
Firas, associé à ces sociétés.
Dès lors, il ne fit
plus de doute que Firas Tlass cherchait
à nuire à l’économie syrienne au moment
même où il présentait ses offres de
services aux grandes puissances
occidentales qui cherchaient
désespérément des hommes qui pourraient
lui servir de cheval de Troie au sein du
régime. Des informations faisaient
également état du financement par Firas
des rebelles de Rastan, région natale du
clan Tlass. Last but not least, des
rapports non authentifiés des services
de renseignements faisaient état des
contacts entrepris par Firas avec ses
cousins officiers dans l’armée pour les
inciter à faire défection. Et quand le
général Manaf a été informé des
agissements de son frère, il s’en est
dissocié et les a condamnés.
Malgré la
réputation colportée par les médias
arabes et internationaux sur le régime
syrien
«
barbare », force est de constater
que ses opposants les plus dangereux ont
librement et publiquement circulé tout
au long de la crise, sans jamais être
inquiétés, à Damas même et dans les
villes en révolte. En agissant de la
sorte, le régime pense sans doute
pouvoir les récupérer ou du moins les
pousser à dévoiler leurs cartes.
À titre d’exemple,
le commandant opérationnel des frères
musulmans à Homs a continué à se rendre
fréquemment à Damas pour dialoguer avec
l’un des plus proches responsables du
régime. Ces contacts s’étaient
poursuivis publiquement à Damas, jusqu’à
la reprise du quartier rebelle de Homs,
Al-Inchaat, par l’armée. Ce jour-là, les
services de renseignement avaient saisi
des documents prouvant que ce commandant
des Frères musulmans n’était pas sincère
dans ses démarches. En dépit de cela, il
n’a pas été inquiété et a pu regagner la
Jordanie saine et sauf, avec la
complicité des autorités syriennes.
Parallèlement, la
plupart des proches et enfants des
principaux dirigeants de l’opposition
syrienne à l’étranger continuent à
résider dans la capitale syrienne en
toute sérénité. Certains d’entre eux,
comme les enfants de l’opposant
historique Ma’amoun al Homsi ou ceux des
principaux dirigeants des Frères
musulmans ou du Conseil national syrien,
font des va-et-vient incessants, le plus
normalement du monde.
Le fait de ne pas
procéder à l’arrestation des opposants
syriens de l’intérieur, et aussi le fait
de laisser quelqu’un comme Firas Tlass
libre de ses mouvements en dépit des
faits accablants qui lui sont reprochés,
dont le financement des groupes armés,
ne sont pas des signes de magnanimité du
régime, mais ont un lien évident avec
ses intérêts sécuritaires et son
approche politique prospective.
Pour revenir sur le
cas de Manaf Tlass, il faut souligner
que la première semaine de sa défection,
il est resté à Beyrouth sous la
protection d’une personnalité politique
très influente, avec le concours des
Américains et des Saoudiens. Malgré son
apparition médiatique sur la chaîne
satellitaire saoudienne Al-Arabiya, il
est toujours dans l’expectative. Quel
rôle les Occidentaux et les monarchies
du Golfe sont-ils prêts à lui concéder
dans la future configuration de la Syrie
de demain ? Aura-t-il une place dans les
transactions actuelles, dans le cadre
d’une recomposition du régime ou… sur
ses décombres ? Quelle sera la réaction
des oppositions syriennes ? Va-t-il
enfin rejoindre, comme tant d’autres
avant lui, le cimetière des opposants «
historiques » en exil qui se croyaient
les sauveurs de la Syrie, mais qui, en
fait, ne sont parvenus qu’à sauver leur
peau et leurs intérêts.
Source :
Syrie : la défection
du général Manaf va-t-elle sonner la fin
du régime ou est-elle un coup d’épée
dans l’eau ?
http://www.afrique-asie.fr/component/content/article/75-a-la-une/3430-syrie-la-defection-du-general-manaf-va-t-elle-sonner-la-fin-du-regime-ou-est-elle-un-coup-d-epee-dans-l-eau.html
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 4 août avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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