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Arrestations par dizaines, insultes
et brutalités
La marche
violemment réprimée
Karim Kebir
Manifestation à Alger -
Photo El Watan
Dimanche 13 février 2011
Alors qu’il
pensait être à l’abri d’oreilles baladeuses, un élu de l’APC de
Sidi-M’hamed appelle un haut responsable, probablement le
ministre de l’Intérieur et lui lance : “On a lâché
un groupe, on a besoin de renforts.”
Il est un
peu plus de 9h30, ce samedi, 12 février. Le soleil,
comme depuis quelques jours maintenant, enveloppe de sa
lumière Alger la Blanche. D’ordinaire assez dense, la
circulation est curieusement fluide, notamment sur
l’autoroute Nord qui longe la baie d’Alger. Mais la
place du 1er-Mai, rebaptisée depuis quelques années
place de la Concorde nationale, d’où devait s’ébranler
la manifestation à laquelle a appelé la Coordination
nationale pour le changement et la démocratie, elle, a
viré au… bleu et connaît déjà quelques frémissements. Un
impressionnant dispositif sécuritaire y est déjà en
place. Des colonnes de CRS, mais aussi de flics en civil
quadrillaient déjà cette place. Quelque peu nerveux et
excités, des agents de l’ordre pressent les
automobilistes.
Des passants curieux se regroupent sur les trottoirs
tandis que des grappes humaines se forment déjà près des
arrêts de bus, non loin du ministère de la Jeunesse et
des Sports. Les premiers slogans fusent en arabe : “Chaâb
yourid esqat ennidham”, “Le peuple veut la chute du
régime”, “y en a marre de ce pouvoir”. Les premières
arrestations sont aussitôt opérées. Député du RCD,
Mohcine Bellabès, parle déjà de plusieurs dizaines
d’arrestations parmi lesquelles des avocats, des
animateurs d’associations et des parlementaires.
Quelques figures dont Me Bouchachi, le président de la
Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (Laddh),
mais aussi d’hommes politiques à l’image de Abdelkader
Merbah, ancien député et responsable du Majd, de Djamel
Zenati, ancienne figure de proue du FFS, des
syndicalistes, des artistes, des cinéastes se mêlent à
la foule qui scande des slogans hostiles au pouvoir et
appelle au changement. Quelques minutes plus tard, c’est
Saïd Sadi qui fait son apparition. Il tente
laborieusement de se frayer un chemin pour rejoindre le
groupe de manifestants.
Saïd Sadi : “Le
changement se fera pacifiquement ou dans le chaos”
Très vite, les forces antiémeutes, sans doute bien
instruites, l’entourent et l’empêchent de gagner le
rassemblement. Voyant que toutes les issues sont bloquées,
il monte sur un banc pour haranguer la foule. La presse
présente en nombre l’assaille : “L’histoire est en marche”,
clame-t-il. “Le changement aura lieu pacifiquement ou dans
le chaos.” “Que chacun prenne ses responsabilités”, met-il
en garde. à l’adresse de la foule, il lance : “Ne vous
laissez pas intimider, vous avez le droit de marcher. Il dit
qu’il est élu avec plus de 90% (allusion à Bouteflika),
pourquoi a-t-il peur ? Pourquoi mobilise-t-il tous ces
policiers ?”, s’interroge Sadi. “Où va-t-on comme ça ?”.
“Nous avons marché et nous marcherons”. Réponse de la foule
: “Y en a marre de ce pouvoir, 50 ans barakat”.
Image saisissante : Arezki Aït Larbi, tenant Me Ali Yahia
Abdenour par la main, le président d’honneur de la Laddh,
rejoint Sadi. Anciens compagnons de lutte pour avoir créé
ensemble la première Ligue des droits de l’Homme en 1985, ce
qui leur vaudra leur emprisonnement, les trois hommes, que
les péripéties de la politique ont séparé un temps, se
retrouvent enfin. Parallèlement, des flics en civil
s’emploient à des arrestations sélectives et brutalisent,
avec des méthodes d’un autre temps, certains manifestants.
Témoignage d’un député, Leïla Hadj Arab : “Je voulais
intercéder pour une étudiante, quatre flics m’ont suivie et
m’ont brutalisée”. “Va-t-en espèce de chienne”, lui a lancé
un policier, selon elle. Boubkeur Derguini, un autre député
du RCD, sera roué de coups de pied avec une rare violence
alors qu’il s’égosillait à leur expliquer qu’il était
député. D’autres manifestants suivront. Les journalistes
dont un caméraman d’une chaîne étrangère, n’échapperont pas
à cette violence. En tout, ils seront plus d’un millier,
selon Saïd Sadi, à être arrêtés, brutalisés, avant d’être
relâchés.
“Nous vous
libérerons
de Bouteflika”
Alors qu’il pensait être à l’abri d’oreilles baladeuses, un
élu de l’APC de Sidi-M’hamed appelle un haut responsable,
probablement le ministre de l’Intérieur : “On a lâché un
groupe, on a besoin de renforts”, lui demande-t-il.
Les manifestants tentent de forcer le cordon pour avancer,
mais les forces antiémeutes s’y opposent. à une journaliste
de l’agence officielle qui l’interroge, le président du RCD
réplique : “Nous sommes là pour faire en sorte que l’APS
soit restituée à la volonté du peuple algérien. Nous vous
libérerons de Bouteflika qui aura à rendre des comptes. On
va récupérer l’APS, la radio et la télévision. Les
journalistes vont travailler librement. C’est pour bientôt,
cela ne fait que commencer, écrivez-le !” Vers 15h, des
dizaines d’éléments de CRS s’avancent et quadrillent toutes
les issues pour empêcher une jonction entre les manifestants
confinés dans le rassemblement et des jeunes de Belcourt
venus les rejoindre.
Quelques heurs plus tard, un mouvement de panique se
produit, visiblement provoqué. Une occasion pour les
policiers de s’avancer et de vider les lieux. Quelques jets
de projectiles et de bouteilles s’abattent, mais sans
gravité, sur les CRS qui progressent en dispersant la foule.
Hormis quelques syndicalistes et députés, bientôt
l’essentiel des figures de proue quitte les lieux. Mais les
plus réfractaires dont des jeunes réunis par la Toile
campent encore. “On décidera des suites à donner demain
(aujourd’hui, ndlr)”, affirme Ali Yahia. Les initiateurs de
la manifestation se sont fait entendre. Et la mayonnaise
risque de prendre…
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Publié le 13 février 2011 avec l'aimable autorisation de
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