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Opinion

En effet, la Syrie est différente
Khalil Qatato


in Al-Quds al-Arabiyy, 30 mai 2011

D’éminents intellectuels, écrivains, journalistes et poètes (à l’instar de Saady Yusuf) ne veulent pas voir ébranlée cette forteresse nationaliste qu’est la Syrie, de peur, peut-être, que son projet d’« irrédentisme » et de « résistance » ne cède devant les dissensions internes. Personne ne conteste que la Syrie s’est tenue aux côtés de la Résistance en Palestine et au Liban face à la vague de reddition, de normalisation et de concessions qui a suivi la visite de Sadate en Israël, puis le premier épisode de la série Camp David, en passant par les incursions israéliennes répétées au Liban, puis par Oslo et la naissance du camp arabe modéré sous la houlette de l’Egypte (du gouvernement égyptien, bien entendu, et non pas du peuple égyptien)

La question difficile qui est posée est celle de savoir pour quelle raison certains de ceux-là apportent foi au discours officiel syrien selon lequel il y aurait un complot et des bandes armées, fondamentalistes ou autres, financées par les pays du Golfe et par le courant (libanais) du Futur et ses alliés ? Mais il y a une question encore plus difficile, qui est de savoir pour quelle raison ceux-là font le pari que l’effondrement du régime syrien et l’apparition d’un nouveau régime se feront, inéluctablement, dans l’intérêt des comploteurs ?

Le récit officiel émanant de Damas est un récit futile et débile, mis en scène à la manière d’un film décousu, dont le metteur en scène est manifestement un débutant, avec une production avaricieuse et des acteurs fainéants qui n’ont pas bien appris leurs répliques, ce qui ne leur a pas permis d’exceller dans leurs missions. Les preuves abondent, et nous allons passer certaines d’entre elles en revue.

Le régime syrien ne cesse de rabâcher son hymne au dialogue national avec l’opposition. Si les manifestations n’étaient effectivement que de simples rassemblements anarchiques de bandes armées, pourquoi le gouvernement dialoguerait-il avec elles – en tous les cas en paroles verbales, et pas en actes. Le plus piquant étant que nous n’avons jamais entendu parler d’un seul opposant syrien qui serait allé de lui-même chez le gouvernement afin dialoguer avec lui et qui serait rentré sain et sauf à sa base. Le dialogue à la syrienne, cela signifie en effet l’arrestation, l’emprisonnement, l’humiliation et le passage à tabac, c’est une marque de fabrique spécifiquement syrienne.

Les vendredis sont devenus sanglants, en Syrie : des morts par dizaines, et lors d’un seul vendredi, il y a de cela trois ou quatre semaines, le nombre des morts a dépassé, pour la première fois, la centaine. Le vendredi 13 mai, la télévision et la radio syriennes ont annoncé qu’une décision avait été adoptée, de ne pas tirer à balles réelles sur les manifestants : ce vendredi-là, il y a eu des manifestations dans toutes les villes de la Syrie, et les morts ont été moins de dix ! L’analyse est simple et logique : les bandes armées de terroristes et de saboteurs avaient reçu leurs ordres, ce vendredi-là, du gouvernement, alors elles n’ont tué pas plus de sept ou huit manifestants – civils – et elles n’ont tué, ce vendredi-là (mais ce vendredi-là seulement, ndt), aucun soldat ni aucun policier ni aucun officier syrien. Par conséquent, ces bandes armées font partie des forces de sécurités et de l’armée syriennes. Si quelqu’un a une autre explication, qu’il nous en fasse part… Le metteur en scène foireux a tenté de corriger son erreur monumentale, le vendredi suivant, soit le 20 mai : il n’a publié aucune décision interdisant de tirer sur les manifestants, et il a tué quarante-quatre citoyens syriens, encore une fois pour la simple et bonne raison que les bandes armées observent à la lettre les ordres que lui donne le gouvernement. Ce même metteur en scène devrait se retirer, parce qu’il ne fait qu’aggraver la situation en commettant bévue sur bévue (« Il est venu mettre du khôl aux yeux d’une femme, et il fait d’elle une aveugle », dit le proverbe arabe cité par l’auteur, ndt).

Ce qu’il y a de piquant, là encore, à cette situation, c’est le fait que le nouveau gouvernement syrien (nommé par le président) a autorisé les manifestations, mais avec une demande d’autorisation préalable à adresser au ministère de l’Intérieur. Jai pensé, sur le moment, prendre une caméra légère et accompagner un citoyen syrien allant au ministère de l’Intérieur pour aller y demander l’autorisation d’organiser une manifestation appelant à la réforme, et puis j’ai pensé que j’allais attendre le restant de mes jours que ce citoyen syrien-kamikaze ressorte du ministère de l’Intérieur… Je voyais d’ici le titre de l’épisode : « Il est sorti, et il n’est jamais revenu ».

Quant au pouvoir syrien, il n’a que deux portes de sortie, pas une plus : soit il nie qu’il existe un citoyen syrien susceptible de faire ça, soit il décide que ce citoyen existe, mais il nie qu’il se soit jamais rendu au ministère de l’Intérieur. Ce qu’il y a de particulièrement douloureux dans le spectacle offert aujourd’hui par la Syrie, c’est de voir ces jeunes qui participent aux funérailles des martyrs un jour donné et qui deviennent à leur tour des martyrs le même jour, des martyrs qu’enterrent d’autres martyrs du lendemain, cette caravane des martyrs étant apparemment sans fin.

Les forces de sécurité syriennes sont manifestement en proie à la peur et à la désorganisation. Un ami syrien m’a dit qu’un jeune syrien qui avait été surpris par les forces de sécurité en train de photographier une manif avec son téléphone portable, tout en conduisant sa voiture, a été pris en chasse par celles-ci. Il a essayé de leur échapper, mais il a eu un accident sans gravité et il a dû s’arrêter. Les hommes de la sécurité l’ont entouré, ils l’ont immobilisé, ils l’ont tabassé et ils ne l’ont libéré qu’après dix jours. Jusqu’ici, rien que de très banal. Mais ce qu’il y a d’amusant, dans cette histoire, c’est que les hommes de la sécurité ont oublié de lui confisquer son portable ou d’effacer les photos de sa puce-mémoire, ce qui en dit long sur leur désarroi.

Le fait que les jeunes Syriens sortent à visage découvert dans les rues en portant des pancartes indiquant, par exemple : « Le président finira à la Cour Pénale Internationale », ou « Merci de n’utiliser que des balles en caoutchouc, et non pas des balles réelles, comme les Israéliens », ou cet appel à l’adresse de l’armée : « Attention, ici, c’est Homs, vous n’êtes pas en Israël ! », et bien d’autres trouvailles ironiques encore, ne peut que susciter notre émerveillement devant le courage de cette génération qui semble ignorer la peur. Les pessimistes diront que ces jeunes ont perdu le goût de la vie, ils nous parlerons de frustration, de chômage, de corruption, de pauvreté et ils nous diront que la vie, à leurs eux, ne vaut pas plus cher qu’une aile de moustique. Mais les gens sensés voient bien chez eux, au contraire, une aspiration à une nouvelle vie dans laquelle la dignité, la liberté et la sincérité ont plus de valeur que la bouchée de pain indispensable. Je m’étonne devant ceux qui peuvent dormir sans avoir pu gagner son pain quotidien : comment peut-il rester chez lui, comment peut-il ne pas sortir dans la rue en tirant l’épée. Mais eux, ces jeunes, ils sont sortis, sans armes ; ils sont sortis, avec leur poitrine nue et leur linceul, pour demander une nouvelle vie, une vie qui ait une autre couleur. La révolution syrienne continue, il y a près de mille martyrs, sans compter les milliers de disparus dont il est vraisemblable qu’ils sont aussi des martyrs. Le metteur en scène ne pourra pas réparer la muraille de la peur qui s’est effondrée.

Quel la Syrie soit pour la Résistance ne l’autorise en aucun cas à sacrifier la fleur de sa jeunesse, de ses femmes et de ses enfants. Le gouvernement syrien a fait du pays une immense prison, quant à la liberté dont le parti Baath a fait son slogan, elle n’y a strictement aucune existence.

La Syrie connaît un accouchement difficile, le nouveau-né ne sera pas difforme, il ne complotera pas contre le projet de la Résistance, et le  peuple syrien sera plus fidèle à la Résistance que ne l’est le gouvernement syrien actuel. Les complots n’existent que dans l’imagination du gouvernement syrien actuel et dans celle des gens importants du parti (Baath) et de la famille régnante. Il n’y a aucune dissension confessionnelle en Syrie, la liberté, la dignité et la justice n’ont pas de religion ni de communauté confessionnelle, elles appartiennent à tout le monde.

A tous les pessimistes qui prennent prétexte des massacres en Libye et des tortures et de la répression en Syrie et au Yémen, nous disons simplement ceci : souvenez-vous que Moubarak et son parti étaient eux aussi hégémoniques, despotiques, obstinés, et qu’ils n’ont pas tenu devant la révolution populaire. Le régime syrien tiendra peut-être plus longtemps (que le régime égyptien, ndt), mais il est condamné à disparaître, dans tous les cas de figure.

Ce printemps arabe, et, avant lui, l’hiver (arabe) plutôt tiède, seront suivis d’un été brûlant pour les autres régimes, puis viendra pour eux l’automne, alors leur feuillage se fanera et il tombera, et leurs branches fragiles se briseront.

Je m’apprêtais à donner à mon article le titre « L’écriture par temps de révolution : luxe ou nécessité ? », mais j’ai pris conscience que l’écriture était une nécessité, qu’il fallait écrire pour dénoncer les mensonges officiels à l’hameçon desquels ont mordu y compris certains intellectuels qui sont descendus du train en marche.

Khalil Qatato, écrivain palestinien résidant aux Etats-Unis

Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

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Source et traduction : Marcel Charbonnier


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