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IRIS - Elections israéliennes
Pourquoi l'armée israélienne
intervient-elle à Gaza ?
Jean-Yves Camus
Jean-Yves Camus - Photo IRIS
Vendredi 2 janvier 2009
L’IRIS lance un Observatoire des élections israéliennes.
Retrouvez régulièrement des analyses sur le scrutin, des
sondages d’opinions, des éditos parus dans la presse israélienne
et internationale ainsi que des analyses de chercheurs.
L’intervention militaire israélienne contre l’infrastructure du
Hamas dans la bande de Gaza produit un consensus national encore
plus fort que celui qui s’était dégagé pendant l’été 2006 contre
le Hezbollah. Une des raisons est certes que l’opération Plomb
durci est pour l’instant mieux conduite par l’état-major que les
opérations Juste rétribution et Changement de direction.
Cependant, les véritables raisons tiennent dans des facteurs
psychologiques qui transcendent les clivages partisans. Nous les
exposerons après avoir analysé les conditions générales qui ont
amené le gouvernement de Ehud Olmert et Tzipi Livni à décider ce
qui est la plus grande opération militaire israélienne jamais
conduite depuis la guerre du Liban en 1982.
Quel est
l’objectif ?
Clairement, il consiste à démanteler
(« anéantir », a déclaré B. Netanyahou) l’ensemble de la
logistique du Hamas dans la bande de Gaza, de manière d’abord à
empêcher la continuation des attaques de roquettes qui pénètrent
de plus en plus souvent et profondément en territoire israélien,
puis si possible, à asséner des coups très durs à l’appareil
administratif et politique du mouvement islamiste. L’ampleur des
frappes aériennes est aussi conçue pour déclencher, dans la
population gazaouie, un mouvement de détachement par rapport au
Hamas, pari évidemment risqué puisqu’il peut aussi déboucher sur
un renforcement de sa popularité. En tout état de cause, et sauf
à ce qu’une trêve de longue durée intervienne rapidement, nous
n’en sommes sans doute qu’à la première étape d’une action de
plus grande envergure, pouvant comprendre un engagement au sol,
et d’autant plus réalisable que la présidence Bush est sur sa
fin, mais aussi que la présidence tchèque de l’Union Européenne
n’a ni l’expertise, ni l’autorité de la présidence française sur
les questions de politique étrangère.
Le
contexte : l’approche de l’ échéance électorale israélienne
Les élections législatives du 10 février
prochain sont souvent perçues, notamment par les opinions
publiques arabes, comme un non- événement, mettant aux prises
des partis politiques qui ne se différencient pas entre eux. Or
il n’en est rien, en particulier à droite de l’échiquier
politique. Il existe une droite pragmatique, incarnée par Kadima
et une droite plus idéologique, incarnée par le Likoud, lui-même
débordé sur sa droite par une partie de ses alliés naturels, le
camp national- religieux et l’ultra- droite laïque. Malmenée
dans les sondages par le Likoud de Binyamin Netanyahou, la
coalition de Kadima et des travaillistes doit prouver aux
électeurs qu’elle est à même de garantir la sécurité du pays. Or
elle doit le faire dans un contexte où en Israël depuis 1977, le
charisme en politique a constamment été incarné par la droite,
de Menahem Begin à Ariel Sharon et aujourd’hui Netanyahou. Face
au falot et déprécié Olmert, face à une Tzipi Livni qui n’a pas
encore assis son image, c’est Netanyahou, l’héritier d’une
dynastie connue de dirigeants sionistes révisionnistes, qui
représente aujourd’hui l’option sécuritaire crédible pour une
grande partie de l’opinion publique. Sauf à perdre les
élections, le tandem Livni- Barak se devait de montrer qu’il
était au moins aussi efficace et de rétablir la crainte d’Israël
et de son armée dans la région, crainte mise à mal d’abord par
le retrait du sud- Liban, puis par l’échec relatif de
l’opération contre le Hezbollah. Ceux qui ont aujourd’hui
tendance à mettre dans le même sac l’actuel gouvernement et son
éventuel successeur likoudnik doivent se raviser : malgré
l’ampleur de l’action contre Gaza, l’équipe au pouvoir a
définitivement intégré l’idée d’un Etat palestinien indépendant
et sera inévitablement amenée, si elle est reconduite, à faire
d’autres concessions pour aboutir à un accord de paix. La droite
idéologique au contraire, n’a toujours pas avalisé l’idée même
qu’il existe un « peuple palestinien », encore moins celle qu’il
dispose d’un Etat, et considérant que le temps joue pour Israël,
elle tentera de retarder par tous les moyens un règlement global
du conflit, y compris en tenant tête à la pression
internationale. Car, et c’est un élément peu pris en compte en
Europe, l’opinion publique comme la classe politique israélienne
sont de moins en moins sensibles aux appels d’une communauté
internationale dont ils jugent qu’elle est partiale à l’égard
d’Israël. Cette méfiance/défiance vaut aussi d’ailleurs
vis-à-vis des communautés juives de diaspora dont les prises de
position, qu’elles soient plutôt « faucon » ou plutôt
« colombe », sont tenues pour de plus en plus dérisoires dans un
contexte de baisse continue de l’émigration vers Israël. Ces
sentiments n’épargnant même pas les Etats-Unis et leurs
gouvernements, ces deux dernières constatations sont à méditer
par les tenants de la thèse qui voit en Israël une simple tête
de pont américaine au Proche-Orient et un Etat soutenu à bout de
bras par le lobbying de la diaspora juive.
Le
deuxième facteur de contexte : le sentiment d’une menace
existentielle
Tout comme à l’été 2006, la population
israélienne a le sentiment que le Hamas, comme le Hezbollah,
constitue une menace contre l’existence même de l’Etat hébreu.
En pensant ainsi, elle ne fait d’ailleurs que prendre au pied de
la lettre le langage officiel de ces deux mouvements, qui
appellent à la destruction d’Israël ou à sa disparition en tant
qu’Etat, qui justifient les attentats-suicides et qui sont
persuadés, depuis l’été 2006, qu’Israël est plus fragile que
jamais. Analyse évidemment fausse : d’une part, Israël garde une
force militaire inégalée dans la région, d’autre part, malgré
les schémas qui présentent la société israélienne comme
traversée par des clivages sociétaux profonds, ceux-ci, tout en
étant bien réels, n’empêchent pas le peuple israélien d’être
parfaitement soudé sitôt que son existence lui semble en jeu.
Ces facteurs psychologiques rendent la
situation bien différente de celle qui prévalait avant la
victoire électorale du Hamas : avec l’OLP, chacun en Israël
savait, même si il prétendait le contraire, qu’il existait un
terrain de négociation ; avec le Hamas, aucune discussion n’est
possible tant que le mouvement islamiste n’aura pas reconnu le
droit à l’existence d’un Etat juif. Qu’en l’espèce il existe
sans doute, au sein du Hamas, une minorité lucide et capable de
franchir ce pas, ne change rien pour l’instant au sentiment
dominant en Israël, d’un combat existentiel pour garantir la
survie de l’Etat hébreu : jamais il n’a existé de conjoncture
comme celle d’aujourd’hui, où Israël doit faire face au triple
déni d’existence du Hamas, du Hezbollah et du président iranien,
sans compter le problème majeur que pose la radicalisation d’une
bonne partie des arabes israéliens. Le problème principal posé
par cette perception des choses est qu’il situe d’emblée le
terrain de la confrontation sur le plan militaire alors que,
quelque jugement qu’on puisse émettre sur son idéologie et ses
méthodes, le Hamas est (aussi) un mouvement politique qui jouit
du soutien réel et profond d’une bonne partie de la population
palestinienne, à Gaza et au-delà. A partir de là, l’équation
d’un accord de paix devient à la fois très simple et très
compliquée : Israël ne pourra sans doute pas se débarrasser du
Hamas par la seule opération en cours et le Hamas ne doit pas
imaginer qu’il pourra continuer à ne pas reconnaître le droit à
l’existence de l’Etat israélien.
Directeur de l’Observatoire des élections
israéliennes pour le site "Affaires Stratégiques",
Jean-Yves Camus est politologue,
chercheur associé à l’IRIS.
Il a été chercheur au CERA (Centre
Européen de Recherche et d’Action sur le Racisme et
l’Antisémitisme) et en charge entre 2002 et 2004 de
l’expertise et de l’évaluation de projets de recherche pour
le PNR 40+ « Extrémisme de droite » du Fonds National
Suisse. Il est par ailleurs membre du European Consortium on
Political Research et membre de la Task Force on
Antisemitism, European Jewish Congress.
Il vient de publier Le Monde Juif
(Toulouse, Editions Milan 2008 - co-écrit avec Annie-Paule
Derczansky)
Tous les droits des auteurs des Œuvres
protégées reproduites et communiquées sur ce site, sont
réservés.
Publié le 3 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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