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IRIS
Afghanistan :
nouvelle approche américaine vis-à-vis des Taliban
Karim Pakzad
Mardi 13 octobre 2009
L’un des points importants de la
« nouvelle
stratégie »
américaine en Afghanistan présenté par Barack Obama en mars
2009, était l’éventualité d’un dialogue avec les Taliban, dits
« modérés ».
La « nouvelle
stratégie » que
propose le général Stanley McChrystal, le commandant en chef des
forces de l’OTAN en Afghanistan – et qui nécessite l’envoi de
45000 soldats supplémentaires –, fait actuellement débat aussi
bien au sein de l’administration et du Congrès qu’entre ce
dernier et l’administration. Cette nouvelle stratégie a pour
objectif de gagner la guerre. Il semble cependant que Barack
Obama prépare le terrain pour une stratégie qui ne réclamerait
pas le déploiement massif de soldats américains supplémentaires.
En effet, le jeudi 8 octobre, deux déclarations des responsables
de l’administration viennent en apporter la preuve, calmant
vraisemblablement l’ardeur de ceux qui tablent toujours sur une
victoire militaire contre les Taliban. Dans une conférence de
presse, Robert Gibbs, le porte-parole du président américain
établit une distinction entre Al-Qaeda et les Taliban. Le même
jour, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton n’exclut pas que des
Taliban puissent participer au prochain gouvernement afghan.
Dès lors la question est de savoir qui sont les Taliban
et que distinguent ces derniers d’Al-Qaeda ?
Les Taliban sont apparus sur la scène
politique et militaire afghane en septembre 1994 en réaction au
chaos qui s’était installé en Afghanistan après la prise du
pouvoir par les Moudjahidine en 1992 et la guerre sanglante qui
s’en est suivie entre eux. C’est la raison pour laquelle, les
Taliban ont été acclamés à leur arrivée par la population,
notamment dans les régions pachtounes du Sud dont ils sont
originaires. Si la plupart des dirigeants et responsables du
mouvement étaient des ex-moudjahidine, des jeunes étudiants en
religion recrutés dans les
madressas (écoles religieuses)
pakistanaises avec le soutien du Pakistan, de l’Arabie saoudite
et des Emirats Arabes Unis (qui ont été les seuls à reconnaître
par la suite le régime des Taliban), composaient l’essentiel de
ses combattants. A l’époque, ni les Etats-Unis ni les pays
européens ne se sont inquiétés de l’arrivée des Taliban au
pouvoir, y voyant même plutôt une occasion de rétablir la
sécurité et l’ordre en Afghanistan.
Adeptes d’un islam rigoriste, les Taliban formaient également un
mouvement ethnique appartenant à l’ethnie pachtoune majoritaire
et qui ont fondé, en 1787, l’Afghanistan actuel. Avec la prise
du pouvoir par les moudjahidine majoritairement non pachtounes,
les Taliban perdent alors pour la première fois le pouvoir en
Afghanistan. C’est pourquoi, dès leur apparition, les Taliban
ont développé un désir de revanche envers les Pachtounes.
L’intervention américaine en novembre 2001 a permis
l’élargissement du mouvement des Taliban dans la province du
Nord-est du Pakistan et dans les zones tribales. La conjonction
entre des éléments étrangers liés aux djihadistes internationaux
d’Al-Qaeda et les Taliban a ainsi amplifié la radicalisation
idéologique. Dans cette région, l’homogénéité ethnique des
insurgés explique en grande partie la nature, la dimension
ethnique et tribale et l’ampleur de l’insurrection en
Afghanistan et au Pakistan.
L’erreur stratégique des Etats-Unis sur le
plan militaire – en donnant la priorité à la capture des
dirigeants d’Al-Qaeda d’une part et à la guerre en Irak d’autre
part –, a permis aux Talibans de regagner leurs régions
d’origine ou les zones tribales pakistanaises et de se
réorganiser. Cette tâche dévolue aux soldats engagés dans
l’opération « liberté immuable »,
distincte de celle de la Force Internationale pour Assurer la
sécurité (FIAS) commandée par l’OTAN, a été couronnée d’un plus
grand succès que celle de la lutte contre les Taliban. Et on
constate aujourd’hui qu’Al-Qaeda est très affaibli en
Afghanistan et que l’étau s’est resserré autour de ses
combattants dans les zones tribales pakistanaises.
Contrairement à une idée reçue, Al-Qaeda et les Taliban ne
composent pas un seul mouvement. Il est vrai que Al-Qaeda est né
en Afghanistan sous le régime des Taliban. Ces derniers se sont
implantés à partir du début des années 1980, avec
l’encouragement des Etats-Unis de Ronald Reagan qui facilitèrent
leur arrivée en Afghanistan, après avoir compris que les Afghans
n’accepteraient pas facilement la domination d’une puissance
étrangère (l’URSS). A ce moment, Oussama Ben Laden était chargé
de leur recrutement. L’influence des wahhabites, déjà
perceptible sous le régime des Taliban, n’a cessé de se
renforcer après l’intervention américaine dans le pays. Cette
radicalisation idéologique, notamment dans les zones tribales
pakistanaises, a abouti à la création, en décembre 2006, du
Mouvement des Taliban pakistanais (TTP).
Al-Qaeda (littérairement la base en arabe)
ou le djihadisme international faisant des zones turbulentes et
irrédentistes pachtounes du Pakistan sa « base
territoriale », a un agenda
mondial : abolir les frontières des Etats pour recréer un grand
Califat qui abriterait la Ummah, la communauté des croyants. Cet
agenda doit passer par la destruction du pouvoir central et la
modification des frontières. A cet égard, l’engagement de
l’Islam radical wahhabite et salafiste en Bosnie, en
Tchétchénie, en Irak et ailleurs relève de cette vision
idéologique. Et l’Afghanistan et le Pakistan représentent
aujourd’hui le terrain rêvé pour établir la grande « base
territoriale ».
Le mouvement des Taliban afghans, tout en
étant très rigoriste et rétrograde, définit son agenda
essentiellement dans un cadre national : l’Afghanistan. Il n’y a
d’ailleurs pas d’homogénéité idéologique entre les trois grandes
composantes de l’insurrection afghane qu’on résume, à tort,
uniquement aux Taliban.
La première composante de cette insurrection est le
Hezb-i-Islami
de Gulbuddin Hekmatyar, très influent dans l’Est du pays,
notamment dans la région du Kunar, du Laghman, du Kapisa et de
Saroubi. Ce sont les combattants du
Hezb-i-Islami
qui sont à l’origine de l’embuscade qui a coûté la vie à onze
soldats français, le 18 août 2008 dans la vallée d’Uzbin à l’Est
de Kaboul. Issue du mouvement des frères musulmans, comme le
commandant Ahmad Shah Massoud, Gulbuddin Hekmatyar était un
opposant au régime monarchique et militait pour la création
d’une république islamique. Il s’est réfugié au Pakistan quand
le général Mohamad Daoud a renversé, en juillet 1973, son
cousin, le roi Mohamad Zaher shah, et a fondé la première
république en Afghanistan. Après l’invasion soviétique,
Hekmatyar est devenu l’interlocuteur privilégié du puissant
service pakistanais ISI (Inter-Services Intelligence) et de la
CIA, devenant le principal bénéficiaire de l’aide américaine au
cours de la guerre anti-soviétique. Il a dirigé d’une main de
fer son parti, Hezb-i-Islami,
seul parti djihadiste organisé de la résistance afghane.
Cependant, il a échoué dans sa tentative de prendre Kaboul après
la débâcle du régime communiste en 1991. Il n’a jamais pu
occuper son poste de Premier ministre dans le gouvernement des
Moudjahiddine sous la présidence de Burhanuddin Rabbani et il
fut en grande partie à l’origine de la guerre civile qui s’en
est suivie. Lorsque Kaboul est tombé aux mains des Taliban,
Hekmatyar s’est réfugié en Iran. Après l’intervention américaine
contre les Taliban, l’Iran a expulsé Gulbuddin Hekmatyar qui est
revenu dans l’Est de l’Afghanistan. Si d’éventuelles
négociations devaient avoir lieu entre la coalition et les
talibans, Hekmatyar aurait une place importante. Certains
membres du Hezb-i-Islami
occupent déjà des postes ministériels et Hamed Karzaï ne cesse
d’envoyer des messages de réconciliation à ses « chers
frères », Hekmatyar et mollah Omar.
Le chef du parti islamique a pris récemment quelques distances
avec les Taliban en ne réclamant pas le retrait préalable des
troupes étrangères comme condition au dialogue, mais simplement
l’établissement d’un calendrier du retrait.
La deuxième composante englobe les réseaux
de Jallaluddin Haqquani. Ce dernier est un ancien héros de la
guerre contre l’armée soviétique, ancien ministre des Affaires
tribales du régime des Taliban et proche conseiller de mollah
Omar. Il s’est radicalisé après être entré en contact avec des
militants wahhabistes et salafistes d’Al-Qaeda présents dans la
ceinture pachtoune, notamment du Pakistan. Appartenant à la
tribu Zadran, présente, comme la plupart des tribus, de part et
d’autre de la frontière, Haqqani est très influent dans les
provinces de Paktya et de Paktika, limitrophes des zones
tribales pakistanaises où il est implanté depuis le début des
années 80. Il serait aussi à l’origine de la plupart des
attentats suicides sanglants commis à Kaboul. Vieux combattant,
ce sont ses fils, plus particulièrement l’un d’entre eux,
Sarajuddin Haqquani surnommé « Khalifa »,
qui dirigent les opérations de son organisation. Le clan des
Haqquanis est la cible privilégiée des forces américaines.
La troisième composante, de loin la plus
importante, est constituée des Taliban « originels »
présents avant les attentats du 11 septembre 2001, fidèles au
mollah Omar, le chef suprême du régime des Taliban, et
défendent, comme en 1994, un agenda politique largement fondé
sur le nationalisme pachtoune doublé d’une vision très
conservatrice de l’Islam. Il consiste à « chasser
les occupants étrangers » et
réinstaller l’émirat des Taliban à Kaboul. Un dialogue entre eux
et le gouvernement de Kaboul impliquant leur participation au
prochain gouvernement afghan ne semble plus constituer un
obstacle pour les Etats-Unis, l’ONU et l’Union européenne.
Toujours est-il que quelques changements sont perceptibles du
côté des Taliban dans leurs dernières déclarations. Certes, ils
demandent toujours le départ des troupes de l’OTAN en déclarant
même garantir leur sécurité pendant le temps du retrait, mais
ils s’adressent désormais, ce qui est inhabituel, à l’ONU, aux
organisations internationales et même à l’opinion publique
américaine et européenne.
La question est de savoir jusqu’où les Taliban pourraient
modérer leur conception et pratique du pouvoir inacceptable,
quoi qu’il arrive, pour une partie importante de la population
afghane. Ceci n’est pas une question idéologique mais la
garantie d’un équilibre visant à faire cesser la guerre civile.
Karim Pakzad, chercheur associé à l'IRIS. Tous les droits des auteurs des Œuvres
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réservés.
Publié le 13 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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