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Analyse
Le
retour du « renard rouge »
La politique de V. Poutine s’inscrit elle dans la tradition
soviétique ?
Jean Géronimo Vendredi 25
juillet 2008
‘’A l’étoile rouge du
Che, Notre vrai berger ...’’
‘’Les blocs de béton et les
pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des
souvenirs. (…)
Or, maintenant, on s’efforce de nous imposer de nouvelles
lignes de démarcation
et de nouveaux murs’’.
V. Poutine
10 février 2007
Discours à la Conférence de Munich sur la sécurité
Depuis sa mise en œuvre en 2000, la
politique de Vladimir Poutine est suspectée de ‘’retour au
soviétisme’’. Dans son essence, cette affirmation politiquement
orientée n’est pas neutre. Et surtout, elle masque une position
idéologique radicale, ouvertement anti-russe, dans le
prolongement de l’anti-soviétisme
de la guerre froide. La lutte contre le communisme n’a pas
disparu avec la chute du mur de Berlin. Elle n’a pas non plus
disparu avec la fin de l’histoire, ardemment souhaitée - et
programmée - par la vague du néo-libéralisme messianique
encensée par F. Fukuyama (1992). D’autant plus que depuis la
disparition de l’URSS, l’Amérique s’est autoproclamée gendarme
du monde, s’autorisant par ce biais le droit arbitraire
d’utiliser la force. Avec une certaine arrogance, Z. Brzezinski
(2004, p. 7), ancien conseiller du président Carter, a ainsi
reconnu que ‘’la puissance de l’Amérique (…) est aujourd’hui
l’ultime garant de la stabilité internationale’’. Cela est
ouvertement dénoncé par le discours russe : ‘’les Etats-Unis se
sont arrogés le droit exclusif de déterminer quel pays menaçait
la sécurité internationale, et de décider eux-mêmes s’il fallait
ou non employer la force à son encontre. En même temps, ils ont
proclamé leur ferme volonté d’exporter la démocratie dans des
pays dont le régime ne leur convient pas.’’[i]
Aujourd’hui, l’esprit de
guerre froide tend à
être consciemment réactivé par le discours provocateur de
l’élite dirigeante américaine, encline à reconstituer une
structure conflictuelle de nature idéologique. Dans son essence,
cette conflictualité idéologique apparait comme une variable
régulatrice de l’équilibre des grandes puissances à l’échelle
planétaire et dans le même temps, une variable structurante des
rapports de force issus du post-communisme. Cette montée des
tensions est illustrée par la surprenante affirmation du chef du
Pentagone, R. Gates, soulignant la menace présentée ‘’par le
cheminement incertain de la Chine et de la Russie’’[ii].
Désormais, les plus ardents défenseurs du libéralisme intégral -
les néoconservateurs - voient ‘’des rouges partout’’ et, en
conséquence, considèrent V. Poutine comme un héritier de la
révolution bolchevique d’Octobre 1917. Un temps prisonnier des
oubliettes libérales de l’histoire,
‘’l’homo-soviéticus’’[iii]
serait-il donc de retour ?
Une question sous-jacente est l’objectif
réel du nouveau premier ministre de la Russie, récemment nommé
par le président Medvedev. V. Poutine ne viserait t’il pas,
d’une certaine manière, à restaurer l’ancien Ordre social
soviétique, sous le contrôle d’une nouvelle élite auto-proclamée
‘’avant-garde’’ du grand peuple russe ? Et au-delà,
l’orientation politique russe actuelle, principalement en
matière de stratégie extérieure et sécuritaire - en zone
post-communiste - serait-elle
marquée par l’existence
d’inerties soviétiques ? Brzezinski (2000) a lui-même
regretté que la Russie n’ait ‘’accompli qu’une rupture partielle
avec son passé (…)’’. De manière implicite, cela pose le
problème du statut de la zone post-soviétique - l’actuelle CEI -
dans la perception russe et, en dernière instance, du statut de
l’arme nucléaire. Or depuis 2000, sous l’impulsion de V.
Poutine, la ligne stratégique russe a connu un revirement
spectaculaire, intégrant la politique extérieure américaine - et
son bras armé otanien - comme une réelle menace. En effet, afin
de conforter sa domination en Eurasie, l’Amérique tente de
bloquer toute velléité de reconquête russe en zone
post-communiste. Dans ce but, elle privilégie 5 leviers :
l’extension de l’Otan (qui ‘’dépasse les limites de sa
compétence’’ selon V. Poutine[iv]),
l’élargissement de l’UE, la fragilisation de la CEI, la
formation de coalitions ouvertement anti-russes (du type GUAM[v])
et la neutralisation stratégique de la Russie (via le bouclier
anti-missile ABM). Dans le prisme stratégique russe, cette
configuration traduirait un comportement de guerre froide. Il
s’agit là d’une donnée expliquant l’actuel positionnement de
Moscou sur la scène internationale, sous la houlette de V.
Poutine, dans la perspective de défendre ses intérêts nationaux
et à cette fin, mettre en œuvre une stratégie de puissance.
Cette offensive américaine a conduit V. Poutine à exiger, dés
2005, une réactualisation de la doctrine stratégique russe. En
définitive, cela est confirmé - sous la houlette de D. Medvedev
- par l’inflexion de la politique étrangère russe contre les
velléités hostiles de l’Occident sur sa périphérie eurasienne.
Il est notamment souligné que ‘’ l'Otan qui ne doit pas assurer
sa sécurité aux dépens de la sécurité de la Russie (…)’’[vi].
Dans ce schéma, il conviendrait de
s’interroger sur l’homme Vladimir Poutine lui-même, dans ses
composantes politico-psychologiques, qui fondent sa stratégie
politique et motivent in fine ses décisions majeures. En tant
que spécialiste de l’économie soviétique et de la transition
post-communiste, je voudrais présenter un point de vue purement
personnel sur la ‘’ligne Poutine’’ dont je revendique, par
définition, la seule responsabilité.
Le
poids de la culture soviétique
L’ancien président russe (2000 – 2008) est
issu de la filière du KGB soviétique, au sein de laquelle il a
assumé de hautes responsabilités, en particulier comme
lieutenant colonel. Son accession à la tète de l’Etat russe est
étroitement liée à sa carrière au sein de l’appareil du KGB qui,
en quelque sorte, lui a servi de tremplin politique. Tel un
renard, Poutine a intelligemment profité des opportunités
politiques offertes par sa fonction au KGB. Mais son engagement
vis-à-vis de l’Etat russe est sincère et loyal. Son éducation,
renforcée par une formation rigoureuse au sein des structures du
KGB, l’a fortement imprégné des
valeurs de l’Ordre
politique soviétique, notamment dans le domaine de la rigueur
morale et disciplinaire.
Cela peut expliquer son double attachement d’une part, à
l’ordre et à l’obéissance et d’autre part, au stricte respect
des lois et directives des supérieurs. Autrement dit, V. Poutine
est resté fidèle au principe de soumission hiérarchique,
sacralisé sous l’ère communiste, en tant que principe régulateur
de l’économie centralement planifiée (ECP) et du système
politique qui assurait sa direction. Une caractéristique du
modèle socialiste était, en effet, la stricte soumission de la
sphère économique (via le plan) aux directives politiques du
PCUS, expression supérieure de la structure monolithique du
pouvoir. L’omniscience de l’Etat-parti (autrefois soviétique,
aujourd’hui, fédéral) est alors justifiée par sa
conscience sociale
supérieure et son infaillibilité décisionnelle. Dans ce cadre,
la soumission à la ligne centrale – définie par l’Etat-parti –
devient une obligation politique.
Ainsi V. Poutine a forgé son caractère et
ses valeurs sous le régime communiste, qui implose
officiellement en décembre 1991, avec la démission
présidentielle de Mikhaïl Gorbatchev, dernier premier secrétaire
du PCUS. Des rumeurs - encore actuelles - l’ont fait passé pour
un ‘’agent communiste’’ s’inspirant des méthodes du KGB et avide
de rétablir une dictature plus ou moins éclairée sous la
direction d’une élite nomenklaturiste plus ou moins mafieuse.
Certains lui ont aussi reproché d’utiliser une rhétorique
verbale manipulatrice dans le plus pur style brejnévien. De
telles affirmations, au-delà de leur caractère mensonger,
trahissent une méconnaissance totale de l’histoire du communisme
de type soviétique et en définitive, de la véritable
personnalité de V. Poutine qui, pour être comprise, doit
dépasser une simple lecture conjoncturelle.
L’héritage structurel du communisme permet
d’ailleurs d’expliquer l’orientation stratégique de la Russie
moderne. Fondamentalement, à l’instar de l’Union soviétique, la
Russie a gardé une pensée stratégique de
grande puissance,
recentrée sur la défense de ses intérêts nationaux, depuis
l’arrivée au pouvoir de V. Poutine et en rupture avec le
suivisme occidental de la politique de l’ancien président B.
Eltsine: ‘’Les intérêts nationaux de la Fédération de Russie
dans la sphère internationale consistent en la garantie de la
souveraineté, dans la consolidation des positions de la Russie
en tant que grande puissance et qu’un des centres influents du
monde multipolaire (…)‘’. Et dés l’année 2000 est confirmée,
sous l’influence décisive de Poutine, ‘’son rôle important dans
les processus mondiaux, en vertu (notamment : jg) de sa position
stratégique unique sur le continent eurasien.’’[vii]
Mais il s’agit surtout de souligner, à l’instar d’I. Facon, que
la politique de V. Poutine reposant sur la défense de
l’indépendance, de la souveraineté russe et sur la primauté de
l’intérêt national apparait comme une orientation structurelle,
s’inscrivant dans la durée[viii].
Cette orientation a d’ailleurs été reprise par D. Medvedev. Le
nouveau Concept de politique étrangère russe, entériné par le
président Medvedev, rappelle en effet que ‘’La Russie mène une
politique ouverte et pragmatique qui protège ses intérêts
nationaux’’[ix].
En réalité, cette inflexion radicale de la politique extérieure
russe a été initialement opérée dés 1996 par E. Primakov, alors
ministre russe des affaires étrangères et qui s’inscrit dans
l’héritage de la ligne soviétique. En 2007, Primakov a reconnu
que V. Poutine a ‘’adopté une ligne qui conjugue la défense
ferme des intérêts nationaux de la Russie avec la volonté
d’éviter toute confrontation avec les autres pays’’[x].
Dans ce schéma, il s’agit de souligner la forte propension
idéologique de V. Poutine à s’inspirer de la ligne stratégique
de l’ex-URSS, qui a permis à cette dernière de se maintenir
comme grande puissance et surtout, d’équilibrer la surpuissante
Amérique.
Selon une lecture plus structurelle,
intégrant les valeurs inertielles de l’homo-soviéticus, on peut
insérer la politique de V. Poutine dans une stratégie cohérente
de longue période, présentant une certaine rationalité. Celle-ci
est alimentée par
l’instinct de survie organique du système soviéto-russe,
défini par A. Zinoviev (1991, p. 234) comme un ‘’instinct social
de conservation’’. Particulièrement surdimensionné sous le
communisme - en raison de la guerre latente contre le
capitalisme - cet instinct de conservation a été repris, dans
ses grandes lignes, par les dirigeants russes actuels, du fait
des velléités agressives croissantes du néo-impérialisme
américain en zone post-communiste, qui reste la ‘’chasse
gardée’’ de Moscou. Cette stratégie de survie héritée du
communisme vise, dans le cadre d’un rapport de force
initialement défavorable, à organiser dans un premier temps le
repli stratégique de
l’Etat post-soviétique pour, dans un second temps, élaborer les
bases permissives du ‘’retour russe’’.
Dans un remarquable ouvrage, Guy Bensimon
avait, dés 1996, fait l’hypothèse d’un repli temporaire et
purement tactique de l’Etat russe. Ainsi, Bensimon (1996, p.
259) a souligné, à propos de la nouvelle Russie, la faible
probabilité qu'une réforme puisse jamais ‘’y défaire les
relations communistes. La ligne historique du capitalisme n'a
traversé ce pays que sur une période relativement brève, et elle
n'y a pas été dominante. Les rapports communistes y sont bien
ancrés, le pays est massif, et si sa vocation historique est
d'être une puissance mondiale, c'est incontestablement grâce au
système communiste qu'elle l'a réalisée. Elle a perdu la guerre
froide, mais elle n'est pas détruite pour autant. Dans une
perspective historique, on peut considérer la période actuelle
comme celle d'une retraite stratégique de la Russie, pendant
laquelle elle tente de consolider et accroître ses forces avec
l'aide de son adversaire occidental’’. Cette analyse de Bensimon
montre une rare lucidité intellectuelle, au sens où il anticipe
une réalité géopolitique désormais dominante à l’échelle du
vaste Echiquier eurasien. La Russie post-communiste, d’abord
encline à se reconstruire pour retrouver des forces s’est, par
la suite, efforcée de redéfinir une
structure identitaire
en adéquation avec sa volonté de retrouver le statut prestigieux
(officiellement regretté) de l’Union soviétique, contre son
ennemi historique : l’Amérique.
Tel le renard à l’affût dans son terrier,
il s’agit pour Poutine d’éviter l’affrontement en situation de
faiblesse, pour guetter sa proie et se jeter sur elle au moment
opportun. Autrement dit, le renard russe s’est placé dans une
situation d’attente afin de choisir le lieu et le moment du
combat final. On peut donc comparer la stratégie de V. Poutine à
celle d’un renard, harcelé par un ennemi surarmé (le chasseur
américain) et contraint, dans un premier temps, à une attitude
défensive. Dans ce cadre, la tendance de V. Poutine à reproduire
un comportement typique du communisme justifie l’expression du
‘’renard rouge’’. Cette inertie comportementale, héritée de
l’histoire soviétique, a été conceptualisée par A. Zinoviev à
travers la notion de ‘’coefficient systémique’’[xi].
Dans cet axe, G. Bensimon (1996, p. 245) a mis en évidence à
propos de la Russie, en raison de son statut d’héritière
historique de l’URSS, l’existence d’un
effet-système.
Globalement, il s’agit de la propension du modèle socialiste à
peser sur la logique du nouveau modèle fédéral. Pour reprendre
la terminologie de B. Chavance (1994, p. 189), cet ‘’héritage
systémique’’ tend à orienter - voire à ‘’verrouiller’’ -
la trajectoire
historique du modèle russe. En ce sens, on peut parler d’une
forme de déterminisme systémique.
Globalement, selon une approche zinovienne,
on peut définir ce coefficient systémique comme la tendance du
nouveau système russe (fédéral) à reproduire une partie -
évaluée par un coefficient (%) compris entre 1 et 0 - du
comportement de l’ancien système russe (soviétique). Ce
coefficient traduit donc une
inertie structurale
issue de l’idéologie communiste qui a forgé, de 1917 à 1991, la
rationalité des décideurs soviétiques. En ce sens, Poutine
apparait comme un sous-produit partiel de l’homo-soviéticus,
formaté par la culture communiste. Une hypothèse implicite est
que la rationalité décisionnelle des élites russes actuelles
reste, en partie, verrouillée par les anciennes normes
communistes.
Tendanciellement, V. Poutine s’est appuyé
sur les valeurs extérieures de la politique de l’ex-URSS et de
sa stratégie de puissance, élaborée en phase de guerre froide
contre le bloc de l’Otan. Depuis l’ère stalinienne, les 3
variables privilégiées par la stratégie de puissance soviétique
ont été l’Etat, l’Armée (surtout l’atome militaire) et
l’Energie. Autrement dit, l’ancienne URSS fondait son pouvoir
géopolitique sur la capacité d’un Etat fort et centralisé
(E=Etat) à utiliser son potentiel nucléaire (A=Atome) et
énergétique (E=Energie) comme instrument de pression – donc de
pouvoir - sur la scène internationale. Sur longue période, cette
instrumentalisation des variables EAE (Etat/Atome/Energie) se
présente pour Moscou comme le vecteur de la puissance projetée
et, surtout, perçue par son environnement géopolitique. En phase
de guerre froide, la variable centrale dans la structuration du
rapport de force Est-Ouest était l’image projetée – et non
l’image (la puissance) réelle. Aujourd’hui, l’objectif latent de
l’Etat russe est d’utiliser cette stratégie d’inspiration
soviétique pour rebondir sur le Grand échiquier eurasien et se
reconstruire une image de puissance majeure, redoutée et
respectée.
Reconstruction identitaire de la Russie post-soviétique
Dés l’origine, Poutine a fondé sa politique
sur certaines valeurs normatives de l’ère soviétique[xii].
Sous sa présidence, on peut en effet remarquer une montée en
puissance des valeurs socio-politiques du soviétisme,
principalement marquées par le
retour de l’Etat sur
la base d’un centralisme autoritaire et d’un interventionnisme
économique ciblé, subordonnés à la réalisation d’un grand projet
politique. Le statut de ce projet, dans le prolongement du
messianisme de l’idéologie communiste, sera déterminant dans la
capacité du nouveau système fédéral à se restructurer et à se
rassembler sur un objectif commun, porteur de la légitimité de
l’élite dirigeante.
En fait, comme ses prédécesseurs soviétiques
- donc, hors B. Eltsine - Poutine a cherché à rendre à la Russie
sa ‘’fierté’’ et surtout, à lui redonner son statut de ‘’Grande
puissance’’. Dans l’inconscient politico-psychologique du peuple
russe, cette soif de reconnaissance internationale est
prégnante. Elle se présente avant tout comme une réaction
spontanée à un retrait géopolitique traumatisant pour un Etat
russe blessé par l’arrogance et l’unilatéralisme du bloc
américain. Cette domination politico-militaire des Etats-Unis
est remise en cause, officiellement, par le Concept de sécurité
russe de 2000 (toujours en vigueur) sous l’influence de Poutine.
Sont ainsi considérées comme ‘’menaces principales’’ contre la
sécurité nationale russe : ‘’le renforcement de blocs et
alliances militaro-politiques, en premier lieu l’élargissement
de l’Otan à l’Est, l’apparition potentielle de bases militaires
et de contingents étrangers à proximité directe des frontières
de la Russie (…)’’[xiii].
Sept ans plus tard, dans son célèbre discours de Munich de
février 2007 officialisant une nouvelle ère de tension
américano-russe, ce néo-impérialisme libéral sous leadership
américain a été ouvertement dénoncé par V. Poutine. Celui-ci a
notamment regretté que l’Etat américain cherche à imposer par la
force ses règles et son idéologie à la planète entière, dans le
but ultime de jeter les bases d’un
monde unipolaire,
rendant sa domination infaillible et surtout, totalitaire :
‘’Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des
principes fondamentaux du droit international. Bien plus,
certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit
d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a
débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines :
dans l’économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et
est imposé à d’autres États.’’[xiv]
Au-delà, l’Amérique est suspectée – via l’Otan – de structurer
selon ses seuls intérêts le système de sécurité internationale,
en vue d’une domination globalisante qui nie toute légitimité à
l’ONU, dont le ‘’rôle central et coordinateur’’ dans l’ordre
mondial a été pourtant reconnu par Moscou[xv].
Cela est attesté par l’avertissement du directeur du Département
de la coopération européenne du ministère russe des Affaires
étrangères (MID), Sergueï Riabkov, le 16 mai 2008 : ‘’'L’OTAN
cherche à jouer un rôle global en matière de sécurité
internationale’’[xvi].
L’Occident est suspecté d’avoir contribué
au chaos de la transition post-soviétique, en imposant une
reforme libérale - issue du ‘’consensus de Washington’’ -
fondamentalement
inadaptée aux besoins de l’économie russe et surtout,
déstructurante par son impact désastreux sur son tissu social.
Renouant d’une certaine façon avec le mythe du ‘’complot
stalinien’’, certains leaders russes pensent que cette politique
a été volontairement biaisée de façon à empêcher un retour
prématuré de la puissance russe et à la maintenir comme
‘’puissance pauvre’’, pour reprendre le titre de l’excellent
ouvrage de G. Sokoloff (1993). Depuis la transition
post-communiste, amorcée en 1992, la Russie - alors en situation
de faiblesse - a subi les pires humiliations de la part d’un
Occident américanisé, donneur de leçons, et avide de sanctionner
sa victoire finale de la guerre froide. Le plus inquiétant pour
Moscou est de voir cette
politique anti-russe relayée par certaines institutions
internationales politiques, économiques ou militaires (BM, FMI,
G8, OTAN, OMC, OSCE). Et surtout - suprême provocation - de voir
cette politique insidieuse, catalysée par la double extension de
l’Otan[xvii]
du bouclier ABM[xviii]
aux ex-Etats socialistes, s’étendre à l’espace post-soviétique
de la CEI, cœur historique de la domination russe. Avec
l’intégration programmée de l’Ukraine et de la Géorgie à
l’Alliance atlantique, un point de non retour sera
définitivement franchi. Le chef de l'Etat-major général des
Forces Armées de Russie, Iouri Balouïevski a ainsi indiqué qu'en
cas d'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, la Russie
serait obligée d'adopter (notamment) des mesures militaires pour
garantir sa propre sécurité[xix].
En dernière instance, la Russie a le sentiment d’avoir été
trahie par une Amérique n’hésitant pas à renier ses promesses.
Le 7/05/2008, M. Gorbatchev a notamment déclaré : ‘’Les
Américains avaient promis que l'OTAN ne s'étendrait pas au-delà
des frontières de l'Allemagne après la Guerre froide. Résultat,
la moitié des Etats d'Europe centrale et orientale sont
désormais membres de l'Alliance, et l'on se demande bien ce que
sont devenues ces promesses issues du post-communisme. Cela
prouve qu'on ne peut pas leur faire confiance’’[xx].
Aujourd’hui, la Russie se sent
encerclée et en
conséquence, menacée sur ses frontières périphériques, comme l’a
rappelé V. Poutine à Munich : ‘’l’Otan rapproche ses forces
avancées de nos frontières’’[xxi].
Plus récemment, le
6/06/2008, S. Lavrov a déclaré que ‘’l’elargissement de l’Otan,
qui se poursuit ces derniers temps, pousse la Russie à avoir des
doutes sur la véritable mission de l’Alliance (…)’’[xxii].
E. Primakov a, lui, souligné que ‘’l’extension de l’Otan
s’accompagne d’une rhétorique anti-russe ainsi que d’une
politique offensive des Etats-Unis dans les ex-républiques
soviétiques’’[xxiii].
Désormais, les risques de déstabilisation de l’Eurasie
post-soviétique sont énormes, du fait de cette stratégie
expansive destinée à éroder l’influence russe. Car jusqu’à
présent, celle-ci a joué le rôle de verrou sécuritaire, donc
stabilisateur, dans une région politiquement sensible. Or, quels
qu’en soient les coûts, Washington a un intérêt objectif à
maintenir la Russie en état de faiblesse, voire à la ‘’rejeter
en arrière’’ pour reprendre la vieille expression de Lénine.
Ainsi, dans les premières années difficiles de la Russie
bolchevique, cette stratégie de
compression de la
puissance russe était déjà au cœur de la ligne occidentale,
comme l’atteste cette observation pleine d’actualité de Lénine
en 1923 : ‘’(…) la situation internationale fait que la Russie
est aujourd’hui rejetée en arrière (…). Les puissances
capitalistes de l’Europe occidentale, partie sciemment, partie
spontanément, ont fait tout leur possible pour nous rejeter en
arrière, pour profiter de la guerre civile en Russie en vue de
ruiner au maximum notre pays.’’[xxiv]
Le retour de la Russie sur la scène
internationale n’est pas réellement souhaité par Washington, car
en tant que contre-pouvoir virtuel, elle menace son hégémonie.
Ce retour suppose la reconstruction des bases
militaro-industrielles[xxv]
de la puissance russe en vue de rééquilibrer son rapport de
force avec les Etats-Unis qui restent, quoi qu’on en dise, une
sorte d’ennemi héréditaire dont le système soviéto-russe a
besoin pour se réguler et, en dernière instance, justifier le
maintien d’une force nucléaire impressionnante. Cela semble
d’autant plus vital que le pouvoir des élites militaires et des
lobbies liés au CMI dépend étroitement de cette surcapacité
nucléaire. Selon une logique de balancier stratégique structurée
en phase de guerre froide, la Russie poutinienne tend donc à
structurer son identité
contre l’Amérique et par ce biais, à égaliser sa puissance.
Sur un plan historique, ce
principe d’opposition
est un élément clé du métabolisme interne du système russe, pour
reprendre une approche à la fois systémique et
thermodynamique[xxvi].
En ce sens, l’antagonisme idéologique est le régulateur d’une
société russe doublement définie par sa dimension impériale et
centralisée. La Russie reste un empire multinational à la
dimension d’un continent. Et sa survie exige un pouvoir central
fort, doté d’une légitimité quasi-messianique, comme levier de
sa cohésion unitaire. Autrement dit, la nature dirigiste et
autoritaire du régime politique russe répond d’abord – et avant
tout – à une contrainte de survie systémique et non, comme l’ont
affirmé à tort certains célèbres politologues, à une obscure
volonté de dictature[xxvii].
Cela peut justifier l’affirmation récente du président
Medvedev : ‘’Malgré tout le respect que j'ai pour la démocratie
parlementaire, je crois qu'un tel système en Russie signifierait
la mort de la Russie en tant que pays’’[xxviii].
La renaissance des structures étatiques, détruites par le chaos
post-communiste, passe par une recentralisation s’inscrivant
dans la tradition soviétique. Dans ce but, Poutine a divisé le
territoire russe en super régions et nommé par décrets sept
‘’super préfets’’. Lors de sa réélection en mars 2004, Poutine a
justifié sa politique autoritaire en déclarant que ‘’la survie
de notre nation est menacée’’[xxix].
Chercher à imposer les normes démocratiques libérales, dans le
cadre d’une décentralisation politique plus poussée, est un
non-sens au regard des contraintes géopolitiques pesant sur
l’espace russe et davantage, conduirait à une dangereuse
déstabilisation de la région. En fait, l’idée même d’une
démocratisation libérale relève d’une rhétorique occidentale
anti-russe, dont la réalisation permettrait de facto, d’éroder
la domination russe et par ce biais, de favoriser la progression
américaine.
La structure de son environnement
international, par nature hostile, condamne ainsi le système
russe à une ‘’veille stratégique’’ permanente. Dans cette
optique, l’attention du système russe est structurellement
focalisée contre l’ennemi central. Et surtout, sa capacité à
l’affronter et à afficher sa supériorité conditionne sa
légitimité et par ce biais, sa survie politique[xxx].
L’existence d’une menace latente, plus ou moins virtuelle, est
donc nécessaire à la stabilité de long terme du régime russe. En
cela, on peut parler ‘’d’ennemi systémique’’[xxxi]
faisant cohérence, depuis Lénine, avec le mode de régulation
interne de la société russe.
Retour de ‘’l’esprit de puissance’’ (derjavnost)
Dans le but d’accélérer son retour
international et son intégration au nouvel Ordre mondial, V.
Poutine a donc admis comme priorité première la reconstruction
géopolitique de la puissance russe. En cela, il est revenu à une
forme de réalisme
stratégique s’inspirant d’une part, du pragmatisme léniniste
des années 20 composant avec la réalité socio-politique et
d’autre part, de la ‘’Real Politik’’ ouest-allemande dominante
dans les années 70. Cette politique fut, à l’origine, initiée
par l’ancien chancelier (1969-1974) de la République fédérale
d'Allemagne (RFA) W. Brandt, dans le cadre d’une ‘’coexistence
pacifique’’ Est/Ouest. Celle-ci, fondée sur l’Ostpolitik, a
marqué une évolution fondamentale dans le rapprochement
politique des deux blocs antagonistes.
Ainsi, sur la base d’une ‘’nouvelle
pensée’’[xxxii]
(novoe mychlenie) plus réaliste - définie par Poutine comme une
forme de ‘’pragmatisme idéologique’’[xxxiii]
- et prenant en
compte les nouveaux rapports de forces dans le monde, V. Poutine
s’est efforcé de redonner à la Russie sa grandeur passée. Dans
ce but, il a appuyé sa politique globale d’une part, sur les
valeurs ‘’capitalistes’’ sur le plan interne (économique) et
d’autre part, sur les valeurs ‘’communistes’’ sur le plan
externe (géopolitique). A terme, un objectif implicite est de
créer une sorte d’Economie sociale de marché, fortement encadrée
par l’Etat et réhabilitant le facteur humain dans une structure
concurrentielle soumise aux normes libérales d’un marché
désormais mondialisé. E. Primakov a utilisé l’expression
‘’d’économie à option sociale’’[xxxiv].
Sur le plan interne, il s’agit de préserver
un Etat centralisé et volontariste, impulsant les orientations
fondamentales du développement, à partir d’une action permanente
sur le tissu économique (via les moyennes entreprises) et sur un
ensemble de programmes prioritaires (via les grandes
entreprises). L’objectif
de V. Poutine est de créer une économie mixte
centralement régulée au niveau des branches stratégiques
(politiquement sensibles) et s’appuyant, à la périphérie, sur
une structure industrielle régulée par le libre marché. Comme le
dernier président soviétique, M. Gorbatchev (1985-1991) auteur
d’une reforme radicale de restructuration politique et
économique (Perestroïka[xxxv])
en vue d’un ‘’socialisme de marché’’, V. Poutine est donc à la
recherche d’une ‘’troisième voie’’, entre les modèles libéral et
dirigiste. En effet, M. Gorbatchev voyait dans le ‘’Socialisme à
visage humain’’ – selon l’expression de A. Dubcek en 1968 – une
possible troisième voie
du développement[xxxvi].
A travers l’héritage de Gorbatchev, la culture soviétique est
donc encore particulièrement présente dans certaines
orientations de la politique économique russe, qui revient vers
une forme de dirigisme étatique de marché. Dans sa quête d’un
modèle de développement idéal, Poutine a construit une sorte de
système hybride s’inspirant des pratiques capitaliste et
communiste dans l’optique d’une efficacité économique optimale
intégrant certaines normes sociales, spécifiques au contexte
russe. Pour reprendre la terminologie zinovienne, il s’agit en
quelque sorte d’une ‘’efficacité sociale’’ de l’économie.
L’enjeu sous-jacent à cette question est la
définition d’un modèle alternatif de développement dont
pourraient s’inspirer certains Etats marginalisés par la
mondialisation libérale ou même, certaines puissances
nouvellement émergentes. A terme, et dans le prolongement du
soviétisme, Moscou cherche à
reprendre le
leadership moral et politique du Tiers monde exploité. Dans
son discours de Munich de février 2007, V. Poutine a ainsi
revendiqué ‘’un système plus démocratique et plus équitable de
rapports économiques qui donne à tous une chance et une
possibilité de développement’’[xxxvii].
Implicitement, il s’agit surtout de créer un
contrepoids géopolitique
à l’unilatéralisme hautain et à l’excès de puissance de la
vertueuse Amérique. Dans l’optique de contrebalancer
l’omniscience américaine en Eurasie, Poutine a essayé de se
rapprocher de la Chine et de l’Inde pour former une alternative
idéologique crédible. En cela, on peut parler d’un retour de
l’idéologie.
Sur le plan externe, il s’agit de redonner
à la Russie son aura internationale par restauration de sa
puissance, triplement fondée sur les potentiels énergétique,
économique et militaire. Dans un premier temps, la Russie a
repris la main dans le ‘’grand jeu’’ qui l’oppose aux puissances
occidentales pour le contrôle des ressources énergétiques et de
leur transport, au cœur de l’Asie centrale, zone historique de
domination. Le retour en force du Complexe militaro industriel -
dont la moitié de la production est aujourd’hui destinée au
secteur civil - s’inscrit dans ce contexte. Dans la tradition
soviétique, le CMI retrouve un rôle central comme levier
catalyseur (et secteur moteur) de la croissance économique. En
outre, sous l’impulsion de Poutine, la Russie a durci sa
doctrine militaire et redonné une certaine vigueur à son armée
en déliquescence accélérée sous le régime Eltsine. Dans cet axe,
on note un recentrage de la stratégie militaire russe sur la
force dissuasive du
nucléaire et l’utilisation préventive de l’atome militaire dans
des conflits régionaux[xxxviii].
Cette inflexion de la ligne nucléaire est
très nette à partir de 2000, comme l’atteste le Concept de
sécurité 2000 de la Russie, qui reste un élément majeur de sa
doctrine stratégique : ‘’L’objectif
essentiel de la Fédération de Russie est la réalisation de la
dissuasion en vue de prévenir une agression de n’importe quelle
envergure, y compris avec l’emploi de l’arme nucléaire, contre
la Russie et ses alliés’’. Le rôle de l’atome sera
d’ailleurs renforcé dans la future doctrine militaire de la
fédération de Russie, présentée par le général Gareev, le 20
janvier 2007 : ‘’Pour la Russie, étant donné un rapport des
forces qui lui est extrêmement défavorable sur tous les axes
stratégiques, l’arme nucléaire demeurera capitale, le plus sûr
moyen de dissuasion stratégique d’une agression extérieure et le
plus sûr moyen de garantir sa propre sécurité.’’[xxxix]
Mais au-delà et dans la tradition brejnévienne, l’atome tend à
être instrumentalisé (avec l’énergie) comme vecteur de la
politique extérieure russe. Dans le même temps, on note une
influence croissante des élites militaires dans le processus de
décision politique, dans la continuité des anciens lobbies
soviétiques du CMI. En dernière instance, Poutine a mis en œuvre
une reforme visant à moderniser et rationaliser la technologie
militaire russe pour faire face aux nouvelles menaces et aux
nouveaux défis imposés par l’expansionnisme américain sur sa
proche périphérie. Dans le prolongement de la ligne extérieure
soviétique, cette orientation stratégique privilégie donc la
projection de force
comme levier de la puissance russe. Ainsi, selon T. Gomart, la
Russie serait en train de vivre ‘’un moment néo-impérial que
sous-tend une classique volonté de puissance’’[xl].
La
zone post-soviétique comme priorité
Depuis la chute du régime communiste en
1991, la Russie post-soviétique a essuyé de profonds revers
politiques, économiques et stratégiques. Désormais, la Russie ne
veut plus reculer au cœur même de son
espace historique
ouvertement menacé par l’impérialisme américain. Encouragé par
le chaos russe du post-communisme, cette progression du
néo-impérialisme américain est aujourd’hui relayée par ses
doubles bras otanien et européen. A terme, l'objectif latent de
Washington est d'intégrer certains ex-Etats socialistes à l'UE
et à l'Otan en vue de comprimer la zone d'influence russe et
surtout, renforcer l'orbite euro-atlantique. Ceci est explicite
dans le discours stratégique américain : ‘’L'Union européenne et
l'Otan doivent travailler à leur élargissement ou perdre le
bénéfice de la victoire de la guerre froide (...). L'extension
de l'orbite euro-atlantique rend impérative l'inclusion de
nouveaux Etats indépendants ex-soviétiques et en particulier
l'Ukraine’’[xli].
Or Moscou considère l’avancée de
l’Amérique, de l’Otan et de l’Europe sur sa périphérie
eurasienne comme une véritable menace pour ses
intérêts nationaux et
en définitive, pour sa sécurité. Cela est clairement affirmé
dans sa doctrine stratégique (en cours de réactualisation) et à
l’origine, mentionnée dans son Concept de sécurité. Dans la
vision russe, cette ingérence est issue d’une pratique de guerre
froide et vise à réduire sa zone-tampon sécuritaire assurant une
‘’profondeur stratégique’’ (Romer, 1999) dans l’optique de la
fragiliser. Cette avancée occidentale en zone post-soviétique
est d’autant plus provocante que Moscou
n’a pas renoncé à ‘’l'idée d'une intégration dans cet
espace’’, selon la nouvelle conception de la politique étrangère
russe[xlii].
Moscou redoute une tentative occidentale de compression de sa
puissance sur ses zones périphériques, en particulier dans son
‘’étranger proche’’. A cet égard, on peut suspecter l’extension
est-européenne du bouclier anti-missiles américain de chercher à
neutraliser la puissance nucléaire russe : ‘’les zones de
positionnement de l'ABM américain sont déployées à des endroits
qui sont loin d'être optimaux pour intercepter des missiles en
provenance d'Iran ou de Corée du Nord, mais, en revanche,
étonnamment propices à l'interception de missiles tirés depuis
le territoire russe en direction des Etats-Unis’’[xliii].
Mais le plus inquiétant pour Moscou est la capacité de l’Otan à
violer les règles
internationales - dont onusiennes - pour imposer ses choix
unilatéraux, laissant par ce biais planer une menace constante
sur d’éventuelles incursions en zone post-communiste. La
direction des affaires étrangère russe (MID), à travers la
position de S. Riabkov, a récemment réitéré cette crainte :
‘’L'alliance déclare de plus en plus fort qu'elle peut effectuer
ses opérations sans mandat du Conseil de Sécurité de l'ONU, en
manifestant sa foi dans le droit international sans aucun
soutien des autres Etats. Ce n'est rien d'autre que la volonté
de l'OTAN de s'arroger le droit de prendre des décisions
unilatérales dans la sécurité international’’.[xliv]
Dans son essence, cette offensive
américaine – instrumentalisant les institutions internationales
- s’inscrit dans la ligne anti-russe de
Z. K. Brzezinski
(2000), le ‘’faucon yankee’’, qui cherche à renforcer la
domination de Washington sur le continent eurasien, via la
déstabilisation, l’encerclement et l’érosion de la puissance
russe. Le maintien de la suprématie mondiale de l’Amérique se
joue désormais en Eurasie et, en ce sens, elle fait de ce
continent ‘’l’enjeu géopolitique principal’’, selon l’expression
de Brzezinski (2004). Ce dernier souligne qu'une préoccupation
majeure de l'Amérique sera donc de contrôler les principaux
acteurs de l'Echiquier eurasien : ‘’La longévité et la stabilité
de la suprématie américaine sur le monde dépendront entièrement
de la façon dont ils manipuleront ou sauront satisfaire les
principaux acteurs géostratégiques présents sur l'échiquier
eurasien (...)’’. Sous la bienveillance américaine, la création
du GUAM, alliance ouvertement antirusse, s’inscrit dans cette
stratégie. A terme, l’objectif sous-jacent est de lézarder la
cohésion de la CEI
pour accélérer le déclin russe dans son ‘’étranger proche’’ et
surtout, saper les fondements de son espace politique – qui, en
définitive, définit sa zone potentielle d’intervention.
Or
la CEI reste un espace stratégique pour la Russie et surtout,
fait partie de sa sphère d’intérêts vitaux. Cela explique
qu’elle soit devenue la priorité de la politique extérieure
russe. En effet, Moscou utilise la CEI comme un
levier d’influence
sur ses anciennes républiques et, pour cette raison,
prône une intégration
maximale : ‘’Le potentiel d’intégration (de la CEI : jg) n’est
pas épuisé’’, a réaffirmé D. Medvedev, le 15/07/2008[xlv].
En outre, dans la perception historique russe, la CEI exprime un
lien symbolique fort avec son ancien statut (soviétique) de
superpuissance et en ce sens, elle est partie intégrante de ses
fondements identitaires – d’autant plus qu’elle a permis de
préserver une certaine unité politique avec ses ex-républiques,
principalement en Asie centrale. Enfin, de manière tendancielle,
l’influence russe en CEI joue un rôle de stabilisateur
géopolitique. Autrement dit, la CEI est perçue par Moscou comme
une zone sécuritaire intégrée à sa stratégie globale de défense.
Dans ce contexte, toute érosion de l’influence russe en CEI - et
a fortiori, toute déstabilisation éventuelle de cette zone - est
considérée comme une menace pour la
structure sécuritaire
de l’Etat russe. Sont ainsi mentionnées comme menaces majeures
‘’l’affaiblissement des processus d’intégration dans la CEI ;
l’apparition et l’escalade de conflits prés des frontières
d’Etat de la Fédération de Russie et des frontières extérieures
des Etats membres de la CEI ; les prétentions à l’encontre du
territoire de la Russie’’[xlvi].
L’objectif central de la
ligne Brzezinski est de stabiliser le leadership américain sur
l’espace eurasien et à cette fin, empêcher l’émergence de
puissances
potentiellement hostiles ou concurrentes. Zbigniew
Brzezinski (2000, pp. 253-254) précise notamment que ‘’Par le
biais de manœuvres politiques et de manipulations, on pourra
ainsi prévenir l'émergence d'une coalition hostile qui pourrait
chercher à contester la suprématie des Etats-Unis (...)’’. Cela
explique l’hostilité américaine à tout rapprochement radical
entre l’Europe et la Russie et à fortiori, à toute
reconstitution de la structure impériale russe, qui remettrait
en cause la légitimité de son leadership. Dans ce but,
Washington tend à instrumentaliser l’effervescence nationaliste
et indépendantiste, sous-tendue par des mouvements religieux
radicaux[xlvii].
Dans le passé, cette politique a été parfaitement appliquée dés
1979 en Afghanistan (avec l’aide des talibans, pour renverser le
pouvoir pro-soviétique de l’époque) et récemment, dans les
Balkans eurasiens, au Kosovo (avec le soutien de la résistance
de l’UCK pro-albanaise, pour renverser le régime pro-russe de
Milosevic). De manière implicite, la stratégie de Brzezinski
considère le contrôle la zone post-soviétique comme la
pierre angulaire du
contrôle de l’Eurasie. A terme, il s’agit notamment de créer une
Grande Asie centrale (GAC) inféodée aux intérêts nationaux
américains[xlviii].
Dans cette optique, le facteur religieux (surtout islamique) est
utilisé par Washington comme un vecteur de délégitimation de
l’autorité russe dans sa zone de domination traditionnelle,
autrefois impériale.
Dans une large mesure, cette
instrumentalisation
politique des crises ethno-religieuses a pris une tournure
dangereuse en zone post-soviétique, notamment dans les espaces
caucasien et centre-asiatique et in fine, dans le grand Sud
musulman de la Russie. Le soutien américain des extrémismes
religieux, comme levier d’une ligne anti-russe, a été une
pratique structurelle de l’ère post-communiste comme l’a montré,
avec pertinence, Victor Loupan (2000). Cela a été illustré, de
manière spectaculaire, par la radicalisation de la crise
tchétchène, où l’ingérence insidieuse de Washington a été
déterminante. Dans cet axe, l’influence de Washington (via
Brzezinski ou de douteuses ONG)
a été également décisive dans les révolutions libérales et
‘’colorées’’ en Géorgie (1983) et en Ukraine (1984), permettant
à ces républiques de l’ex-URSS de s’émanciper de la domination
russe au profit de la tutelle (politique) américaine et bientôt,
de la tutelle (militaire) de l’Otan. Dans l’ex-Yougoslavie, la
manipulation américaine des nationalismes religieux a fait le
nid de l’indépendance programmée et illégale du Kosovo,
autorisant désormais le rêve d’une ‘’grande Albanie’’.
Ainsi, dans le prolongement de la stratégie anti-soviétique de
guerre froide, Washington joue de nouveau sur le ‘’facteur
islamique’’ - selon le terme de M. Appakova - en vue de
comprimer la puissance russe[xlix].
De manière troublante, N. Burns, sous-secrétaire d’Etat
américain pour les affaires politiques, a déclaré au lendemain
de l’indépendance auto-proclamée du Kosovo, que les Etats-Unis
considéraient ‘’comme très positif le fait qu’un Etat musulman,
un Etat à majorité musulmane, ait été crée aujourd’hui’’[l].
En réponse, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a
dénoncé dans le quotidien Rossiiskaïa Gazeta l’immoralité de la
ligne américaine : ’’Encourager les tendances séparatistes est à
mon avis immoral’’[li].
En définitive, la parcellisation de l’ex-Yougoslavie a jeté les
bases finales du recul russe dans l’Est-européen au profit de
l’avancée américaine, sanctionnée par la construction de
nouvelles bases militaires et la future implantation du bouclier
anti-missiles (en Pologne et en République tchèque). En
déstabilisant les régimes en place, ce détournement politique de
la question nationale (donc religieuse) a transformé l’espace
multi-ethnique post-soviétique en une véritable
bombe à retardement.
Les leçons de l'histoire n'ont servi à rien.
L’avertissement posthume de Lénine
De
manière prophétique, sur son lit de mort, Lénine avait pourtant
averti du danger de ne pas distinguer le nationalisme d’une
petite nation opprimée de celui d’une grande nation opprimante.
La question nationale, avait-il alors solennellement lancé à
l’adresse de Joseph Staline, ne doit pas être instrumentalisée à
des fins politiques. Or, plus de huit décennies plus tard, la
question nationale a été sacrifiée par la politique de G.W. Bush
sur l’autel du libéralisme messianique et au nom d’une guerre
idéologique entre le ‘’bien’ et le ‘’mal’’. Mais au-delà,
l’enjeu politique du
contrôle de l’Eurasie - cœur stratégique du monde selon
Brzezinski -
est renforcé par la triple dimension énergétique
(contrôle du pétrole et du gaz), stratégique (extension du
bouclier nucléaire américain) et nationaliste (surfant sur les
revendications religieuses) de cette lutte d’influence
implacable entre les deux anciens ennemis de la guerre froide.
Aujourd’hui, la Russie de Poutine se
retrouve à la croisée des chemins (perekrestock). En effet, elle
doit faire des choix politico-stratégiques cruciaux, qui
détermineront son avenir et sa position sur la scène
internationale et par ce biais, son statut géopolitique. Dans le
but de contrebalancer le surpuissant axe Otan/Etats-Unis, Moscou
est tentée de reconstruire un
axe eurasien par le
biais de diverses structures politico-militaires[lii],
sans pour autant renoncé à ses valeurs européennes et à son
ouverture vers l’Occident. Mais à terme, face à la progression
inquiétante d’un leadership américain tentaculaire, Moscou
serait encline à tourner le dos à un Occident excessivement
inféodé à Washington. Ainsi, comme Lénine il y très longtemps,
dans une Russie communiste en reconstruction et face à la menace
insidieuse de l’Occident profitant de sa faiblesse temporaire,
V. Poutine - et à sa suite, D. Medvedev - se retrouve au cœur
d’un redoutable dilemme.
En effet, il y a 84 ans, face à l’offensive
agressive de l’impérialisme occidental, Lénine aspirait déjà à
établir une coalition Chine/Inde/Russie comme barrage à une
nouvelle forme de
totalitarisme idéologique. En 1923, dans son article
posthume, Lénine a ainsi écrit : ‘’(…) le capitalisme lui-même
instruit et éduque pour la lutte, l’immense majorité de la
population du globe. L’issue de la lutte dépend finalement de ce
fait que la Russie, l’Inde, la Chine… forment l’immense majorité
de la population du globe. Et c’est justement cette majorité de
la population qui, depuis quelques années, est entrainée avec
une rapidité incroyable dans la lutte pour son
affranchissement ; à cet égard, il ne saurait y avoir une ombre
de doute quant à l’issue finale de la lutte à l’échelle
mondiale.’’[liii].
Ainsi, l’espace d’une révolution,
l’histoire semble se répéter avec, pour enjeu final, le
leadership mondial.
Sur le grand Echiquier eurasien, une nouvelle forme de guerre
tiède ressurgie des abimes libéraux de l’histoire, tend
désormais à s’imposer. Bien que sur le point de réussir son
retour et d’achever sa reconstruction identitaire, la Russie
poutinienne redoute dans le même temps la montée de
l’instabilité politique au cœur de son ancien empire. Alors pour
reprendre l’expression historique de Lénine, ‘’que faire’’ ?
Abréviations :
ABM : Anti
Ballistic Missile
BM : Banque Mondiale
CEI : Communauté des Etats Indépendants
CMI : Complexe militaro-industriel
EAE : Etat, Atome, Energie (normes soviétiques de la puissance)
ECP : Economie Centralement Planifiée
FMI : Front Monétaire International
GUAM : Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie
PCUS : Parti Communiste d’Union Soviétique
UE : Union européenne
Bibliographie
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2000.
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neuves sur notre pays et le monde’’, J'ai Lu.
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L'économie politique du socialisme", PUG Grenoble - Pour
l'ouvrage en anglais, voir Kornaï (1992),"The
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Zinoviev A. (1991) : ‘’Perestroïka et contre-Perestroïka’’, éd.
Olivier Orban.
[ii]
www.fr.rian.ru,
‘’Gorbatchev : impossible de faire confiance aux
Américains’’ – cité par M. Gorbatchev, 07/05/2008.
[iii]
Concept de Zinoviev (1983), soulignant signifiant
le formatage
d’un ‘’homme nouveau’’ par la culture normative du
soviétisme et surtout, par la rationalité de l’ordre
social communiste. La longévité du régime soviétique
peut, en partie, s’expliquer par l’efficacité de ce
formatage, exprimant in fine une forme spécifique de
socialisation.
[v]
GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) :
alliance politique, économique et stratégique destinée à
renforcer, hors de la tutelle russe, l’indépendance et
la souveraineté de ses pays membres. En fait, cette
alliance est une
instrumentalisation américaine orientée contre la
Russie.
[vii]
Concept de sécurité nationale de la fédération de
Russie, Décret présidentiel n°24, 10 janv. 2000
[viii]
www.fr.rian.ru,
‘’Dmitri Medvedev défendra-t-il les intérêts de la
Russie dans le monde avec la même intransigeance que
Vladimir Poutine ?’’, 06/05/2008.
[ix]
www.fr.rian.ru,
‘’La Russie défendra seule ses intérêts si ses
partenaires s’esquivent’’, D. Medvedev, 15/07/2008.
[xi]
Ce
coefficient systémique (Zinoviev, 1977)
peut être approximé comme l’impact micro-social
de l’ancien système. Bensimon (1996, p. 245) résume
ainsi ce concept zinovien : ‘’Les hommes et les
organisations qui ont pour fonction de supprimer les
anciennes relations sociales sont eux-mêmes issus de
l’ancien système de relations, et, par définition,
agissent initialement dans les conditions des anciennes
relations. Le résultat de leur activité doit donc être
affecté du coefficient systémique de l’ancien système.’’
[xii]
Ce retour des
normes
soviétiques est évident dans la sphère
politico-militaire. D’abord, on a rétabli
un bureau du FSB (successeur du KGB) dans les
unités militaires. Ensuite, on a réintroduit des cours
d’instruction militaire dans les établissements
d’enseignement secondaire. Ce sont là deux pratiques
typiquement soviétiques, réactualisées au début des
années 2000.
[xv]
www.fr.rian.ru,
‘’L’ONU, pierre angulaire des relations internationales
selon Moscou’’, 15/07/2008.
[xvi]
www.fr.rian.ru,
‘’
L'OTAN veut jouer un rôle global en matière de sécurité:
la Russie préoccupée (MID)’’, S. Riabkov, 16/05/2008.
[xvii]
Dans son discours de Munich, Poutine a ainsi
affirmé: ‘’Il est évident, je pense, que l’élargissement
de l’OTAN n’a rien à voir avec la modernisation de
l’alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire,
c’est un facteur représentant une provocation sérieuse
et abaissant le niveau de la confiance mutuelle. Nous
sommes légitimement en droit de demander ouvertement
contre qui
cet élargissement est opéré.’’ Op. cit.
[xviii] A terme, on peut
redouter que cette extension touche des Etats (anciennes
républiques de l’URSS) tels que l’Azerbaïdjan, la
Géorgie, la Lituanie (qui se propose comme alternative à
la Pologne)… Une ligne rouge sera alors irrémédiablement
franchie.
[xix]
www.fr.rian.ru,
‘’Adhésion ukrainienne à l’Otan : consultations Moscou –
Kiev’’, 23/05/2008.
[xx]
www.fr.rian.ru,
‘’Gorbatchev : impossible de faire confiance aux
américains’’, M. Gorbatchev, 7/05/2008.
[xxii]
www.fr.rian.ru,
‘’Russie-Ukraine : régler les différends sur la base des
accords existants’’, S. Lavrov, 06/062008.
[xxiv]
V.I. Lénine : ‘’Mieux vaut moins, mais mieux’’,
1923 - cité par Brejnev (1974,
p. 624).
[xxv]
Un indicateur clé de cette reconstruction est le
retour, depuis 1999, de la croissance économique russe à
un niveau positif et élevé (autour de 6-7 % en moyenne
annuelle sur la période 1999-2007).
[xxvi]
Sur l’approche systémique, voir Bertalanffy
(1977) et Mélèse (1972).
[xxvii]
Selon Marie Mendras, la radicalisation du
discours politique russe dans un sens ‘’nationaliste,
xénophobe, anti-occidental’’ s’insère dans une stratégie
de neutralisation
des oppositions internes et de justification d’un
pouvoir monolithique. Elle affirme ainsi : ‘’La
diabolisation de l’Occident est utile. Il y a la volonté
de montrer au russe moyen (jg : !!!) que le monde
extérieur est dangereux et donc, qu’il y a besoin d’un
régime de type autoritaire et revanchard.’’
www.liberation.fr,
‘’Pour Poutine, la diabolisation de l’occident est
utile’’, M. Mendras, 18/07/2002.
[xxix]
Cité par Fedorovski (2007, p. 193).
[xxx]
Dans notre thèse de Doctorat (Géronimo, 1998), à
propos de l’URSS,
nous avons montré le rôle clé de la contrainte de
supériorité (face au modèle occidental) dans le maintien
de la légitimité
du pouvoir communiste, et en cela, pour sa survie.
Un indicateur clé de cette supériorité a été le taux de
croissance économique. Cela a d’ailleurs justifié le
principe même de ‘’l’économie mobilisée’’, pour
reprendre le titre de J. Sapir (1990), c'est-à-dire la
mobilisation du système ECP en vue de maximiser la
croissance – qui devient ainsi l’objectif politique
prioritaire de ce dernier.
[xxxii]
Notion conceptuelle centrale de la réforme
globale de Gorbatchev, lancée en 1985, dans l’optique de
garantir la paix dans le monde. Il s’agit d’une
nouvelle vision
des relations internationales, visant à supprimer
l’antagonisme Est/Ouest de l’époque et à écarter
définitivement la virtualité d’un holocauste nucléaire.
Cette inflexion de la politique extérieure soviétique
exprime, selon moi, la fin véritable de la guerre
froide. En fait, pour la Russie soviétique, ce
rapprochement visait (aussi) à accélérer les échanges
avec l’Ouest dans le but d’intensifier son développement
technologique (via ‘l’importation’ du progrès technique,
démontré par Sokoloff (1983)) et surtout, sauver le
régime communiste, alors
menacé par une crise systémique (qui l’emportera
en décembre 1991).
[xxxv]
Sur cette question, voir l’ouvrage référence de
Gorbatchev (1990).
[xxxvi]
Gorbatchev a ainsi affirmé : ‘’Nous voyons une
autre voie, laquelle conduit au progrès social. La
nouvelle vision du socialisme a un visage humain. Cela
correspond entièrement à l’idée de Marx pour qui la
société de l’avenir signifiait l’humanisme réel,
appliqué dans la réalité. Et dans la mesure où la
perestroïka repose sur son oeuvre, nous pouvons affirmer
à juste titre que nous construisons
le socialisme
humaniste’’ – cité par Kornaï (1996, pp. 679-680).
[xxxviii]
En raison de cette
centralité
stratégique de l’atome militaire dans la ligne
extérieure russe, sur la base des normes soviétiques, on
peut parler du ‘’Retour de l’atome rouge’’, pour
reprendre le titre de notre article paru dans ‘Regard
sur l’Est’. Références de cet article :
http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=765.
[xl]
‘’Quelle influence russe dans l’espace
post-soviétique ?’’, T. Gomart,
Le Courrier des
pays de l’Est, mai-juin 2006, n° 1055, pp. 4-13.
[xliv]
www.fr.rian.ru,
‘’
L'OTAN veut jouer un rôle global en matière de sécurité:
la Russie préoccupée (MID)’’, S. Riabkov, 16/05/2008.
[xlv]
www.fr.rian.ru,
‘’CEI : les capacités d’intégration ne sont pas
épuisées’’, D. Medvedev, 15/07/2008.
[xlvi]
Concept de Sécurité 2000, op. cit.
[xlvii]
V. Loupan (2000, p. 187), grand spécialiste de la
Russie, a émis un témoignage troublant : ‘’On peut
entendre, dans les couloirs du MID, des réflexions selon
lesquelles les américains intégreraient déjà cette
possibilité (leur éviction du continent européen : jg)
dans leur stratégie à moyen terme. Prévoyant à la fois
leur perte d’influence et l’envol d’une Europe englobant
la Russie, ils favoriseraient la progression de l’Islam
en général et la création de pays islamiques tels que la
Bosnie et la Grande Albanie, dont le rôle futur serait
de déstabiliser
le continent, afin de l’empêcher de surpasser les
Etats-Unis’’[xlvii].
Autrement dit, dans l’optique de la pensée stratégique
américaine - axée sur la défense d’un leadership
globalisant et stabilisateur - l’Europe et la Russie
doivent rester des nains politiques, même si le discours
officiel ne le laisse pas toujours apparaître…
[xlix]
www.fr.rian.ru,
‘’Kosovo : la solidarité musulmane va-t-elle
fonctionner ?’’, M. Appakova, 22/02/2008.
[lii]
Sous l’impulsion russe, le renforcement de
l’alliance politico-stratégique OCS (Organisation de
coopération de Shanghai) semble justifié et, selon une
logique
d’équilibre stratégique, adapté à l’avancée
provocante de l’Otan en zone post-soviétique.
L’organisation de Shanghai est une organisation
régionale qui regroupe la Russie, la Chine, le
Kazakhstan, la Kirghizie, le Tadjikistan et
l’Ouzbékistan. Elle a été crée à Shanghai les 14 et 15
juin 2001 par les présidents des six pays eurasiatiques.
D’autre part, l’OTSC (Organisation du Traité de sécurité
collective), regroupe actuellement sept Etats - Arménie,
Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie, Tadjikistan, Russie
et Ouzbékistan - qui couvrent près de 70% du territoire
de l’ex-URSS. Elle est politiquement dominée par la
Russie.
Le
traité de sécurité collective a été signé en 1992 et
faisait alors figure de bras armé de la CEI, luttant
notamment contre le terrorisme et la mafia ; par la
suite, elle a étendu son action à la sphère
politico-stratégique. Aujourd'hui, avec le déclin de la
CEI, l'OTSC reste très active en Asie centrale et
apparaît désormais comme le
complément
politico-militaire de la communauté économique
eurasienne (CEEA), qui regroupe la Russie, la
Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan,
l'Ouzbékistan et le Tadjikistan.
[liii]
Cité par Brejnev (1974, p. 627).
Jean Géronimo
Docteur en Sciences économiques
Spécialiste de l’URSS et des questions russes
Université Pierre Mendès France, Grenoble
CREPPEM
Centre des Recherches Economiques sur la Politique Publique en
Economie de Marché
Mail :
Jean.Geronimo@upmf-grenoble.fr
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