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CounterPunch
Ce
que pense l'Amérique de la Palestine
Kathleen & Bill Christison CounterPunch,
14 février 2008
article original : "Palestine
in the Mind of America"
On aurait pu penser que montrer des cartes délimitant
clairement l'espace tronqué et évidemment non-viable pour un
possible Etat palestinien et des photos qui définissent
l'occupation des territoires palestiniens par Israël aurait eu un
impact sur un auditoire d'Américains astucieux mais, sur cette
question, généralement pas informés. Nous nous sommes récemment
adressés à un petit groupe de discussion pour parler d'affaires
étrangères et nous avons consacré une grande partie de notre présentation
à ces images d'oppression — des images qui n'apparaissent
jamais dans les médias étasuniens — dans l'espoir probablement
naïf d'entamer quelque peu l'attitude américaine impassible vis-à-vis
de l'occupation de 40 ans par Israël du territoire palestinien.
Mais notre aspiration à ce que ces personnes écoutent et
apprennent peut-être quelque chose fut tristement déçue. Très
peu de personnes dans ce groupe de discussion, à la façon d'un séminaire,
semblèrent concernées, ou même particulièrement intéressées,
par ce qui se passe sur le terrain en Palestine/Israël. Et ce
fait est carrément emblématique de l'apathie américaine
concernant le régime oppressif israélien dans les territoires
occupés, que les Etats-Unis permettent et bien souvent
encouragent activement.
Les cartes de la Cisjordanie, préparées par l'ONU et des groupes
israéliens de défense des droits de l'homme, que nous avons déployées,
décrivaient clairement la dispersion segmentée des fragments
territoriaux séparés les uns des autres qui établiraient l'Etat
palestinien dans le scénario le plus optimiste — des zones
palestiniennes coupées par le mur de séparation s'enfonçant
profondément à l'intérieur de la Cisjordanie ; par de vastes
colonies israéliennes dispersées un peu partout et accaparant
quelques 10% du territoire ; par le réseau de routes reliant les
colonies, toutes accessibles uniquement aux conducteurs israéliens
; et par la Vallée Jordanienne, actuellement interdite à tout
Palestinien qui n'y vit pas déjà, le tout représentant un-quart
de la Cisjordanie et destiné au bout du compte à être annexé
par Israël.
Ces cartes montrent clairement que même le plan israélien le
plus généreux laisserait un Etat palestinien avec seulement 50
à 60% de la Cisjordanie (constituant 11 à 12% de la Palestine
d'origine), découpée en de multiples segments séparés et
n'incluant aucune partie de Jérusalem. Les photographies, prises
ces dernières années au cours de nos multiples voyages en
Palestine, décrivaient le mur de séparation, les barrages et les
passages dans le mur qui ressemblent à des cages, des maisons
palestiniennes démolies et des bâtiments publics détruits, de
vastes colonies construites sur des terres palestiniennes confisquées,
des oliveraies palestiniennes détruites, des commerces dans les
villes palestiniennes, bouclés à cause des colons ou des soldats
israéliens en maraude.
Nous avons montré des cartes et des photos comme celles-ci de très
nombreuses fois auparavant, mais elles n'ont jamais reçu un tel désintérêt.
Il s'agissait d'un groupe constitué essentiellement de
hauts-fonctionnaires, d'universitaires, de journalistes et de
directeurs de sociétés à la retraite, ainsi que quelques
professionnels toujours en activité — tous d'orientation
politique allant du centre-droit au centre-gauche, la crème de
l'Amérique informée et éduquée, l'exemple de l'élite de
l'opinion du courant dominant aux Etats-Unis. Leur manque de préoccupation
sur ce qu'Israël et les Etats-Unis — à cause de leur rôle le
facilitant — font pour détruire tout un peuple et ses
aspirations nationales n'aurait pas pu être plus évident.
La première personne à apporter un commentaire, une fois notre
présentation terminée, et s'identifiant elle-même comme juive,
a dit qu'elle "n'avait jamais entendu de présentation aussi
orientée" et nous a classés comme étant "au-delà de
l'antisémitisme" — ce qui est probablement pire qu'être
simplement et complètement antisémite. C'est toujours une
accusation quelque peu énervante, bien qu'elle soit si commune et
si attendue et donc plus beaucoup digne d'intérêt. Plus
remarquable fut la réaction, ou son absence, du reste de
l'assemblée, qui n'a jamais contesté l'accusation de cette dame
et qui a au contraire passé la plus grande partie du débat à,
soit contester notre présentation, soit essayer de trouver des
moyens pour prendre en compte la "souffrance juive".
Notre brève conversation avec cette femme a progressé d'une façon
intéressante. Nous avons essayé de l'engager dans une discussion
sur ce qui était exactement orienté dans notre description de la
situation sur le terrain et ce qu'elle aurait aimé voir pour
qu'elle soit "indiscutable". Elle n'a pas répondu, mais
elle a indiqué qu'elle pensait que quoi qu'ait pu faire Israël
doit être justifié par les actions palestiniennes.
"Quelqu'un a dû commencer cela", a-t-elle dit. Nous
avons exposé un peu d'histoire pour elle, faisant remarquer qu'on
pouvait faire remonter la première action, "qui avait
commencé", à la promesse britannique de la Déclaration de
Balfour en 1917 pour encourager l'établissement d'une patrie
juive en Palestine, à un moment où les Juifs ne représentaient
pas plus de 10% de la population de la Palestine. Ensuite, nous en
sommes arrivés à la résolution onusienne de 1947 de la
partition, qui a alloué 55% de la Palestine pour un Etat juif, à
un moment où les Juifs ne possédaient que 7% du territoire et
représentaient un peu moins d'un tiers de la population.
Sa réponse a été : "Bon, mais ce ne sont pas les Juifs qui
ont fait cela". Nous l'avons contredite sur ce point et nous
avons brièvement détaillé le programme sioniste délibéré de
nettoyage ethnique contre la population palestinienne, mené
durant la guerre de 1947-1948, ainsi que plusieurs historiens israéliens
l'ont décrit, et parmi eux Ilan Pappe en particulier, dont
"Le Nettoyage Ethnique de la Palestine" est basé sur
les archives militaires palestiniennes. Ses yeux ont vraiment
commencé à sortir de leurs orbites, mais elle est restée coite.
Décidant visiblement qu'elle n'avait aucun moyen de réfuter ces
faits, elle a finalement décidé que retourner en arrière dans
l'histoire n'était d'aucune utilité — esquive sioniste
habituelle — et qu'Israël n'avait de toute manière pas été
créé pour être une démocratie, mais un refuge pour les Juifs
persécutés et, en tant que tel, qu'il avait tous les droits de
s'organiser comme il l'entend. L'animateur a fini par demander aux
autres participants si quelqu'un voulait prendre la parole et le débat
s'est poursuivi.
Mais il n'est pas allé très loin. La discussion a alors tourné
en rond pendant plus d'une heure en passant pour un débat profond
: autour d'une remarque curieuse sur le Zeitgeist [l'esprit
de l'époque] ; l'insistance également curieuse d'une autre
personne selon laquelle il y avait "là, quelque chose dont
personne ne veut parler" et qui influence la situation ;
quelques remarques au sujet des Palestiniens en tant que
terroristes et comment, même si Israël faisait la paix avec les
Palestiniens, le Hamas les détruiraient ; beaucoup de parlotte
sur la manière de prendre en compte la souffrance des Juifs et,
partant de cela, la tentative d'une psychologue de tirer une
analogie entre les Juifs qui vivent dans la peur de la persécution
et les victimes de viol qu'elle conseille et qui vivent dans la
peur constante qu'elles seront de nouveau violées — ou pire.
Quelques personnes ont vraiment posé des questions intéressantes
à propos de la situation sur le terrain et sur divers aspects de
la politique israélienne. Après que la discussion se fut
concentrée pendant pas mal de temps sur la souffrance des Juifs,
une personne a fait remarquer que les Palestiniens ressentent
aussi de la souffrance et vivent dans la peur, mais personne
d'autre n'a poursuivi sur ce terrain. Personne n'a contesté
l'accusation d'antisémitisme portée contre nous par la première
intervenante et, à la fin, il n'a pratiquement plus été fait
mention des pratiques destructrices israéliennes, qui avaient été
le sujet de notre présentation.
Le lendemain, nous avons eu l'occasion d'envoyer des courriels à
plusieurs des participants. Dans un message, nous nous sommes
plaints auprès des trois organisateurs de ce groupe de discussion
de ce que l'on avait non seulement permis que cette accusation
d'antisémitisme soit portée mais qu'elle ait donné le ton à
une grande partie du débat, sans aucune réfutation du fondement
de cette accusation par personne d'autre à part nous. Dans un
autre message, envoyé à un homme qui avait exprimé sa perplexité
vis-à-vis du fait que le vote juif était considéré comme
important dans l'élection américaine, nous avons renvoyé sans
faire de commentaire un article de Mother Jones [magazine
américain à but non-lucratif connu et reconnu pour son
journalisme d'investigation sérieux] sur les difficultés que
Barack Obama rencontre avec la communauté juive et l'effort sérieux
de celui-ci pour montrer sa bonne foi en faisant serment de fidélité
à Israël et en justifiant le siège de Gaza mené par les Israéliens.
Enfin, à la psychologue, nous avons écrit un commentaire sur son
analogie entre les Juifs et les victimes de viol, faisant observer
qu'en tant que psychologue elle n'encourageait sans aucun doute
pas ses clientes victimes de viol à perpétuer leur peur ou à
adopter une attitude agressive vis-à-vis des autres, mais qu'il
était plus probable qu'elle leur donnait des outils pour les
aider à regagner la confiance et à avancer au-delà des peurs
pour leur sécurité personnelle. Ce type de thérapie réparatrice
n'a jamais été utilisée pour les Juifs, avons-nous fait
remarquer, mais, au contraire, les dirigeants israéliens et les
dirigeant juifs américains ont encouragé les peurs juives, en même
temps qu'une politique militariste agressive vis-à-vis de leurs
voisins.
Toutes ces propositions étaient gratuites de notre part, mais
elles n'étaient en aucun cas inappropriées ou inciviques.
Pourtant, pas une seule de ces personnes n'a jugé bon de répondre
à nos courriers ou même d'en accuser réception — indiquant,
comme nous ne pouvons que le supposer, le niveau général
d'indifférence parmi les Américains sur les atrocités commises
contre les Palestiniens, incluant le siège et la famine imposée
aux Gazéens. Et puis, l'absence de réponse reflète probablement
aussi les sentiments de la plupart des participants selon lesquels
nous sommes responsables d'une façon ou d'une autre de les avoir
impliqués dans une discussion qui s'est avérée être assez déplaisante
pour eux.
Pourquoi ceci est-il intéressant pour tout le monde à part nous
? Parce que cette discussion en profondeur avec un petit groupe
représentatif d'Américains intelligents et qui pensent [NdT :
cela ressemble fort à un oxymore…] est indicateur de l'opinion
publique américaine, en général, sur les questions de politique
étrangère. Et son niveau de désintérêt vis-à-vis des conséquences
de la politique des Etats-Unis est assez troublant. L'égocentrisme
évident durant cette rencontre, la posture générale consistant
à "ne pas faire de vagues" et l'absence accablante d'égard
pour les victimes de la puissance israélienne et américaine équivalent
à une licence de tuer pour le compte des Etats-Unis et de leurs
alliés. Cette même indifférence a permis aux Etats-Unis de s'en
tirer à bon compte avec le massacre de millions de Vietnamiens,
il y a des décennies ; elle donne aux Etats-Unis une licence de
massacrer en Irak et en Afghanistan ; et c'est la raison pour
laquelle les Démocrates, après sept ans d'administration Bush
qui a torturé et tué un peu partout dans le monde, ne peuvent
toujours pas se distancer du militarisme des Républicains. Cela
donne à Israël la licence de tuer et de nettoyer sur le plan
ethnique la nation palestinienne entière.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par
[JFG-QuestionsCritiques]
note:
[1] LIRE AUSSI : Les
origines du conflit israélo-palestinien
* Kathleen et Bill Christison, ancienne analyste de la
CIA et ancien haut responsable de la CIA
Publié le 16 février 2008
avec l'aimable autorisation de Questions Critiques
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