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TLAXCALA
Mythes
israéliens – De la Tromperie érigée en mode de vie
Jonathan
Cook
on CounterPunch, 31 août 2006
http://www.counterpunch.org/cook08312006.html
Nazareth – Dans un pays fondé sur un mythe fondateur – selon
lequel la population indigène palestinienne serait partie de son
plein gré et n’aurait nullement été la victime d’une épuration
ethnique – et dans un pays, aussi, qui entend trouver sa légitimité
en recourant à une foultitude d’autres bobards, consistant par
exemple à affirmer que l’occupation de la Cisjordanie serait
« bon enfant » et que celle de Gaza « aurait
pris fin », la tromperie est en passe de devenir un mode de
vie.
Il en va ainsi dans ce « calme relatif » qui fait suite
au pilonnage du Liban, un mois durant, par Israël – un calme
dans lequel des Israéliens ne meurent peut-être plus, mais où
des Libanais continuent hélas très certainement à le faire,
tandis que les explosions des sous-munitions des armes à
fragmentation de fabrication états-unienne continuent à « accueillir »
les réfugiés qui retournent chez eux dans le Sud dévasté, et
que les habitants de la bande de Gaza continuent à périr par
dizaines semaine après semaine sous les frappes incessantes et
aveugles de l’aviation israélienne, tandis que les autres
meurent d’inanition à petit feu dans leur prison à ciel
ouvert.
Beaucoup des bobards de guerre d’Israël ont d’ores et déjà
été profondément ancrés dans les consciences occidentales par
les médias :
+ c’est le Hezbollah qui aurait
« provoqué » la guerre en capturant deux militaires
israéliens, et non pas Israël qui pourtant
maintenait une attitude hostile et provocatrice depuis six
ans, en envoyant quotidiennement ses avions de guerre et ses
drones espions dans l’espace aérien libanais ;
+ c’est le Hezbollah qui aurait perpétré une agression en
tirant des roquettes sur Israël, même si ces roquettes n’ont
commencé à être tirées QU’APRES les bombardements massifs
par Israël de régions exclusivement civiles au Liban et afin
d’y REPLIQUER ;
+ c’est le Hezbollah, qui, contrairement à Israël, aurait
utilisé la population locale comme boucliers humains, même si
l’espionnage aérien généralisé et continuel du Sud Liban par
les avions et les drones israéliens n’a pas été en mesure
d’en apporter le moindre commencement de preuve ;
+ c’est le Hezbollah qui aurait pris pour cibles des civils, et
non Israël, en dépit du bilan des morts qui indique exactement
le contraire;
+ de plus, ce Hezbollah, armé par l’Iran, serait totalement illégitime,
même si ces armes ont été utilisées pour défendre le Liban
contre une agression israélienne préparée de longue date, alors
qu’Israël aurait un droit absolu et incontestable de recevoir
son arsenal des Etats-Unis, quand bien même ces armements ont été
utilisés de manière offensive, la plupart du temps contre les
populations civiles libanaise et palestinienne…
Ce sont des bobards de cet acabit qui ont été répandus, après
les combats.
Ainsi, par exemple, il semble aujourd’hui chose admise que les
attaques du Hezbollah par roquettes contre Israël auraient fait
d’un million d’Israéliens des réfugiés.
Le commentateur le plus respecté du quotidien israélien Haaretz,
Yoel Marcus, a dit exactement cela, voici quelques jours, dans une
tribune publiée par le quotidien britannique Guardian, quand il a
fait la remarque que « ce sont environ un million de réfugiés
israéliens » qui ont été contraints de partir du Nord
d’Israël.
Ce Marcus semble décidément se faire une représentation
extraordinairement élastique de la signification du mot « environ »…
En réalité, il est totalement impossible qu’un million d’Israéliens
aient ainsi été transformés en réfugiés, comme le démontrera
un rapide calcul.
Il y a environ 1,2 millions d’Israéliens qui vivent dans le Nord
d’Israël, et cette population se répartit environ par moitiés
entre citoyens juifs et citoyens arabes. Pratiquement aucun Arabe
israélien n’a quitté le Nord durant toute la durée des
bombardements par roquettes du Hezbollah, soit en raison d’une
crainte résiduelle bien compréhensible que l’Etat n’en
profite pour leur confisquer leur maison, comme cela est arrivé
aux Palestiniens qui avaient fui, ou qui avaient été terrorisés
pour qu’ils s’enfuient, durant la guerre de 1948, soit tout
simplement parce qu’ils n’avaient strictement aucun autre
endroit où aller. La plupart d’entre eux ont supposé –
probablement à très juste titre – que la population juive du
centre d’Israël n’était pas particulièrement encline à les
recevoir à bras ouverts, en tant que réfugiés…
On fait aussi souvent état, dans les médias, du « fait »
que 300 000 Israéliens auraient dû rester dans des abris. De
tels abris n’ont été construits que dans le Nord d’Israël,
et ils n’en existe aucun dans les régions exclusivement arabes.
Par conséquent, les gens qui ont utilisé ces abris sont nécessairement
des citoyens juifs du Nord d’Israël. Ceci signifie que si 300
000 juifs sur les 600 000 qui vivent dans le Nord d’Israël étaient
dans les abris, alors il a dû y avoir tout au plus 300 000 réfugiés
[en supposant que tous les autres Israéliens qui ne sont pas
descendus dans les abris soient partis…]
Pourquoi Marcus tient-il donc tellement à donner à accroire
qu’un million d’Israéliens auraient été chassés de chez
eux ?
C’est tout simple : cela permet à Israël de représenter
la menace du Hezbollah sous une lumière plus terrifiante, et cela
rend plus convaincante l’assertion selon laquelle les Israéliens
auraient souffert autant que les Libanais, dont un million, pour
le coup, ont véritablement dû partir pour tenter de se réfugier
ailleurs.
Cela présente par ailleurs l’avantage de recouvrir d’un vernis
avantageux la réalité peu reluisante, qui est que plus des 300
000 « réfugiés » [au grand maximum] israéliens étaient
chez des parents ou des amis à une centaine de kilomètres plus
au Sud, dans des chambres d’hôtes et à l’abri de tout
danger. Ils n’étaient pas, comme les Libanais, en train de fuir
pour tenter de sauver leur peau – leurs convois étant pris pour
cibles par les avions de guerre israéliens – et, à la différence
des Libanais, ils ne devaient pas vivre dehors, sans abri, sans
nourriture et sans eau potable, et toujours à la merci des
bombardements et des tirs de missiles...
Dans les faubourgs de Kiryat Shmona, ville très proche de la
frontière libanaise, la quasi totalité des « réfugiés »
israéliens sont revenus dans leurs maisons intactes, alors que
des dizaines de milliers de réfugiés libanais ont trouvé leurs
maisons transformées en tas de ruines, avec, au milieu des
gravois, des bombes à fragmentation qui continuent jusqu’à
aujourd’hui, et encore pour longtemps, à menacer de les tuer et
de les mutiler.
Mais, là encore, ce n’est pas ce que le gouvernement israélien
veut nous faire croire… C’est la raison pour laquelle il a
publié un rapport, cette semaine, affirmant que 12 000 bâtiments
auraient été endommagés par les tirs de roquettes du Hezbollah.
Cela semble un chiffre étrangement élevé, dès lors que l’armée
israélienne elle-même affirme que « pas plus » de 4
000 roquettes ont été tirées sur le territoire israélien et
qu’un nombre non négligeable desdites roquettes auraient
atterri en pleine nature… Le même rapport n’affirme-t-il pas
d’ailleurs, quelques pages plus loin, que plus de 400 incendies
de broussailles ont été déclenchés par ces roquettes… ?
Alors comment – et surtout, pourquoi – le gouvernement israélien
parvient-il au chiffre de 12 000 immeubles « endommagés » ?
Cela voudrait dire que chaque roquette ayant atteint une structure
aurait endommagé au minimum trois autres bâtiments !
Quiconque a vu les destructions provoquées par une roquette
Katyusha [arme principale utilisée par le Hezbollah] sait bien
que cela ne provoque guère plus qu’un trou dans la surface
touchée. La dispersion de shrapnels, toutefois, cause des
dommages mineurs aux structures environnantes (et des dégâts
bien plus considérables, hélas, aux êtres humains), comme des
trous dans les enduits des murs ou des fenêtres brisées.
Autrement dit, la plupart de ces fameuses 12 000 « structures »
– et, comme par hasard, personne ne sait au juste ce que les
officiels israéliens incluent dans la catégorie « structures »
(appartement individuel, garage, cabane de jardin, niche de Médor ?)
– ont subi des dégâts mineurs, qui ont pu être réparés en
une après-midi…
Alors, pourquoi ce besoin de faire la promotion de ce nombre gonflé ?
Tout simplement, parce que le Hezbollah fait état de la
destruction de 15 000 immeubles, au Liban : là, en
l’occurrence, il s’agit d’immeubles rendus irrécupérables
par les bombes et les missiles israéliens.
Comme il est de tradition dans la société arabe, beaucoup de ces
immeubles de plusieurs étages abritaient plusieurs familles, ce
qui signifie qu’un nombre d’appartements familiaux
probablement bien plus important que les 15 000 immeubles détruits
cités ont disparu.
Certaines sources libanaises estiment que plus de 100 000 domiciles
ont ainsi été totalement détruits. Mais l’objectif d’Israël
est de donner à voir que son peuple aurait souffert autant que le
peuple libanais. De manière frappante, l’estimation des
dommages économiques infligés au Liban par l’agression israélienne
s’établit à 5 milliards de dollars… Or, là encore, Israël
affirme que ce chiffre correspond à sa propre estimation de ses
propres pertes économiques...
A croire qu’à chaque fois qu’une de ces bombes fournies par
les Etats-Unis a été larguée, elle ait fait autant de mal au
budget militaire israélien qu’à l’endroit et aux gens sur
lesquels elle est tombée ! L’important étant sans doute
que quand, un jour, l’estimation des réparations de guerre sera
réglée (s’il en est jamais question, un jour…), alors n’en
doutons pas : Israël affirmera que ses propres pertes
annulent celles du Liban !…
Beaucoup de manips israéliennes sont également utilisées sur le
plan intérieur afin de déterminer qui bénéficiera – et qui
sera exclu – des largesses du gouvernement et de ses plans de
« reconstruction » du Nord. En ce qui concerne le sens
dans lequel souffle le vent, il n’y a pas de surprise…
Ainsi, des ministres ont affirmé, après la guerre, que des
dirigeants municipaux arabes – et non juifs – avaient abandonné
leurs administrés afin de se mettre à l’abri des tirs de
roquettes. Ainsi, après une tournée dans le Nord, le ministre de
l’Intérieur, Ronnie Bar-On, a prétendu que l’incapacité de
certaines villes et de certains villages de faire face à la
situation découlait du fait que les dirigeants locaux « avaient
pris la poudre d’escampette et, ce, au plus haut niveau… »
Interrogé quant au nom des maires et conseillers municipaux qui
se seraient enfuis, Bar-On n’a rien trouvé à dire d’autre
que ceci : « Tout ce que je peux vous dire, au sujet
des gens auxquels j’ai fait allusion, c’est que je n’ai pas
aperçu de synagogue dans leur ville… »
Pourquoi ces assertions, alors que tout indique que les populations
arabes du Nord sont restées sur place avec beaucoup de sang-froid
durant toute la durée du conflit, tandis qu’au contraire, comme
nous l’avons vu, nombre de citoyens juifs se sont enfuis ?
Il y a, à cela, deux raisons :
Tout d’abord, le gouvernement est embarrassé des informations
selon lesquelles près de la moitié des citoyens israéliens tués
par les roquettes étaient des Arabes, ainsi que par la suggestion
que la cause de cet état de fait est la négligence ne datant pas
d’hier du gouvernement à protéger les communautés arabes en
construisant des abris publics, en équipant les localités de sirènes
d’alarme et en faisant diffuser des consignes de sécurité en
arabe par la sécurité civile. Alors, n’est-ce pas, il vaut
mieux accuser les élus arabes…
Ensuite, le gouvernement amasse des sommes énormes en faveur de
l’effort de reconstruction envoyées par des associations juives
en Europe et en Amérique, et il cherche une excuse lui permettant
de ne pas financer la reconstruction dans les localités arabes.
Un autre homme politique éminent, Effi Eitam, chef du Parti
National Religieux, a accusé les autorités arabes de « faire
semblant d’être lésées ». Les Arabes du Nord d’Israël
seront vraisemblablement privés de goûter à la galette de la
reconstruction. Il ne sera très certainement nullement question
de construire des abris publics dans les villes arabes d’Israël,
même si très peu de gens, en Israël, pensent que le
cessez-le-feu conclu avec le Hezbollah va tenir longtemps.
De même, le ministre de l’Environnement, Gideon Ezra, a déclaré
que les communes arabes du Nord ne doivent pas recevoir d’argent
pour réhabiliter leur système éducatif ségrégué et
manifestement étique, au motif que durant la guerre « les
habitants de ces localités se sont comportés comme d’habitude,
comme si rien ne s’était passé » - à croire que si les
citoyens arabes sont pénalisés, c’est parce qu’ils n’ont
pas pris la fuite ! Son raisonnement semble populaire, tant
dans l’opinion publique qu’au sein du gouvernement, étant
donné que les citoyens arabes sont généralement opposés aux
guerres d’Israël.
Une tromperie afférente, promue par le gouvernement, consiste à
faire croire qu’il se serait engagé à accorder des dédommagements
aux travailleurs et aux entreprises du Nord qui ont souffert
d’un manque à gagner durant la guerre. Mais la liste des
cantons éligibles à compensations dressées par le ministère
des Finances montre que toutes les communes arabes en ont été
exclues, excepté quatre villages druzes (les Druzes font leur
service militaire et ils sont traités par Israël comme un groupe
national séparé du reste de la population arabe…).
La plus grande partie des fonds, qui atteignent des millions de
dollars, est rendue accessible aux seuls citoyens juifs, bien que
les Arabes constituent la moitié de la population du Nord
d’Israël. Quel contraste avec la politique non-discriminatoire
du Hezbollah, consistant à défrayer tous les Libanais sinistrés
ou atteints dans leur chair par la guerre, qu’ils appartiennent
à sa propre communauté, chiite, ou qu’ils soient chrétiens,
druzes ou musulmans sunnites !…
(Je mentionne en passant que, d’après Haaretz, dans un procès
intenté par un ingénieur arabe du village de Fassouta, lequel,
contrairement à ses collègues juifs, se voit dénier toute
compensation pour ses pertes de revenus durant la guerre, il a été
consigné qu’il n’avait pas été en mesure de quitter son
domicile parce que l’armée israélienne avait installé des
batteries d’artillerie juste en bordure de son village. Voilà
qui règle son sort à l’argument israélien, que le représentant
des Nations unies, Jan Egeland, a fait sien, selon lequel seul le
Hezbollah aurait utilisé des civils en guise de boucliers humains !)
Les bobards israéliens d’après-guerre concernent aussi, bien
entendu, les Palestiniens vivant sous occupation. Yuval Diskin,
chef de la police secrète Shin Bet, affirme qu’inspirés par
les succès du Hezbollah, des Palestiniens de la bande de Gaza
seraient en train de faire de Rafah « le jardin d’Eden des
trafiquants d’armes ». Apparemment, Israël serait au
courant de 15 000 fusils, 4 millions de balles, 38 roquettes, de
10 à 15 roquettes Katyusha et des dizaines de missiles anti-tanks
auraient été introduits clandestinement dans la bande de Gaza
via le point de passage de Rafah, seulement au cours de l’année
écoulée. Israël voudrait faire croire qu’il passe
pratiquement de tout, à travers la très courte frontière avec
l’Egypte qu’il contrôle d’ailleurs toujours, sauf peut-être
(tout de même) les tanks et les avions de guerre… D’ici
quelques années, affirme Diskin, Israël sera confronté à Gaza
à la même situation qu’au Sud Liban. Il ne nous reste plus
qu’à le prendre au mot…
Mais il y a un problème. En effet, depuis novembre 2005, disent
des associations de défense des droits de l’homme, le point
frontière de Rafah a été presque tout le temps fermé. Toutes
ces armes ont dû être passées en contrebande fissa, durant les
deux ou trois jours où ce point de passage était ouvert !
Un doute supplémentaire est apporté aux déclarations de Diskin
par un article publié cette semaine par Haaretz, qui indique que
la fermeture perpétuelle du point de passage de Rafah perdure
depuis qu’un soldat israélien a été capturé par des
combattants palestiniens, voici deux mois de cela [il s’agit du
brave soldat Ryan (oups : Gilad) Shalit, ndt]. La raison de
la fermeture de ce passage, recommandée par le Shin Bet, est également
citée dans l’article de Haaretz – et cela n’a strictement
rien à voir avec une quelconque contrebande d’armes. Le blocus
a été imposé afin de mettre la pression sur les Palestiniens
pour les contraindre à relâcher Shalit ; ce qui constitue
une forme de punition collective tombant sous le coup du droit
international.
La comparaison établie par Diskin entre les événements à Gaza
et le Sud Liban est à tout le moins capilotractée. Comment les
combattants de la résistance palestinienne, dans la bande de
Gaza, pourraient-ils construire des centaines de bunkers
souterrains dans le terrain plat et sablonneux de ce territoire,
à l’insu d’Israël dont les avions et les tanks passent en
toute liberté la région au peigne fin, tandis que le
renseignement militaire israélien fait jouer à plein son réseau
d’indicateurs ? Nous attendons, pleins de curiosité, que
Diskin nous l’explique. Mais les conclusions de Diskin n’en
serviront sans doute pas moins à justifier les agressions
continuelles d’Israël contre la population civile de la bande
de Gaza. Et n’en doutons pas, sera même invoqué l’argument
qu’elles se « justifient » d’autant mieux
qu’elles éviteront d’être pris par surprise comme ce fut le
cas au Liban !
Le pire bobard de tous, toutefois, a trait aux raisons invoquées
par le Premier ministre Ehud Olmert, voici quelques jours, pour
rejeter la création d’une commission d’enquête indépendante,
présidée par un juge, qui aurait eu toute latitude pour enquêter
sur tous les aspects de la guerre. En lieu et place, Olmert a mis
sur pied deux commissions internes d’enquête séparées, une
examinera le processus de décision gouvernemental, et l’autre
enquêtera sur le comportement de l’armée. [Un troisième
organisme de surveillance, supervisé par le contrôleur d’Etat
du gouvernement, sera supposé examiner les défaillances en matière
de défense civile].
Beaucoup d’Israéliens sont mécontents au sujet de ce qu’un
commentateur a qualifié de « commission de non-enquête »
d’Olmert. Des enquêtes séparées, voilà qui signifie que les
compétences de chacune de ces commissions seront très étroites,
qu’elles devront s’en ternir à des questions et à des défaillances
techniques, et qu’elles seront incapables d’avoir une vision
plus large des choses.
Les membres de la commission chargée d’enquêter sur Olmert ont
été sélectionnés par… Olmert ! Tous les juges approchés
afin de les solliciter pour présider la commission ont décliné
la proposition, comme l’a fait le plus éminent
constitutionnaliste du pays, Amnon Rubinstein, apparemment
conscient du fait que prêter la main à un blanchiment ternirait
définitivement sa réputation.
Cette commission, aux dernières nouvelles, sera présidée par un
ancien chef du Mossad, l’agence d’espionnage international
d’Israël. Des observateurs ont d’ores et déjà prédit que
l’espace ouvert aux critiques de Nahum Admoni [âgé de
soixante-dix-sept ans] sera extrêmement étroit, étant donné
qu’il s’est fait lui-même remonter les bretelles par la
commission d’enquête Kahan, chargée d’enquêter en 1982 sur
le massacre de civils palestiniens perpétré dans les camps de réfugiés
de Sabra et Chatila, au Liban. Admoni avait failli, ne « donnant
pas un avertissement non équivoque au sujet des dangers inhérents
à l’entrée des Phalangistes [libanais] dans ces camps »,
pénétration qui se traduisit par le massacre de plus de mille
civils palestiniens. Le Mossad entretenait des relations empressées
avec les Phalanges « chrétiennes » libanaises,
qu’il s’efforçait d’installer au pouvoir, afin de disposer
d’un régime de pantins [dont Israël aurait tiré les
ficelles].
Toutefois, Kahan ne prit aucune mesure contre Admoni, car –
comme, aujourd’hui, Olmert – celui-ci venait tout juste de
prendre ses fonctions. Il sera bien difficile, pour Admoni, de
traiter Olmert plus durement que Kahan ne l’a traité lui-même,
voici une vingtaine d’années…
Pour quelle raison Olmert peut-il bien vouloir une commission discréditée
de la sorte, plutôt qu’une véritable commission d’enquête,
d’autant que, comme il le clame, l’argument en défaveur de
cette dernière serait qu’il lui faudrait des années avant de
livrer ses conclusions ? D’ici là, il pourrait être garé
des voitures, et il n’aurait peut-être jamais à affronter les
retombées… La raison officielle, selon Olmert soi-même, serait
qu’un tel délai aurait pour effet de paralyser l’armée.
Toutefois, la plupart des commissions d’enquête, en Israël,
ont publié des rapports provisoires, faisant des recommandations
en vue de certaines réformes, au bout de seulement quelques mois.
Après quoi, elles ont pris le temps nécessaire pour produire
leur rapport définitif…
D’autres facteurs sont en jeu, qui ont trait tant au passé qu’à
l’avenir. Il en est un d’évident : une commission dotée
de réels pouvoirs d’investigation enquêterait certainement sur
les six années de préparation de la guerre, débutant dès le
retrait de l’armée israélienne du Sud Liban…
Il y a aussi un réel danger que ses investigations n’eussent jeté
une lumière crue sur les mobiles des survols continuels du
territoire libanais par les avions de guerre israéliens ;
sur son refus de remettre les cartes indiquant la localisation des
mines qu’Israël a plantées au Sud Liban durant ses vingt années
d’occupation ; sur son refus de libérer les derniers
prisonniers libanais détenus dans ses prisons, qui ne peut que
perpétuer un état d’hostilité ; et enfin, sur son refus
de négocier avec le Liban et avec la Syrie, au sujet de la fin de
son occupation du plateau du Golan et d’obtenir une résolution
du statut disputé du corridor connu sous le nom de Fermes de
Shebaa, que le Liban revendique.
Mais la création d’une véritable commission d’enquête représenterait
un danger encore plus grave : elle risquerait d’exhumer la
preuve que la guerre contre le Liban était préparée et planifiée
depuis longtemps, qu’elle n’avait strictement rien à voir
avec la capture de deux soldats israéliens à la frontière,
qu’elle était planifiée en coordination avec les Etats-Unis et
que son but ultime était une attaque contre l’Iran.
Olmert, ainsi que les dirigeants politiques et militaires d’Israël,
n’ont nul besoin d’une nouvelle Commission Kahan – ni
d’autres emmerdes comparables à ses constatations concernant
l’implication d’Israël dans les massacres de Sabra et Shatila.
Israël a besoin d’avoir les mains libres pour frapper sans être
critiqué quand la nouvelle phase de la guerre contre le
terrorisme prendra forme. Olmert l’a reconnu carrément, dans sa
remarque codée selon laquelle une commission d’enquête
risquerait de [« nous »] distraire de l’objectif
fondamental : « nous concentrer sur l’avenir et sur
la menace iranienne ».
Un indice de ce vers quoi Israël pourrait s’orienter désormais
a fait surface, cette semaine, quand le ministre plénipotentiaire
d’Olmert, qui a toute sa confiance, a « révélé »
que l’Iran serait en train d’essayer de transférer son
savoir-faire nucléaire à des organisations terroristes. Pérès
n’a pas cité le Hezbollah, mais l’établissement du lien et
d’un nouveau casus belli n’est sans doute qu’une question de
temps…
[* Jonathan Cook, écrivain et journaliste, vit à Nazareth, en
Israël. Il est l’auteur de l’ouvrage (à paraître, en
anglais) « Blood and Religion : The Unmasking of the
Jewish and Democratic State » [Sang et religion : Bas
les masques sur l’Etat juif et « démocratique » !],
(aux éditions Pluto Press) (cet ouvrage sera disponible aux
Etats-Unis auprès de University of Michigan Press]. Son site ouèbe
est à l’URL suivante :
http://www.jkcook.net
]
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de
Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité
linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction,
à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner
sources et auteurs.
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