Joshua Landis: le
gouvernement syrien a raison, des
groupes armés sont effectivement à l'oeuvre
en Syrie
Une
capture d'écran du site du Point (en
avril), du temps où il osait mentionner
les choses telles qu'elles arrivent.
Jeudi 4 août 2011
Nous vous
proposons la traduction d’un article
paru le 3 août sur le blog de Joshua
Landis, Syria Comment, un des plus
pointus sur le dossier, très souvent
consulté par les journalistes américains
et anglo-saxons, Landis ayant de son
côté écrit dans les médias audiovisuels
et journaux américains les plus
prestigieux – CNN, New York Times, Wall
Street Journal, Washington Post, etc.
Joshua Landis, Américain marié à une
Syrienne, aborde ici la question des
groupes armés, dont l’existence est en
général systématiquement niée – ou
passée sous silence – par les médias
d’Occident. Son article a été écrit
après la diffusion de la déjà fameuse et
terrible vidéo montrant des manifestants
visiblement islamistes et en tout cas
anti-régime, balançant des cadavres
ensanglantés depuis le pont qui enjambe
le fleuve Oronte à Hama. Il fait
également référence à une autre vidéo –
mise en ligne sur Infosyrie.fr le 3 août
– et montrant deux camions de l’armée
syrienne tombant dans une embuscade -à
Banyas, en avril dernier : il se trouve
qu’un des neuf militaires tués en cette
circonstance était le cousin de l’épouse
de Landis, le lieutenant-colonel Yasir
Qash’ur. Ce drame familial, mais aussi
un examen assez méthodique des éléments
existant sur d’autres preuves
d’implication de groupes d’opposants
armés, à Jisr al-Choughour ou à Hama,
ont conduit Joshua Landis à conclure
que les versions données par les
autorités syriennes sur ces incidents
sanglants étaient les bonnes, et que la
presse occidentale avait toujours refusé
de voir la vérité en face pour des
raisons qui tiennent à la bonne
conscience et au conformisme
idéologiques. Oui, répète
Landis, il y a des groupes armés à l’oeuvre
en Syrie, qui s’attachent, avec succès
jusque-là, à enclencher le fameux et
fatal cycle « provocation-répression »
bien connu des révolutionnaires et
déstabilisateurs professionnels.
Cette conclusion
d’un expert reconnu des questions
syriennes a d’autant plus de prix que la
deuxième partie de l’article de Landis
est rien moins que favorable au régime
baasiste : il affirme que trop de
Syriens souffrent actuellement de
pauvreté et d’une absence totale de
perspectives, et constituent donc des
recrues idéales pour les groupes
subversifs armés : on émettra des
réserves sur le tableau très sombre que
dresse Landis, le régime ayant malgré
tout suscité depuis plusieurs années des
progrès sociaux et économiques. Mais sa
thèse, inquiétante, sur la
radicalisation de franges d’opposants et
le raidissement parallèle des partisans
du régime est crédible : le spectre de
la guerre civile à l’irakienne a
commencé à roder en Syrie, du côté de
Hama et de Homs. Les pompiers pyromanes
de France – le tandem Juppé-Sarkozy – et
d’ailleurs – l’Union européenne
accompagnant, ou parfois précédant, les
desiderata du Pentagone,
du Département d’Etat et de la Maison
Blanche – doivent en être bien
conscients.
La
controverse autour des groupes armés
par Joshua Landis
J’ai parlé de la « controverse des
groupes armés » dans mes deux derniers
articles. Dans la section des
commentaires, des Syriens ont débattu
pour savoir si l’opposition a suscité
dans ses rangs des éléments activistes
qui tueraient des soldats syriens. Un
certain nombre d’analystes, tel Majd
Eid, qui ont rejoint
le débat sur France24 hier,
maintiennent que ce soulèvement est
non-violent. Ils insistent sur le fait
que les soldats syriens tuent d’autres
soldats, pas des éléments de
l’opposition. Ces massacres ont lieu
quand les forces de sécurité refusent
les ordres de tirer sur les foules,
insistent-ils. Jusqu’à
maintenant, il n’y a aucune preuve que
des militaires syriens aient tué leurs
camarades pour refus à un ordre direct.
Au contraire, la plupart des preuves
disponibles renforcent les affirmations
du gouvernement comme quoi des éléments
armés de l’opposition tirent sur les
forces de sécurité.
Cette controverse a vu le jour en
avril lors des manifestations à Banias,
quand neuf soldats furent tués sur
l’autoroute principale dans deux
véhicules, en dehors de la ville. Des
activistes ont annoncé que des soldats à
Banias avaient été exécutés par d’autres
soldats pour avoir refusé de tirer sur
une foule. Cette histoire s’est révélée
fausse, mais a été véhiculée par la
majorité de la presse occidentale et
jamais corrigée. J’ai écrit un article à
propos de cette controverse le 14 avril
sous le titre :
La presse occidentale égarée – Qui a tué
les neuf soldats de Banias ? Pas les
forces de sécurité syriennes.
La raison qui m’a poussé à m’intéresser
à cette affaire est que le cousin de ma
femme,
le lieutenant-colonel Yasir Qash’ur,
était un des neuf soldats tués ce 10
avril. Nous le connaissions bien. Nous
avons parlé avec le beau-frère de Yasir,
le colonel ‘Uday Ahmad, qui était assis
à l’arrière du camion dans lequel Yasir
et plusieurs des soldats furent tués. ‘Uday
nous a raconté que leurs deux camions
militaires ont été pris en embuscade,
alors qu’ils traversaient un pont
autoroutier, par des hommes bien armés
qui se cachaient derrière les barrières
centrales et sur le toit des bâtiments
du bord de route. Ils ont ratissé le
convoi avec des tirs automatiques, tuant
neuf personnes. L’incident n’avait rien
à voir avec des soldats refusant des
ordres. Sa description des faits était
en telle contradiction avec les récits
que je lisais dans la presse que j’ai
commencé à creuser le sujet. Une vidéo
ultérieure de l’échange de tirs fut
trouvée et montrée à la télévision
syrienne. Elle corroborait la version
donnée par ‘Uday. La presse
occidentale et les analystes ne
voulaient pas reconnaître que des
éléments armés devenaient actifs. Ils
préféraient raconter un beau conte de
fées à propos de « gentils » combattant
des « méchants ». Il n’y a
aucun doute que la majorité de
l’opposition était pacifique et a été
prise à partie par des soldats et des
snipers également meurtriers. On se
demande seulement pourquoi cette
histoire n’aurait pas pu être racontée
en prenant en compte la réalité – à
savoir que les éléments armés, qui
venaient pour tuer, jouaient un rôle
aussi.
Durant les affrontements sanglants de
Jisr al-Shoughour, la presse occidentale
dans sa grande majorité a répété les
affirmations de l’opposition annonçant
100 soldats tués, non par des éléments
d’opposition, mais par d’autres soldats.
Les journaux insistèrent sur le fait que
les militaires syriens avaient été tués
dans cette ville par d’autres soldats,
pour avoir refusé des ordres de tir sur
la population. Les déclarations du
gouvernement affirmant que les soldats
furent tués par des éléments armés les
ayant pris en embuscade furent
systématiquement ignorées.
Aujourd’hui, une vidéo corrobore la
version gouvernementale des événements :
les soldats stationnés en ville furent
attaqués par une opposition organisée et
armée. Voici une vidéo montrant
certains de ces soldats avant qu’ils ne
soient tués :
Les premières minutes de celle-ci
montrent les soldats après qu’ils aient
été tués :
Voici la vidéo originale, non éditée,
des corps avant qu’ils ne soient placés
sur les camions :
Dans l’affrontement d’Hama, la vidéo
montrant des corps jetés depuis un pont
dans une rivière a été sujette à
controverses. Cette vidéo, faite en
comparant les vues du pont de Google
Earth avec ce qu’on aperçoit dans la
vidéo prouve que le film est récent,
provient de Hama, et montre des éléments
d’opposition jetant des corps de soldats
depuis le pont autoroutier dans la
rivière ‘Asi, au nord de Hama, sur
l’autoroute vers Alep.
Quelle est donc la
signification de l’émergence
d’éléments d’opposition armés ?
Un des principaux activistes
anti-gouvernemental, qui s’exprimait
su CNN, l’a très bien expliqué.
Voici le reportage d’Arwa Damon et
de Nada Husseini diffusé sur CNN le
2 août dernier :
« Un important activiste
anti-gouvernnemental, qui a demandé
à ne pas être nommé en raison des
dangers liés à la diffusion de ces
informations, a dit à CNN que le
compte-rendu de la télévision d’Etat
syrienne était correct. Les corps
sont ceux de membres de la police
secrète tués par des combattants
syriens venus d’Irak pour se joindre
à la lutte contre le gouvernement a
expliqué cet activiste, qui tient
ses informations sur les événements
en cours d’un vaste réseau de
correspondants.
« Le même activiste
soulignait que ces extrémistes ne
sont pas représentatifs du mouvement
de protestation. Des éléments
violents marginaux sont apparus à la
faveur des troubles de Syrie. Selon
une étude de l’International Crisis
Group, parue le mois dernier,
certains éléments
anti-gouvernementaux ont pris les
armes. Cependant, précise le
rapport, « la grande majorité des
pertes concernes des manifestants
pacifiques, et la grande majorité
des violences ont été perpétrées par
les services de sécurité.
L’activiste a dit encore que la mise
en ligne de cette vidéo est comme
une lame à deux tranchants pour les
opposants.
« D’un côté, dit-il, les
manifestants pacifiques doivent
devenir conscients de l’existence de
ces éléments marginaux. Cela devrait
inciter d’avantage de gens à rejeter
tout à la fois le régime et ce type
d’agressions armées, et à préserver
les objectifs d’une protestation
pacifique. Mais dans le même temps,
a-t-il ajouté, les incidents donnent
de la crédibilité aux affirmations
du gouvernement syrien selon
lesquelles il ne cible que des
« bandes armées ». Une telle
violence (de la part des activistes,
Ndlr), dit-il encore, pourrait faire
que la communauté internationale
hésite à augmenter la pression sur
le régime syrien. »
Beaucoup de partisans du
mouvement révolutionnaire ont réagi
à ces vidéos en demandant : « On
s’attendait à quoi ? Les Syriens
vont-ils attendre de se faire tuer ?
Bien sûr que la violence engendre la
violence. C’est normal et la seule
surprise c’est que ça ait mis si
longtemps à venir. »
C’est un argument incontestable.
L’opposition syrienne a été longue à
s’armer dans son effort pour
renverser le régime baasiste. Le
Mouvement des Officiers libres prend
de l’importance. La plus récente
vidéo éditée par le M.O.L. montre
que le nombre de ses membres
progresse, bien que l’organisation
n’en soit encore qu’à ses
balbutiements. Son leader déclare
qu’ils défendront les civils contre
les « actions barbares du régime
et de ses Shabbiha (jeunes
délinquants issus de la communauté
alaouite de la région côtière du
nord du pays, censés avoir joué un
rôle dans la répression de certaines
manifestations de l’opposition,
Ndlr) » D’autres organisations
armées descendent dans la rue mais
aucune n’a officiellement déclaré
son existence ni défini des
objectifs politiques. Ce qui devrait
certainement se faire dans les mois
à venir.
Dès le début, on a eu une guerre
des vidéos. Celle d’une femme disant
adieu à son mari, tué à Hama le 2
août, est pathétique. De telles
vidéos sont comme un appel aux
armes.
Le régime se battra jusqu’au bout
et a encore beaucoup de pugnacité.
Les militaires ont beaucoup d’atouts
par rapport à une opposition
divisée. Il est improbable que le
régime « s’effondre » comme le
prédisent certains activistes, ou
qu’il se volatilise à la manière de
celui de Ceaucescu. S’il doit être
vaincu, ce sera sur le terrain et
par la force. Il est difficile
d’imaginer une autre issue. Bien
sûr, si Damas et Alep manifestaient
ensemble en masse, la rupture serait
accélérée, mais l’armée et le Baas
n’abandonneront pas la partie. Les
divisions de la Syrie sont trop
profondes. La crainte de vengeances
et d’épurations ethniques vont
renforcer la détermination de tous
ceux qui ont soutenu l’ordre en
place depuis des décennies. Si la
direction syrienne avait voulu
transmettre pacifiquement le pouvoir
ou établir une sorte d’accord
constitutionnel, elle l’aurait déjà
fait.
La pauvreté et la perte de
dignité qu’éprouvent beaucoup de
Syriens sont une dimension très
lourde de la réalité de ce pays. 22%
des Syriens vivent avec deux dollars
ou moins par jour. C’est là une
donnée effrayante. Ce sera bien pire
quand les difficultés économiques et
les pertes d’emplois commenceront à
se multiplier. La Syrie est pleine
de gens qui ont peu à perdre, qui
ont un faible niveau d’éducation, et
peu de perspectives d’avoir une vie
meilleure et plus digne. Le
potentiel de violence et de
criminalité est important. Plus
préoccupant encore est l’absence
d’un leadership des forces de
l’opposition.
Publié le 4 août
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
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