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Afghanistan 2010: la stratégie de Barack Obama à l'épreuve
Karim Pakzad


Karim Pakzad - © Photo: IRIS

Jeudi 30 décembre 2010

L’année 2010 s’achève et la guerre en Afghanistan entre dans sa dixième année. Une guerre longue et coûteuse en vie humaine et en moyen financier dont personne n’est en mesure de prévoir son issue avec certitude. Depuis quelques années, on a pris l’habitude de constater, à l’heure du bilan, que l’année qui s’achève aura été la plus meurtrière pour les soldats étrangers en Afghanistan par rapport à l’année précédente. Une fois encore ce constat s’impose. Pourtant, la nouvelle stratégie adoptée en décembre 2009 par le président Barack Obama avait l’ambition de renverser la tendance sur le plan militaire et préparer les conditions d’une sortie progressive des forces américaines dès le mois de juillet 2011.

La situation militaire : un succès ?

Après plusieurs mois de réflexion et hésitation entre les demandes des militaires qui voulaient une augmentation significative du nombre des soldats américains pour vaincre la rébellion et les politiques, menées par Richard Holbrook, représentant spécial pour l’« Af/Pak » et le vice-président Joe Biden, qui ne croyaient pas à une victoire militaire, Barack Obama a adopté une position de compromis. Il a décidé d’envoyer 30 000 soldats supplémentaires portant le nombre de GIs engagés en Afghanistan à 100 000 hommes, mais en même, tout en fixant à juillet 2011 le début du retrait des troupes américaines d’Afghanistan, pour l’achever fin 2014. L’objectif consistait à porter des coups sérieux aux Talibans dans leurs zones d’implantation traditionnelle au Sud du pays pour préparer les conditions d’un succès des initiatives politiques au travers des négociations entre le régime de Hamid Karzaï et le mouvement des Talibans.

Plusieurs offensives de grande envergure ont été menées dans les provinces d’Helmand et Kandahar, les deux bastions historiques des Talibans, pour les déloger et instaurer l’autorité du gouvernement de Kaboul. Le bilan est mitigé. Barack Obama, faisant l’évaluation d’étape de sa stratégie, le 16 décembre, a estimé que celle-ci est un succès car « la dynamique que les Talibans avaient acquise ces dernières années a été interrompue dans une grande partie du pays et renversée dans certains secteurs clés ». Le président américain a néanmoins estimé ce bilan « fragile et précaire ».

Le document diffusé à cette occasion fait allusion à l’offensive contre le district de Marjah en février 2010 et les opérations autour de Kandahar, annoncées et repoussées à plusieurs reprises devant l’hostilité des chefs des tribus « fidèles » au gouvernement central, qui n’ont vraiment pas eu lieu. Dans les deux cas, la date des offensives était annoncée plusieurs mois avant. C’est la raison pour laquelle, le combat n’a pas eu lieu. Incapables d’affronter frontalement la machine de guerre américaine, les Talibans ont préféré avant l’arrivée des troupes américaine et afghane de quitter la zone en attendant « des jours meilleurs ». Cette situation a poussé les deux parties à revendiquer la victoire. Les Américains ont réussi à déloger les insurgés de certaines zones, mais les Talibans peuvent aussi dire que ces opérations n’ont pas eu d’impact sur leur capacité d’insurrection. En revanche, l’armée américaine a marqué des points avec des frappes ciblées menées par des drones contre les chefs du Tahrik Taliban-é-Pakistan (TTP) liés aux djihadistes d’Al-Qaïda dans les zones tribales pakistanaises, en particulier dans le Waziristân-Nord également le fief des réseaux de jalaluddin Haqani, l’ancien héros de la guerre contre l’armée rouge et la bête noire des Américains. Plus de 200 d’entre eux ont tués.

Ce qui est certain, c’est que l’année 2010 témoigne d’une augmentation sans précédent de la violence. A ce jour, plus de 700 soldats de l’OTAN, majoritairement américains ont été tués en Afghanistan. Ce chiffre est largement supérieur au nombre de tués en 2009 (521 morts), déjà une année noire pour les soldats étrangers. Le nombre des tués au sein de l’armée afghane s’élève à 800 hommes. La perte civile est également en augmentation et atteindreait plus de 3 000 tués. Les engins improvisés aux bords de la route (IED), l’arme préférée des Talibans sont toujours efficaces, mais de plus en plus des soldats sont victimes d’accrochages avec les insurgés. C’est notamment le cas ces derniers jours de deux soldats français tués au combat, l’un dans la vallée de Bedraou et l’autre dans la vallée de Tagab, une des zones d’implantation des soldats français.

L’année 2010 marque une poussé des Talibans dans le Nord et le Nord-Ouest du pays, notamment dans les zones du peuplement des Pachtounes dans les provinces de Kunduz, Balkh, Farryab, Badghis … Cette poussé des Talibans est parfois accompagnée par des heurts sanglants au sein des insurgés pour la suprématie régionale entre les Talibans et les combattants du Hézb-é-islami de Gaulbuddin Hékmatyar, une des composantes de l’insurrection présente aussi dans l’Est et dans la province de Kapisa où est stationnée la majeure partie des soldats français.

La situation politique en 2010 : un tournant ?

Sur le plan politique l’année 2010 ressemble aussi beaucoup à celle de 2009 et aucun événement ne vient vraiment réconforter Barack Obama dans sa stratégie en Afghanistan, même si le visage politique interne afghan est modifié après les élections législatives de septembre 2010. La stratégie d’Obama ne pouvait fonctionner que si le gouvernement de Kaboul était capable de prendre en main la sécurité du pays avant la fin de l’année 2014. La mise sur pied d’une armée afghane plus nombreuse (300 000 hommes), mieux formée et mieux équipée ne pourra faire face à l’insurrection que si le pouvoir politique est crédible, efficace et légitime aux yeux de la majorité des Afghans.

Après le désastre de l’élection présidentielle d’août 2009, l’espoir de voir émerger un pouvoir central crédible et suffisamment légitime pour provoquer une véritable adhésion des Afghans dans les institutions du pays et priver les Talibans d’un argument de poids s’est évanoui, le pouvoir étant corrompu et illégitime. Des fraudes massives en faveur de Hamid Karzaï ont été observées, et le deuxième tour des élections n’a pas eu lieu car le challenger du président sortant et candidat de l’opposition, Dr. Abdullah, faute d’avoir obtenu des garanties de transparence, a finalement renoncé à s’y présenter. L’élection de Hamid Karzaï a gravement entaché la crédibilité du pouvoir central. Des révélations sur l’ampleur de la corruption au sommet de l’Etat et le trafic de drogue, ont contribué à une crise de confiance entre les Etats-Unis et son protégé afghan, Hamid Karzaï.

L’année 2010 est un tournant dans la vie politique de l’Afghanistan. Pour la première fois les députés issus des ethnies minoritaires, tadjik, hazâra, ouzbek … se trouvent majoritaires à l’Assemblée nationale afghane à la suite des élections législatives du 19 septembre 2010. Même si l’essentiel du pouvoir est concentré aux mains de Hamid Karzaï, cela marque une étape importante de la vie politique du pays. D’autant plus que le Parlement élu n’est pas favorable aux négociations telles que Hamid Karzaï le souhaite. Ce qui ne manquera pas de poser problème au volet politique de la stratégie d’Obama consistant à négocier entre le pouvoir central et les Talibans.

En effet, comme pour l’élection présidentielle, une partie des électeurs pachtounes, par conviction ou sous la menace des Talibans, n’ont pas voté. Le résultat : dans un pays où la démocratie se résume essentiellement à l’organisation d’élections, le vote a un caractère largement, sinon exclusivement, ethnique. Dans les zones de population mixte, les candidats pachtounes n’ont pas obtenu suffisamment de voix dans un scrutin de liste par province pour prétendre être majoritaire au Parlement. L’exemple de la province de Ghaznî très peuplée, représentant 11 sièges de députés sur 249 que contient le parlement, est frappant. La totalité des sièges fut gagnée par les candidats représentant la minorité hazâra très hostile aux Talibans. Une des conséquences de l’élection de ces nouveaux députés (plus de la moitié des députés sortants ont été battus) est que l’opposition politique au gouvernement de Hamid Karzaï menée par Dr. Abdullah semble dans une position plus forte que dans le parlement sortant. Un mois après l’annonce du résultat par la Commission électorale indépendante qui a épuisé toutes les plaintes et annulé près de ¼ des voix frauduleuses, Hamid Karzaï n’a pas procédé à l’ouverture de la nouvelle assemblée. Pire encore, après avoir échoué à invalider l’élection de certains députés farouchement opposés à son gouvernement, c’est le procureur général qui a engagé une procédure d’annulation du résultat des élections alors même que cela n’entre pas dans le domaine de ses compétences.

La situation politique en Afghanistan n’est pas étrangère au conflit entre deux visions au sein de l’administration américaine : celle des militaires défendue par le général David Petraeus, commandant en chef des forces américaines en Afghanistan et l’amiral Michael Mullen, le chef d’état-major des armées et celle des politiques, défendue par feu Richard Holbrook et le vice-président Joe Biden. Les militaires doutent de la capacité de l’armée et du gouvernement afghan à assurer la sécurité d’ici 2014, et ne souhaitent pas que juillet 2011 et fin 2014, pour le début et la fin du retrait, soient « inscrites dans le marbre ». Or, Joe Biden vient de provoquer un émoi chez ceux qui sont hostiles aux Talibans, ses propos ayant été largement commentés dans les journaux de Kaboul, en affirmant d’une manière encore plus claire qu’auparavant : « Nous commençons à évacuer dès juillet 2011 nos troupes et quoi qu’il arrive, nos soldats auront quitté l’Afghanistan à la fin 2014 ». (19 décembre NBC, émission « Face à face avec la presse »).

L’année 2011 s’annonce par conséquent une année charnière pour la présence américaine en Afghanistan et l’issue de la guerre. Assistera-t-on à plus d’ouverture vis-à-vis de la rébellion et à l’amorce des négociations tant attendues entre le pouvoir central et les Talibans ou, au contraire, sous la pression des militaires américains, va-t-on inaugurer un deuxième front au Pakistan encore plus désastreux que le front afghan ?

Karim Pakzad, chercheur associé à l’IRIS

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Publié le 4 janvier 2011 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.



Source : Affaires Stratégiques
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