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CADTM
Ouragan d'austérité sur l'Europe
Jérome Duval, Damien Millet, Sophie Perchellet
Mardi 6 juillet 2010
La
crise actuelle est le moyen idéal pour le FMI d’appliquer en
Europe les recettes ultralibérales frelatées qu’il distille aux
pays en développement depuis le début des années 1980.
Délégitimé par trois décennies d’ajustement structurel imposé
brutalement aux peuples du Sud, le FMI est remis au cœur du jeu
politique depuis que le G20 a pris en charge la gestion de la
crise en 2008. Le Sud a été le premier champ de bataille,
l’Europe en est aujourd’hui son prolongement. Le FMI multiplie
ainsi les prêts à une série de pays européens qui éprouvent des
difficultés pour rembourser une dette publique soudainement
gonflée suite au fort ralentissement économique et aux plans de
sauvetage des banques, dont la recherche effrénée de profits
avait mené à la crise.
En
2007, la Turquie était le seul pays d’envergure à faire encore
appel au FMI. Nombre d’autres pays (Brésil, Argentine, Uruguay,
Philippines…) avaient remboursé de manière anticipée le FMI pour
ne plus dépendre de sa tutelle encombrante. Ces temps de vache
maigre sont terminés pour le FMI qui a ouvert une ligne de
crédit à une dizaine de pays d’Europe en moins d’un an et
intervient désormais sur de multiples fronts. L’institution voit
alors ses bénéfices, hors ventes d’or, quadrupler pour son
exercice 2009-2010 (clos fin avril) s’établissant à 534 millions
de dollars, contre 126 millions lors de l’exercice précédent.
Confier la gestion de la crise à un organisme qui en tire profit
à ce point ne devrait pas rassurer le citoyen… Par ailleurs,
alors que le Fonds impose des gels - voire des baisses - de
salaire un peu partout, celui de son directeur général, le
socialiste français Dominique Strauss-Kahn, a connu une hausse
supérieure à 7% lors de son arrivée, pour se stabiliser à un
demi-million de dollars par an.
Premier
pays touché : la Hongrie en 2008, avant l’Ukraine, l’Islande et
la Lettonie. Puis, en 2009, le Belarus, la Roumanie, la Serbie,
la Bosnie, et plus récemment la Moldavie et la Grèce. La liste
de pays sollicitant un prêt de l’institution ne cesse de
s’allonger et tous sont contraints d’appliquer des plans
d’austérité dictés par les marchés financiers, le FMI et l’Union
européenne. L’impact social désastreux sur les populations n’est
pas sans rappeler les plans d’ajustement structurel de sinistre
mémoire, mis en place après la crise de la dette de 1982 au Sud.
Ces plans d’austérité visent à comprimer fortement les dépenses
publiques sans mettre à contribution les détenteurs de capitaux
afin de trouver les fonds pour rembourser en priorité les
créanciers.
La Hongrie
ouvre le bal des ajustements, l’extrême droite entre au
Parlement
En
octobre 2008, un plan de 20 milliards d’euros est décidé pour la
Hongrie : 12,3 milliards d’euros sont prêtés par le FMI ; 6,5
par l’Union européenne et 1 par la Banque mondiale. Outre
l’accroissement mécanique du stock de la dette et la perte sèche
en paiement des intérêts, les conditions sont sévères pour la
population : hausse de 5 points de la TVA, aujourd’hui à 25 % ;
âge légal de départ à la retraite porté à 65 ans ; gel des
salaires des fonctionnaires pour deux ans ; suppression du
treizième mois des retraités. La Hongrie, gouvernée par les
sociaux-démocrates, avait réussi à sauvegarder un système social
assez protecteur. Le mécontentement de la population pour
l’application, sur injonction du FMI, de telles mesures
d’austérité a été bénéfique pour la droite conservatrice qui a
accusé les sociaux-démocrates au pouvoir d’avoir fait du pays « une
colonie du FMI » |1|.
Pourtant, la victoire du nouveau premier ministre conservateur,
Viktor Orban, est saluée par l’agence de notation Fitch Ratings
qui estime que son parti, le Fidesz, obtenant la majorité
nécessaire pour modifier la Constitution, « représente une
opportunité pour introduire des réformes structurelles » |2|.
Les sociaux-démocrates ont ainsi connu une défaite historique
aux élections législatives de mars 2010 et ont ouvert un
boulevard à l’extrême-droite qui est entrée au Parlement pour la
première fois avec un score de 16,6 %.
L’Ukraine
sanctionnée par le FMI pour avoir augmenté le salaire minimum
Le FMI
a approuvé en novembre 2008 un programme de « sauvetage »
sur deux ans pour l’Ukraine, s’élevant à 16,4 milliards de
dollars. En mai 2010, ce pays n’avait reçu que 10,6 milliards de
dollars de l’institution. Pourquoi ? Parce que depuis
l’augmentation de 20% du salaire minimum fin octobre 2009 par
l’ancien gouvernement de Viktor Iouchtchenko, le FMI a suspendu
le versement des fonds. La visite d’une délégation ukrainienne à
Washington en décembre 2009 n’y a rien changé et l’octroi d’une
nouvelle tranche du crédit reste bloqué. Le dernier versement
remonte à juillet 2009, faute d’accord sur les conditions que
devrait remplir Kiev, le FMI fixant à 6% du PIB le déficit
budgétaire prévu en 2010 alors que le gouvernement propose un
déficit de 10% afin de ne pas trop serrer la ceinture. Très
durement frappée par la crise, l’Ukraine a connu une chute de
15,1% de son PIB en 2009 et atteindre les 6 % de déficit en 2010
comme souhaité par le FMI relèverait de la mission impossible.
En attendant, l’Ukraine a été sommée de reculer l’âge de départ
à la retraite et d’augmenter de 20 % le tarif du gaz pour les
particuliers à compter du 1er septembre 2009. Privatisation et
recapitalisation des banques sont par ailleurs prévus. La
privatisation de l’usine chimique d’engrais à Odessa revient sur
le tapis, malgré l’importance stratégique qu’elle représente
pour la région et pour l’Etat, et malgré les critiques que l’on
peut formuler à son encontre sur le plan environnemental.
Le
nouveau gouvernement, mis en place en mars 2010 à la suite de
l’élection à la présidence de Viktor Ianoukovitch, a cité la
reprise de l’aide du FMI parmi ses priorités |3|.
Il espère obtenir un plan de soutien de 19 milliards de dollars
du FMI après avoir fait adopter au Parlement un budget 2010
prévoyant de ramener le déficit à 5,3% du PIB, en deçà des
exigences du Fonds. La mission du FMI, fin mars 2010, a été
l’occasion de se rapprocher du nouveau gouvernement en vue d’une
reprise du crédit accompagné de futures cures d’austérité.
Grèce : le
berceau de la démocratie apprend la dictature des marchés
Alors
que la Grèce, accablée par une dette record, appelle à l’aide
l’Union européenne et le FMI |4|,
l’agence de notation Standard & Poor’s abaisse (de trois
niveaux) la note de la dette grecque le 27 avril 2010. Les
marchés chutent et les spéculateurs spéculent à la baisse,
accentuant la tendance. Le Premier ministre Papandreou déclarait
le 11 décembre 2009 : « Les salariés ne feront pas les frais
de la situation : nous n’allons pas procéder à un gel ou à une
baisse des salaires. Nous ne sommes pas venus au pouvoir pour
démanteler l’Etat social. » |5|
Pourtant, le 18 mars suivant, Papandreou demande l’aide du FMI
dont la contrepartie est une cure d’austérité sans précédent
qui vise à économiser sur le dos du peuple grec 4,8 milliards
d’euros en mars 2010, puis 30 milliards en mai lors d’un nouveau
plan, dans le but de rembourser les créanciers : au menu, gel du
recrutement et réduction des salaires des fonctionnaires (forte
baisse du montant des 13ème et 14ème mois, diminution des
primes, après une réduction des salaires de 10% décidée en
janvier) ; gel des retraites ; hausse de la TVA de 19% à 23%,
alors qu’il s’agit d’un impôt injuste qui frappe davantage les
plus démunis ; hausse des taxes sur l’alcool et le tabac ;
réduction drastique des budgets sociaux, comme celui de la
Sécurité sociale, etc. |6|
Les droits sociaux sont sacrifiés sur l’autel des intérêts de
l’ « élite traditionnelle locale » et des dépenses
militaires, budget le plus important de l’UE proportionnellement
à son PIB |7|.
La population réagit fortement et organise des grèves générales
(10 février, 11 mars, 5 mai et 20 mai 2010) qui paralysent le
pays à plusieurs reprises.
Les
Roumains aussi descendent dans la rue
Avec la
Bulgarie, la Roumanie est l’un des pays les plus pauvres de
l’Union européenne. En mars 2009, la Roumanie obtient un prêt
d’environ 20 milliards d’euros. Sur ce montant, 12,9 milliards
d’euros sont abondés par le FMI, 5 milliards par l’UE, 1 à 1,5
milliard par la Banque mondiale et le reste par plusieurs autres
institutions, dont la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement (BERD). En échange, Bucarest s’engage à
réduire son déficit public de 7,2% du PIB en 2009 à 5,9% puis
voyant cet objectif irréaliste, à 6,8 % en 2010. Au menu, gel
des retraites et des salaires avec un maintien du salaire
mensuel minimum à 600 lei (145 euros brut), suppression de
100.000 postes de fonctionnaires en 2010, soit 7,5% des
effectifs de la fonction publique. Les mesures d’austérité, là
aussi, mobilisent la population. Le 19 mai, plus de 60.000
manifestants se retrouvent devant le siège du gouvernement
lorsque celui-ci renforce son programme d’ajustement en
annonçant une baisse de 25% des salaires des fonctionnaires et
de 15 % des allocations chômage et des pensions de retraites,
dont le minimum atteint déjà 85 euros. De plus, le gouvernement
prévoit de baisser par décret les allocations familiales ainsi
que les aides versées aux handicapés à compter du 1er juin 2010.
On s’en prend encore une fois aux plus démunis pour payer la
crise, tandis que l’on évite soigneusement de taxer le capital :
le taux de l’impôt sur les revenus des sociétés a chuté de 9
points, passant de 25 % en 2000 à 16 % en 2009.
Les
Islandais refusent de payer pour les responsables
Avant
le fameux nuage de cendres volcaniques qui a paralysé le ciel
européen pendant quelques jours en 2010, l’Islande a fait la une
de l’actualité pour une très grave crise en 2008. Le chômage y
est passé de 2 % en octobre 2008 à 8,2 % en décembre 2009.
L’Etat a sauvé les trois principales banques du pays de la
faillite en s’endettant énormément, et n’a pu assurer le
remboursement des détenteurs de titres hollandais et
britanniques. Une loi « Icesave », adoptée en catimini
fin 2009 et appuyée par le FMI, a demandé au peuple islandais
d’approuver le remboursement de cette dette qui a servi à
renflouer les banquiers coupables. Après une forte mobilisation
populaire, cette loi est rejetée par plus de 73 % de la
population lors d’un référendum en mars 2010. Un rapport de la
SIC (Special Investigative Commission) présenté en avril
devant le Parlement a mis en cause la responsabilité de certains
dirigeants de grandes banques et de membres de l’ancien
gouvernement, dont l’ancien premier ministre, dans la crise
bancaire de 2008. David Oddsson, qui dirigeait la Banque
centrale en 2008, a fui juste avant la publication de ce rapport
et échappe ainsi à la justice de son pays. Quatre anciens
dirigeants de la banque Kaupthing, dont l’ex-PDG Hreidar Mar
Sigurdsson, ont été arrêtés à leur arrivée du Luxembourg où ils
résident. Sigurdur Einarsson, président du conseil
d’administration en exil à Londres, fait lui l’objet d’un mandat
d’arrêt d’Interpol.
En
accord avec le FMI, l’Union européenne dicte ses volontés aux
gouvernements et leur impose des mesures très impopulaires. En
novembre 2009, le Parlement européen a prêté à la Serbie (200
millions d’euros), à la Bosnie-Herzégovine (prêt de 100 millions
d’euros), à l’Arménie (65 millions d’euros de prêt et 35
millions de subvention) et la Géorgie (subvention de 46 millions
d’euros).
Affolés
par la spéculation sur la dette, avant même que le FMI
n’intervienne, les Etats prennent les devant et des réformes
antisociales sont prévues en Espagne, au Portugal, en Grèce, en
Irlande, en Italie… Partout ces cures d’austérité pressent les
revenus des salaires et préservent le grand capital responsable
de l’impasse capitaliste. Partout les peuples se mobilisent et
le seul espoir se trouve bien là. L’urgence pour tous ceux qui
veulent résister efficacement à la logique capitaliste est
d’œuvrer à l’unification de ces luttes.
Une
version raccourcie de cet article a été publiée par le quotidien
L’Humanité le 29 juin 2010.
Notes
|1|
Repris par le quotidien conservateur
Magyar Nemzet
|2|
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/20...
|3|
http://www.lesechos.fr/info/inter/a...
|4|
Il est alors question dans un premier temps de lui prêter
d’urgence 45 milliards d’euros, dont 15 milliards à la charge du
FMI.
|5|
http://mondialisation.ca/index.php?...
|6|
Voir le communiqué de presse du CADTM International :
http://www.cadtm.org/Soutien-a-la-r...
|7|
« Le transfert de 26 avions de
combats F-16 en provenance des Etats-Unis et de 25 Mirages 2000,
les avions de combats français, a représenté 38 % du volume des
importations grecques. » Voir SIPRI,
mars 2010 :
http://www.sipri.org/media/pressrel...
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