Opinion
La Syrie a besoin
d'une médiation et non d'être précipitée
dans une guerre civile
Jonathan Steele
Samedi 19 novembre
2011 Ce que pourrait (aurait pu?) être la
voie vers le changement et la paix
en Syrie
Jonathan Steele est ce qu’on
appelle un journaliste chevronné.
C’est cependant dans une tribune
libre qu’il livre son analyse de ce
qui pourrait permettre une issue
positive à la crise en Syrie.
Son propos est très clair et il
rejoint les thèses que je
vous avais présentées tantôt.
Dans l’affaire syrienne, il est
patent que les régimes occidentaux
jouent un rôle de fermeture
méthodique de toutes les issues
vers une solution pacifique et
négociée et que leur but est une
guerre civile.
Comme l’écrivait Ehsani
sur Syria Comment, le schéma
occidental passe par le constitution
d’une zone sanctuarisée en
territoire syrien à partir de
laquelle une opposition armée
pourrait agir à l’abri de
représailles.
Un tel schéma serait sans doute
insuffisant pour renverser le régime
au pouvoir, mais suffisant pour
l’affaiblir. Les puissances
occidentales semblent cependant
ne pas toutes avoir le même agenda
pour la Syrie. La France,
ancienne puissance mandataire ne
l’oublions pas, semble être la plus
en pointe comme sur le dossier
libyen
Les implications stratégiques ne
sont cependant pas les mêmes ici car
toute intervention militaire des
occidentaux aurait des conséquences
immédiates sur leur protégé, à
savoir l’entité sioniste.
Ces conséquences seraient même à
double détente. : tout d’abord une
riposte militaire syrienne et sans
doute libanaise sur le territoire de
l’entité sioniste puis, en cas de
changement de régime à Damas,
l’arrivée au pouvoir de dirigeants
partisans d’une escalade avec le
régime sioniste, ou tout simplement
incapables d’empêcher des actions de
résistance aux frontières avec
l’Etat voyou.
La seule solution pour éviter un
tel scénario serait une intervention
militaire massive, éclair avec
occupation du territoire et
élimination physique de
l’encadrement baathiste de la
société syrienne..
On voit mal l’ONU, (ou la Chine
et la Russie) donner son feu vert à
quelque chose de ce genre et je
n’imagine pas non plus quels pays
pourraient se lancer dans une telle
aventure qui, pour avoir une chance
de succès, devrait impliquer la
participation de l’armée turque et
surtout celle de l’armée sioniste.
Pour cette dernière, il est vrai
que ce serait de fait une occasion
inespérée d’assouvir en partie son
aspiration d’étendre son territoire
du Nil jusqu’à l’Euphrate.
On peut essayer, avec Jonathan
Steele, d’être optimiste et
souhaiter la réussite des tentatives
de médiation menées par la Russie
mais aussi par l’Iran qui a
également pris langue avec les
opposants au pouvoir baathiste.
Ceci dit, le chemin vers la paix
en Libye était encore plus clair
grâce à une Union Africaine dont les
efforts avaient été
consciencieusement sabotés par le
France et la Grande Bretagne. Et
Alain Juppé a en ce moment des
accents qui rappellent furieusement
ceux qui étaient les siens dans
l’affaire libyenne.
Ici, pas d’Union Africaine,
seulement une Ligue Arabe
discréditée.
La Syrie a
besoin d’une médiation et non d’être
précipitée dans une guerre civile
En suspendant un pays
en crise, la ligue Arabe réduit les
possibilités pour le régime Assad de
négocier pacifiquement un virage
dangereux.
Par Jonathan Steele,
The Guardian (UK)17 novembre 2011
traduit de l’anglais par Djazaïri
La Syrie est au bord
de la guerre civile et la
Ligue Arabe semble, de manière insensée,
avoir décidé de pousser dans cette
direction. Une perspective horrible au
moment où le Qatar et l’Arabie Saoudite,
les faucons du Golfe, sont rejoints par
l’habituellement modéré roi Abdallah de
Jordanie pour prendre parti en faveur
des opposants au régime syrien d’Assad.
Alors que le bon sens
enjoignait aux gouvernements arabes de
chercher à servir de médiateurs entre le
régime et ses opposants, ils ont au
contraire choisi d’humilier les
dirigeants de la Syrie en la suspendant
de la Ligue Arabe.
Ce n’est pas un
hasard si la minorité des membres de la
Ligue Arabe qui a refusé de suivre cette
décision comprend le Liban, l’Irak et
l’Algérie. Ce sont trois pays arabes qui
ont éprouvé eux-mêmes une grave violence
sectaire et les horreurs de la guerre
civile. Le Liban et l’Irak en
particulier, sont un intérêt direct à
empêcher une effusion de sang à grande
échelle en Syrie. Ils craignent à raison
un énorme afflux de réfugiés à leurs
frontières en cas de basculement de leur
voisin dans la guerre civile.
Cette guerre a déjà
commence. L’image d’un gouvernement
abattant des manifestants désarmés, qui
était vraie en mars et avril derniers,
n’est plus d’actualité. La dénommée
Armée Syrienne Libre ne dissimule plus
le fait qu’elle combat et tue des
membres de la police et des forces
gouvernementales, et qu’elle opère
depuis des bases à l’abri en dehors des
frontières syriennes. Si elle monte en
puissance, la guerre civile naissante
prendra une tournure encore plus
ouvertement sectaire avec le risque de
pogroms contre des communautés rivales.
Les Sunnites modérés
en Syrie sont préoccupés par le
renforcement de la présence militante
des Frères Musulmans et des salafistes
qui se retrouvent en position dominante
dans les rangs de l’opposition. Les
grandes manifestations
pro-gouvernementales à Alep et Damas la
semaine dernière ne peuvent pas être
simplement mises au compte de foules
intimidées ou menacées de perdre leur
emploi si elles ne descendent pas dans
la rue pour le régime.
Dans le même temps,
l’importante minorité chrétienne de
Syrie est submergée par
l’inquiétude, craignant de subir le
même sort que les Chrétiens Irakiens qui
ont été contraints de fuir quand le
sectarisme meurtrier a accentué la
saillance de l’identité religieuse de
chaque citoyen et a commencé à accabler
également les non Musulmans. Dans le
nord de la Syrie, les Kurdes sont aussi
nerveux au sujet de leur avenir. En
dépit du refus ancien et persistant par
le régime de reconnaître leurs droits
nationaux, la plupart d’entre eux craint
encore plus les Frères Musulmans.
Le régime Assad a
commis erreur sur erreur. Stupéfait par
les premières manifestations du
printemps dernier, il a recouru trop
vite à la force. Il a empêché la
présence de la presse étrangère et
censuré sa propre presse et sa
télévision, laissant ainsi le champ
libre aux rumeurs, à l’exagération et
aux distorsions de séquences vidéo
diffusées au hasard sur YouTube. Ses
offres de dialogue avec l’opposition ont
été hésitantes et n’ont pas semblé
sincères. Les attaques de ces derniers
jours contre des ambassades arabes à
Damas ont été stupides.
Le résultat en a été
que la situation s’est de plus en plus
polarisée. Le régime dénonce
l’opposition basée à l’étranger, le
Conseil National Syrien (CNS)) créé le
mois dernier, comme étant une
marionnette des gouvernements étrangers.
De son côté, le CNS refuse de discuter
avec le régime et insiste sur la
nécessité du départ d’Assad. Il s’est
lancé dans des appels à une zone
d’exclusion aérienne et à une
intervention étrangère sur le modèle
libyen, qui sont autant d’incitations à
la guerre civile. L’opposition de
l’intérieur n’est pas allée aussi loin
mais pourrait être poussée dans cette
direction si la situation continue à se
durcir.
La Syrie a
aujourd’hui besoin d’une médiation
internationale avant qu’il ne soit trop
tard, avec un échéancier pour une
transition démocratique qui comprendrait
des garanties de statut pour toutes les
minorités, dont pour les Alaouites à
laquelle appartiennent les élites au
pouvoir. Le risque d’une domination
accompagnée d’une vengeance par la
majorité sunnite est trop grand.
Exiger le départ de
la famille Assad est contre-productif
sauf si une amnistie est proposée.
Pourquoi les Assad accepteraient-ils de
céder le pouvoir pacifiquement au vu des
précédents de Moubarak (emprisonnement
et jugement) et de Kadhafi
(lynchage) ? Du moins, la Cour pénale
Internationale n’est pas de la partie,
ce qui aurait rendu la crise encore
pire.
La réunion de la
Ligue Arabe ce mercredi à Rabat a montré
des signes que l’organisation commençait
peut-être à avoir des doutes sur sa
décision hâtive de suspendre la Syrie
samedi dernier. La décision n’était pas
conforme aux statuts de la Ligue qui
prévoient que seul un sommet des chefs
d’Etat arabes peut appeler à la
suspension d’un membre, et que la
décision doit être prise à l’unanimité.
La Ligue Arabe vient de reporter
l’application de la mesure. Elle a donné
trois jours à la Syrie pour accepter des
observateurs civils et militaires pour
contrôler la situation sur le terrain.
[cet aspect des démarches de la Ligue
Arabe est présenté de manière
biaisée ou fort discrètepar vos
journaux, NdT]
Si cela devait
devenir un effort sérieux de médiation,
tant mieux. Le meilleur modèle est
l’accord qui avait mis un terme à la
guerre civile au Liban, obtenu après des
discussions à Taef en Arabie Saoudite en
1989. Quoique négocié par les diverses
parties et groupements d’intérêts
libanais, le parrainage et le soutien
saoudiens avaient été importants.
L’éventualité que
l’Arabie Saoudite joue un tel rôle
aujourd’hui est fort douteuse. Ardemment
soutenue par l’administration Obama, la
monarchie semble pencher pour une
stratégie anti-iranienne dans laquelle
le renversement d’un régime syrien
dominé par des Chites est conçu comme un
coup indirect porté contre Téhérn. Les
Saoudiens et les Américains coopèrent
étroitement avec les forces sunnites de
Saad Hariri à Beyrouth qui n’ont
toujours pas digéré d’avoir perdu leur
contrôle du gouvernement libanais ce
printemps.
La Turquie avait
tenté une médiation pendant l’été, mais
sa démarche avait été taxée de duplicité
par le régime Assad parce que la Turquie
aidait en même temps l’opposition
syrienne à s’organiser à Istanbul.
Ecartelée ente son désir d’avoir de
bonnes relations avec l’Iran voisin
ainsi qu’avec les régimes sunnites
arabes, la Turquie s’est rangée
entièrement du côté anti-Assad. Les
pressions des Etats Unis et l’accord
renouvelé de Washington pour fermer les
yeux sur les incursions de l’armée
turque contre les bases de la guérilla
kurde dans le nord de l’Irak ont sans
doute joué un rôle.
En théorie, l’ONU
pourrait assurer une médiation, mais ses
démarches pour négocier un arrêt de la
guerre civile en Libye n’avaient eu
aucun soutien de la part des membres
occidentaux du Conseil de sécurité. Avec
leur attitude anti-Assad et contre une
amnistie, ils semblent tout aussi peu
disposés à rechercher la paix en Syrie.
Seule la Russie a eu la sagesse de
soutenir le dialogue et d’adresser un
message fort en ce sens quand des
opposants Syriens avec la visite à
Moscou d’opposants Syriens.
La Ligue Arabe peut
encore désigner un groupe d’éminents
Arabes indépendants pour entendre toutes
les parties impliquées dans la crise
syrienne et rechercher un nouveau «Taef.»
Cette équipe devrait comprendre des
membres Chiites et Sunnites. Mais la
ligue Arabe doit d’abord repousser
l’hystérie anti-iranienne que les USA,
Israël et l’Arabie Saoudite excitent
dans le Golfe. L’abîme d’une guerre
civile totale en Syrie est beaucoup plus
réel. Et il est très proche.
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