Accueil Actualité IRIB Dossiers Auteurs Communiqués Agenda Invitation à lire Liens Ressources
Dernières mises à jour Journaux de Cathy et Marc Plateforme tourquennoise Les vidéos Centre d'infos francophone Ziad Medoukh Centre de la Paix Gaza Université al-Aqsa Gaza Qui? Pourquoi?

Google
sur le web sur Palestine Solidarité

 

Centre Palestinien
d'Information :




Invitation à lire :





BDS :



Solidarité :



Produits palestiniens :



En direct d'Iran :



Palestine Solidarité
sur Facebook :






Eurasie

Entre chaos afghan et « révolutions » :
Une hirondelle arabe ne fera pas le printemps russe
Jean Géronimo

Vendredi 22 juin 2012 

A lheure de laccélération du retrait occidental du bourbier afghan, succédant à lembrasement « révolutionnaire » du Moyen-Orient, on ne peut quêtre inquiet pour lavenir du cœur du nouveau monde, lEurasie, historiquement soumise aux rapports de force entre grandes puissances et devenue, depuis la fin de la Guerre froide, une véritable poudrière géopolitique.

Lévolution internationale récente est, en effet, porteuse de lourdes incertitudes pour la stabilité politique de lespace eurasien. Cette évolution est, dans ses grandes lignes, impulsée par deux chocs exogènes majeurs : les crises arabes et le chaos afghan, en raison de leurs implications structurelles sur les grands équilibres régionaux. Or, si elle va au bout dune logique désormais « orientée » par les grandes puissances, dans le cadre dune implacable lutte dinfluence axée sur le contrôle des États stratégiques de la région – les « pivots géopolitiques » de Brzezinskicette configuration se transformera en une déstabilisation programmée de l’Échiquier eurasien. Avec, à la clé, dénormes et irréversibles dégâts collatéraux.

Tendanciellement, cette double évolution est la matrice dune stratégie inconsciente et suicidaire de fragmentation de lespace politique russe élargi, dans la conception traditionnelle des dirigeants russes, à lancien espace soviétique. A ce jour, évoluant dans une sorte de surréalité idéologique dominant le monde irrationnel de lignorance apprise, lOccident ne semble pas lavoir encore compris. Regrettable erreur.

Cet espace reste en effet le pré-carré géopolitique de Moscou et le nerf structurant de sa politique extérieure et, au-delà, le levier de sa légitimité internationale, récemment confirmé par la nouvelle orientation définie par le président de la Fédération de Russie, V. Poutine. De manière officielle, Moscou considère les impacts directs et indirects de la radicalisation des « révolutions » arabesdont est issue la renaissance dAl-Qaïda au Maghreb arabe et plus récemment, en Syriecomme une menace contre ses intérêts nationaux. Dans la doctrine de sécurité russe rénovée, ces derniers intègrent la Communauté des États indépendants (CEI), sorte dUnion soviétique hybride désidéologisée, historiquement constituée à partir des ex-républiques de lURSS et structurellement considérée par Moscou comme une zone potentielle dintervention une sorte de ligne rouge à ne pas franchir. LOccident est averti.

Dans la vision stratégique de long terme de la Russie post-soviétique, impulsée par V. Poutine depuis la révision du Concept de sécurité nationale russe en janvier 2000, cette radicalisation du « printemps arabe » est le vecteur dune montée en puissance de la « menace islamiste »  c'est-à-dire, selon la terminologie russe, celle issue de lIslam radical porteur, en définitive, dune idéologie alternative. Il sagit donc de rappeler, de manière succincte, la perception russe de ces « nouvelles menaces ».

Le désengagement américain de lAfghanistan, en supprimant un tampon sécuritaire vital, est un véritable piège géopolitique pour la Russie et sa proche périphérie. A terme, ce retrait apparent (en fait partiel) va reposer avec plus dacuité la question de la légitimité de la présence américaine dans la région centre-asiatique, dans la mesure le président Obama a confirmé son maintien sous une forme certes réactualisée mais continuant à sappuyer sur une présence politique et militaire plus ou moins officiellevia sa cohorte de « conseillers » et ses multiples « bases ». Ce que Moscou conteste ouvertement, y voyant surtout une stratégie dimplantation durable dans son pré-carré et remettant en cause ses prérogatives historiques héritées de sa période soviétique. En totale conformité avec lanalyse de Zbigniew Brzezinski, la partie stratégique se poursuit donc sur l’Échiquier eurasien, à travers la décision américaine de « quitter » lAfghanistan qui aura, au final, un triple impact pour la Russie. En cela, cette décision intègre une fonction latente, politiquement orientée et, surtout, nuisant aux intérêts russes.

Dabord, ce retrait programmé va accélérer la propagation de la drogue en raison de lémergence de nouvelles structures informelles et de nouveaux réseaux politico-narcotiques, à léchelle de la CEIet sans doute, avec la complicité de puissances hostiles objectivement intéressées à la fragmentation politique de la Russie. A ce jour, Moscou critique linefficacitéplus ou moins recherchée ?de la lutte anti-drogue conduite par laxe OTAN-USA en Afghanistan et qui pénalise surtout la zone dinfluence russe. Cette dernière raison incite les dirigeants russes à suspecter ladministration américaine dagissements « douteux » dans leur gestion de la menace narcotique et, en particulier, dune instrumentalisation politique de cette menacequalifiée par V. Poutine de « narco-menace ».Tous les coups sont bons, sur le Grand échiquier.

Ensuite, ce retrait va favoriser linfiltration des forces extrémistes et terroristes dans les zones conflictuelles de lancien Empire soviétique, souffrant à la fois dun contrôle déficient et dune perte de légitimité de l’État central russe. Cette perte de légitimité est aggravée par la conjonction de deux éléments :

- dune part, laction politiquement non neutre de certaines institutions étrangères, via les revendications « démocratiques » des organisations multilatérales et des ONG, véritables moteurs des récentes « révolutions de couleur » ou autres « révolutions internet », fondées sur la manipulation de linformation et dont lobjectif final est de renverser des régimes hostiles au profit de dirigeants plus « malléables ».

- dautre part, la politique occidentale du « soft power » visant à déconnecter la périphérie post-soviétique de la dépendance russe, via une stratégie de partenariat avec les États de la CEI, dont la politique de « voisinage partagé » menée par lUnion européenne et lintégration dex-républiques soviétiques aux manœuvres de lOTAN dans le cadre du « Partenariat pour la Paix ». Lobjectif ultime est dintégrer aux structures otaniennes les républiques désireuses de sémanciper du « grand frère » russe et, en ce sens, d'affaiblir le pouvoir régional de la Fédération de Russie. Regrettable et inutile provocation.

Enfin, ce retrait va encourager lexpansion du nationalisme religieux et identitairelui-même renforcé par la récente évolution arabedans les zones ethniquement sensibles et à dominante musulmane de lespace russe : Caucase, Oural, Asie centrale. Ce que Daniel Bell, dés le début des années 60, dans son livre, « La fin des idéologies » a fort justement qualifié de germes de « micro-nationalismes » et que plus tard, Hélène Carrère dEncausse popularisera en 1978 avec « LEmpire éclaté ». Au final, une conséquence paradoxale de la disparition de lUnion soviétique et de la délégitimation induite du Communisme a été de substituer la religion à lidéologie comme vecteur identitaire et catalyseur de lémancipation des peuplesvoire comme variable instrumentalisée par ladministration américaine, dans le cadre de sa stratégie de défense de son leadership en Eurasie. Cette « politisation » de la religion, favorisée par le déclin de lidéologie communiste, est un facteur explicatif et structurant du « Printemps arabe ». Et, en ce sens, une véritable bombe géopolitique à retardement.

Fondamentalement provoquée par le double choc exogène arabo-afghan, cette involution ethno-religieuse risque, à terme, de gangréner la zone de domination russe et sa ceinture périphérique, politiquement fragile et énergétiquement riche, donc stratégiquement importante. Dans le prolongement de la « ligne Brzezinski », cette involution aura pour principale conséquence denliser la Russie post-soviétique dans des micro-conflits périphériques économiquement épuisants et politiquement déstabilisants. En cela, elle se présente comme une menace majeure contre les intérêts politiques de la Russie mais aussi contre ceux de lEurope, caractérisée par une forte dépendance énergétique à légard de la Russiequi pourrait se traduire, dans un scénario-catastrophe, par une forte envolée des prix des hydrocarbures. En encourageant, sous la houlette de madame Ashton, la radicalisation démocratico-islamiste sur l’Échiquier arabe et par ricochet, en périphérie post-soviétique, voire en suscitant des révolutions libérales « de couleur » en vue déroder linfluence russe au nom de valeurs morales supérieures, la vertueuse Europe, avec son soutien américain, se tire une balle dans le pied. Au risque, bientôt, de déclencher des processus incontrôlables et, in fine, déstabiliser lEurasie post-communiste.

Face à cette pression croissante de la conjoncture internationale, aggravée par les manœuvres insidieuses de lOccident, la Russie vient de créer une commission à la Douma chargée de la prévention et de la neutralisation des « révolutions de couleur ». Dans le même temps, comme alternative politique au rapprochement avec lOccident (dont le comportement est perçu comme très ambigu) et pour compenser le « vide stratégique » issu de son retrait dAfghanistan (perçu comme une forme dégoïsme irresponsable), la Russie prône le développement dun axe sécuritaire eurasien via la réactivation de lOrganisation de coopération de Shanghai (OCS), centrée sur le renforcement du partenariat sino-russe et son élargissement aux nouvelles puissances régionales émergentes comme lInde. Le 5 juin 2012, lors de la visite de V. Poutine en Chine, le président russe et son homologue chinois, Hu Jintao, ont insisté sur la nécessité de renforcer leur partenariat stratégique en vue dassurer la sécurité régionale menacée par « limpasse afghane » et, en définitive, contrebalancer laxe otaniensignal clair, en guise davertissement, avant la prochaine rencontre Obama-Poutine au sommet du G20 à Los Cabos, au Mexique (18-19 juin). Veille sécuritaire, au cœur de lEurasie.

En fragilisant la domination russe dans une zone névralgique et source dincertitudes pour lEurope, les instabilités en zones centre-asiatique et moyen-orientalegénérées par les dérives chaotiques arabo-afghanessont donc un réel vecteur de désordres pour lespace post-soviétique et, plus globalement, pour le continent eurasien. De manière objective, ces dérives forment une matrice potentielle de conflictualité et, en dernière instance, de restructuration des rapports de force internationauxavec, pour enjeu implicite et ultime, le contrôle de la gouvernance mondiale.

Dans le cadre de ce bras de fer entre leaderships concurrents, le rôle stratégique et politiquement décisif de la Syrie dans la région explique la fermeté de la position russe actuelle. Désormais, quitte à sopposer frontalement à la coalition dintérêts arabo-occidentale, Moscou ne peut plus reculer et elle veut faire de la Syrie un symbole de son retour sur la scène internationale comme vecteur du rééquilibrage multipolaire de la gouvernance, sappuyant sur lONU. Cette attitude russe peut dautant plus sexpliquer quelle rejette toute poursuite du « scénario libyen » dislamisation de la région, avec laide (involontaire ?) de lOTAN, sur la base dune savante stratégie de désinformationdéjà expérimentée en Afghanistan, en Irak, dans lex-Yougoslavie et même, dans les ex-républiques soviétiques. La nouvelle crédibilité internationale de la Russie, péniblement reconstruite par V. Poutine depuis le début des années 2000, est en jeu. Et, au-delà, son identité post-soviétique.

Loin de faire le printemps russe, une hirondelle arabe pourrait enfanter un « hiver afghan » aux couleurs islamistes, particulièrement redouté par lhéritière de lex-URSS, car ressurgi des méandres de la Guerre froide avec le fantôme de Brzezinski et de troublantes manipulations américaines. En effet, Moscou na pas oublié le « piège de Kaboul » de décembre 1979 préparé, sous la bienveillance de ce dernier, par la démocrate administration Carter pour donner à larmée rouge sa « guerre du Vietnam » et, in fine, déstabiliser le pouvoir russeavec les conséquences que lon sait. Trente trois ans plus tard et avec la complicité occidentale, le piège afghan risque de se refermer, à nouveau, sur la Russie post-soviétique. Terrible malédiction.

Au cœur du Grand échiquier eurasien, la Guerre tiède semble, désormais, inéluctable (1).

 

(1) La notion de Guerre tiède est conceptualisée dans le post-scriptum de la nouvelle version de mon livre, augmentée de 50 pages et centrée sur les menaces liées aux crises arabes et au bouclier anti-missiles américain : « La Pensée stratégique russeGuerre tiède sur l’Échiquier eurasien », préface de Jacques SAPIR, mars 2012, éd. SIGEST, code ISBN  2917329378 en vente : Amazon, Fnac, Décitre (15 euros).

Jean Géronimo, Spécialiste des questions économiques et stratégiques russes

 

 

   

Les dernières mises à jour



Source : Auteur

Les avis reproduits dans les textes contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs. 
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org

Ziad Medoukh :



Analyses et poèmes...


Silvia Cattori :


Analyses...


René Naba :


Analyses...


Manuel de Diéguez :


Analyses...


Fadwa Nassar :


Analyses et traductions...


Alexandre Latsa :


Un autre regard sur
la Russie ...


Ahmed Halfaoui :


Analyses ...


Chérif Abdedaïm :


Chroniques et entretiens ...