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The Independent
L'État, c'est moi:
Le culte Sarko
John Lichfield
Des supporters de Sarkozy célébrant son élection en mai 2007
Photo Reuters
Paris, vendredi 23 octobre 2009
article original :
"L'état, c'est moi: the cult of Sarko"
A mi-parcours de son mandat, les moyens impérieux du président
provoquent un tollé croissant. Jeudi soir, Sarkozy et son fils
ont été contraints à opérer une reculade humiliante pour
regagner la confiance du public.
Jamais auparavant, l’annonce faite par un étudiant de 23
ans, selon laquelle il retire sa candidature à un emploi, a
causé une telle vague d'étonnement et de soulagement. Jeudi
soir, Jean Sarkozy, le fils du président français, a abandonné
son rêve de prendre la direction politique de l'immense parc de
gratte-ciel de La Défense à la périphérie ouest de Paris.
L’annonce faite par ce jeune homme aux actualités télévisées
a mis fin à une bataille d’héritage politique qui a semblé, ces
derniers jours, avoir opposé le clan Sarkozy à presque toute la
France, depuis la presse et le public, jusqu’au propre parti du
Président et au Premier ministre.
Cette affaire confuse et absurde des ambitions politiques à cent
à l’heure du « Prince Jean » - en même temps que toute une série
de faux-pas, d’accidents et de confusions – a ébranlé la
confiance du peuple français dans leur président hyperactif et
volontaire. Le revirement de jeudi soir, bien que manœuvré avec
élégance par le jeune Sarkozy, est peut-être arrivé trop tard
pour réparer les dégâts.
Interrogé pour savoir si le chef de l'Etat avait joué un rôle
dans cette décision, Jean Sarkozy a déclaré au journal du soir
de France 2 : « Si vous me demandez si j'ai parlé au président,
la réponse est ‘non’. Si vous me demandez si j’ai parlé à mon
père, la réponse est ‘oui’. »
Dans une quinzaine de jours, Nicolas Sarkozy arrivera à
mi-parcours de son quinquennat. Il n'existe aucune alternative
sérieuse contre lui, tant à gauche qu’au sein de sa propre
famille politique, le centre-droit. Sa gestion de la récession
mondiale a été raisonnablement agile en France et influente à
l'étranger. Son programme de réformes tant vanté s'est avéré
être progressif et prudent, plutôt que révolutionnaire, mais
loin d'être absurde.
Néanmoins, avec la moitié de son mandat restant à courir,
l’image publique du Président Sarkozy, soigneusement construite
comme celle d’un homme politique français d'un « autre » type -
un homme qui gouverne dans l'intérêt des gens ordinaires, pas
des élites ou des intérêts particuliers ; un homme qui comprend
la réalité de la vie des « gens qui se lèvent tôt » -, risque de
s’écrouler.
Le conseil général des Hauts de Seine, à l'ouest de Paris,
dominé par la clique du président, devait entériner jeudi
dernier la tentative de Jean Sarkozy pour devenir le leader
politique de l'organisme[l'EPAD] qui gère La Défense , le plus
grand parc d’affaire d’Europe. Jusqu'à jeudi soir, toute
suggestion que ce fut une mauvaise idée dans une République qui
(en théorie) a guillotiné les privilèges aristocratiques par
héritage, il y a plus de 200 ans, avait été rejeté par le
président Sarkozy comme étant une attaque ignoble contre sa
famille.
Jean est le second fils du premier des trois mariages du
président. Il redouble, pour la deuxième fois, sa deuxième année
de droit. Le président a insisté sur le fait que la fulgurante
ascension de Jean, pour devenir le leader de la droite, l'année
dernière, au sein du conseil général des Hauts de Seine et
convoiter la direction de La Défense, peut s'expliquer
entièrement par le pur processus démocratique et les capacités
extraordinaires de son fils.
Dans un pays où les jeunes gens se débattent pour trouver un
emploi et, lorsqu’ils en trouvent un, doivent se démener pour
être pris au sérieux, la clameur de protestation de colère a
pris une proportion gigantesque. Pour la première fois depuis
son élection en mai 2007, sous la pression croissante de son
propre camp, le président Sarkozy a été contraint jeudi soir à
opérer une reculade publique humiliante.
Vendredi après-midi verra aussi la fin du procès Clearstream
dans lequel l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin est
accusé d’avoir répandu des mensonges pour détruire, en 2004, les
chances de M. Sarkozy d’accéder à la présidence. Quels que
soient les tenants et les aboutissants de cette affaire,
Clearstream est devenu également le procès du style narcissique
et du jugement politique discutable du président Sarkozy. Après
avoir fait tout son possible pour s'assurer que M. de Villepin
soit poursuivi en justice, le Président a dit à la télévision,
juste avant le début des audiences, il y a trois semaines, que
son ancien collègue était « coupable ». Plus tard, il a «
regretté » avoir fait ce commentaire au sujet de ce procès, mais
il a refusé de retirer ses propos ou de présenter ses excuses.
« Le style actuel du gouvernement français est plus proche de
celui de Poutine que de celui de de Gaulle », « Le culte de la
personnalité autour de Sarkozy ... la centralisation du pouvoir,
nous emmènent vers un stalinisme de droite », « En ce qui me
concerne, une page a été tournée. Je ne peux plus supporter,
directement ou indirectement, un tel abus de pouvoir ».
On pouvait trouver ces commentaires (et beaucoup d'autres
semblables) dans un forum en ligne du journal le plus respecté
de France, Le Monde. Ces contributeurs n’étaient pas des
harceleurs anti-Sarkozy de gauche ou d’extrême droite. Ils
revendiquaient tous leurs appartenance à l’UMP (Union pour un
Mouvement Populaire) de Sarkozy. Bon nombre de parlementaires
représentant l'UMP ont été, pendant des jours, dans la révolte
en privé contre M. Sarkozy – contre le prince Jean et d'autres
sujets. Même le Premier ministre, François Fillon, qui est d’une
patience à toute épreuve, aurait envisagé de quitter le
gouvernement. Officiellement, M. Fillon, en grande partie
marginalisé par la cupidité compulsive du Président pour le feu
des projecteurs, soutient M. Sarkozy sans réserve. En privé,
selon le journal d'investigation Le Canard Enchaîné, M.
Fillon a parlé de l'affaire Jean Sarkozy comme d’une « erreur
énorme ... une de celles qui donne une image catastrophique de
Nicolas Sarkozy en France et à l'étranger. »
Ainsi que M. Fillon l’a fait remarquer (selon Le Canard), le
calendrier de la saga du Prince Jean a été doublement et
triplement dévastateur. Bien que la France ne soit pas tombée
aussi rapidement et aussi profondément dans la récession que la
Grande-Bretagne, la souffrance économique continue de se
répandre et pourrait durer plus longtemps. Dans le même temps,
les troupes mêmes de M. Sarkozy, à droite, commencent à
s'interroger sur la direction dans laquelle leur « hyper
président » conduit le pays.
Après avoir promis de débarrasser la France des valeurs
prétendument décadentes de l’élite de la gauche libérale post
soixante-huitarde, M. Sarkozy a récemment nommé au poste de
ministre de la Culture un homme qui, aux yeux de nombreux
conservateurs français, représente précisément ces valeurs. Le
fait que Frédéric Mitterrand, le neveu de l'ancien président,
ait été choisi malgré son homosexualité déclarée est à l'honneur
de M. Sarkozy (bien qu'il ait été choisi parce qu'il était un
ami de Carla Bruni-Sarkozy et parce que la capture de tout
Mitterrand serait une source de gêne pour la gauche).
L’orientation sexuelle de M. Mitterrand n'est pas quelque chose
que la France profonde peut avaler facilement. Le scandale au
début du mois sur le livre de M. Mitterrand, décrivant ses
expériences de touriste sexuel en Thaïlande, a provoqué un
mélange étrange et assez dangereux de colère et de réjouissance
au malheur de l’autre dans la droite française.
Certains des choix sociaux et économiques de M. Sarkozy
provoquent également la confusion et la gêne dans ses propres
rangs. Son haut-commissaire contre la pauvreté, Martin Hirsch,
une autre nomination piquée à la gauche, a fait adopter un
nouveau système plus généreux d’allocation pour les chômeurs de
longue durée, en particulier les jeunes chômeurs.
Ceci est peut-être justifié, mais ce n'est pas ce que le
candidat Sarkozy avait promis en 2007 quand il a parlé
d'abandonner la « culture de l’assistanat » et de promouvoir une
France qui « travaille plus pour gagner plus ». La droite a
également été perplexe quant à la conversion de M. Sarkozy à la
cause radicale écologiste (une nouvelle taxe carbone) et à sa
promotion de l’idée selon laquelle le PIB devrait être
abandonné, en tant que principe de mesure des résultats
politiques et économiques, en faveur d'un indice national du «
bonheur ».[1] Une fois encore,
ces idées ne sont pas complètement stupides. Cependant, elles
s’accordent mal avec un président qui a promis d’aller chercher
la croissance avec ses « dents » et qui promet encore qu'il ne
va pas augmenter les impôts.
Un éditorial féroce du commentateur de droite Yves de Kerdrel,
paru dans Le Figaro, journal qui soutient Sarkozy, a accusé le
président d’avoir capitulé devant les vérités de l’ancienne
gauche française, même si la France n'avait plus de gauche
cohérente. En se pliant aux exigences des groupes de pression
habituels et en permettant le « laxisme » dans les finances de
l'Etat, cet article laissait entendre que M. Sarkozy risquait de
devenir un autre Jacques Chirac.
Lorsque ces questions sont examinées de manière officieuse,
certains parlementaires UMP jètent le blâme sur les assistants,
prétendument enclins au populisme, du Président Sarkozy à
l'Elysée. Certains d'entre eux accusent Carla Bruni. Ils
laissent entendre que la première dame, une égérie autoproclamée
de la gauche caviar, a brouillé les vrais instincts de M.
Sarkozy. L'arrivée de Carla Bruni, fin 2007, lorsque le
président semblait patauger après l'effondrement de son second
mariage, a remodelé – littéralement – M. Sarkozy à certains
égards.
La première dame a conçu un régime alimentaire et un programme
de remise en forme qui a rendu le Président encore plus mince et
affamé que jamais. (Cela a été dénoncé publiquement par certains
de ses amis à la suite de son étourdissement en juillet dernier,
durant un jogging.) La première dame a également conçu un cours
accéléré d'études d'été pour un mari qu'elle considérait comme
culturellement analphabète. Sur le plan politique, son influence
est réelle, mais limitée. Elle a quelques influences sur les
droits de l'homme et les questions culturelles, telles que le
choix de Frédéric Mitterrand. Cependant, des sources au sein de
l’UMP disent qu'on ne doit pas lui faire porter le chapeau pour
l'incohérence visible du président sur les sujets économiques,
qui laissent Mme Bruni-Sarkozy totalement froide.
En vérité, la « Sarkonomie » a toujours été un code plutôt
confus, prenant des idées à gauche et à droite, mélangeant
libéralisme et protectionnisme, une attitude économique à
l’anglo-saxonne avec le dirigisme français classique. Après
presque deux ans et demi au pouvoir, les contradictions de
l'approche de Sarkozy commencent à apparaître.
Ses réformes de l’université et des droits à la retraite dans le
secteur public étaient nécessaires et utiles, mais beaucoup plus
limitées que ce que la propagande du gouvernement ou de
l'opposition a essayé de suggérer. Les réformes de l'éducation
et des services de santé ont à peine commencé.
Les allégements fiscaux en faveur des riches, dans les deux
premiers mois de sa présidence, n'ont pas produit le boom
économique promis, mais, au contraire, ont plongé les finances
de l'Etat encore plus loin dans le rouge. (Ces chiffres ont été
commodément noyés dans plus d'encre rouge par la récession.)
Pendant une grande partie de sa présidence, ces confusions et
ces incohérences ont été cachées par la personnalité énergique
et volontaire de M. Sarkozy. Après avoir plongé dans les
sondages au début de 2008, il est remonté grâce à sa solide
performance en tant que président de l'UE l'an dernier et à son
rôle dans la coordination de la réaction mondiale face à la
récession. Ces derniers jours, sa cote de popularité a replongé
à 39 pour cent.
La puissance de la personnalité de M. Sarkozy – son refus de
tolérer la contradiction même de la part de ses plus proches
amis et alliés – a maintenant été révélée comme une source de
grande faiblesse. Aucun de ses ministres ou proches
collaborateurs n’a osé suggérer au président que permettre à son
fils inexpérimenté de 23 ans d’être propulsé à la tête de La
Défense pourrait être considéré comme une insulte dans un pays
qui vénère officiellement l’Egalité. Même Mme Bruni-Sarkozy,
selon des sources UMP, n'avait pas pu, ou voulu, soulever cette
question avec son mari. « Il ne comprend absolument rien à Jean
», a expliqué un député UMP. « C'est le syndrome classique du
père divorcé. » Jean Sarkozy, et son frère aîné, Pierre, étaient
des nourrissons quand Nicolas a quitté leur mère pour vivre avec
la future Cécilia Sarkozy en 1988.
Jean a été élevé en grande partie par sa mère, Marie-Dominique
Culioli, issue de l’un des clans d'affaires et politiques corses
entremêlés qui sont influents depuis longtemps dans les Hauts de
Seine. « Jean est bien le fils de son père », a déclaré un
commentateur politique. « Mais il est aussi corse. Très corse. »
Les centaines de millions d'euros de loyers et d’impôts générés
par La Défense ont longtemps facilité la politique de droite
dans les Hauts de Seine - et au-delà.[2]
Les opinions diffèrent sur celui qui a eu l'idée de catapulter
Jean à la direction politique de l'organisme qui supervisera le
projet d'extension du ghetto de gratte-ciel, et ses bénéfices,
dans la prochaine décennie. Certains députés UMP estiment que la
véritable force motrice dans cette affaire a toujours été
Sarkozy Junior lui-même - pas nécessairement avec les intérêts
supérieurs de son père clairement à l'esprit.
« Il est exaspérant et inquiétant que le Président ne puisse pas
voir le mal qu'il se fait à lui-même, » a dit un député UMP
avant l'annonce de jeudi soir. « Il faut se rappeler que Sarkozy
a été élu comme un homme qui éliminerait les obstacles à la
réussite en France, les obstacles réels, mais invisibles, les
barrières psychologiques ».
Une grande partie du programme de Sarkozy a toujours été de
modifier l'esprit de la France, tout comme Margaret Thatcher –
consciemment ou inconsciemment – a transformé l'image que la
Grande-Bretagne avait d’elkle-même. Il a promis de faire de la
France un pays véritablement égalitaire basé sur le mérite, pas
un pays gouverné par et pour une petite élite parisienne. Au
lieu de cela, à la moitié de son mandat, il est en danger d'être
vu, même par ses partisans, comme un hypocrite - un empereur qui
s'occupe des siens.
Jeudi soir, pour la première fois, la France s’est dressée avec
succès pour défendre ses propres valeurs contre celles de M.
Sarkozy. Score : République française = 1 ; Empereur Nicolas 1er
= 0.
Notes:
[1]
Le BNB ou « Bonheur National Brut » est une idée qui fait son
chemin. C’est ainsi que le petit Etat du Bhoutan mesure le
progrès. L’ancien chef économiste de la Banque d’Angleterre,
Micha Panic, a écrit un essai très intéressant à ce sujet :
L’Europe a-t-elle besoin de réformes
néolibérales ? Cambridge Journal
of Economics, 2006.
[2] On
pourra lire avec intérêt l'essai de Thierry Meyssan sur le site
du Réseau Voltaire :
Opération Sarkozy : comment la CIA a placé
un de ses agents à la présidence de la République française
Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]
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