Guerre et Paix
Syrie, les options
de la guerre
Jean-Dominique Merchet
©
Jean-Dominique Merchet
Lundi 25 juin 2012
"Guerre et
Paix"
15.000 morts en quinze mois de
violences. La Syrie est désormais le
théâtre d’une épouvantable guerre civile
dont rien n’annonce la fin, tant s’en
faut. Tout avait commencé, en mars 2011,
dans le sillage du « printemps arabe »
par l’opposition pacifique à la
dictature du président al-Assad. Au fil
des mois et des tueries, l’affaire a
basculé dans une guerre entre Syriens.
Quels que soient les responsables de
cette évolution tragique – et le régime
baasiste n’est pas le dernier à avoir
opté pour la politique du pire, ce qui
se passe désormais dans ce pays n’est
plus l’insurrection d’une population
contre le pouvoir, mais l’affrontement
de Syriens (dont ceux du régime) contre
d’autres Syriens, séparés qu’ils sont
par leurs origines ethnico-religieuses,
leurs intérêts familiaux et leurs choix
politiques.
Faut-il alors intervenir
militairement pour faire cesser ces
violences, comme le réclament les
partisans du droit d’ingérence,
rebaptisé «responsabilité de protéger »
? « Si on peut, on doit » : c’est la
nouvelle morale pratique appliquée, par
exemple, lors de l’affaire libyenne en
2011. Puisqu’il était alors possible
d’intervenir militairement contre les
forces de Kadhafi, il y avait une
obligation morale à le faire,
expliquent, de manière assez
convaincante, les partisans de cette
solution. C’est l’idée suivante : Si je
suis au bord de la plage et que je vois
quelqu’un se noyer, je dois entrer dans
l’eau pour le secourir. Mais si je suis
en haut d’une falaise, on ne pourra pas
me reprocher de ne pas avoir plongé, au
risque de me fracasser sur les rochers.
Pour la Syrie, la question est donc
la suivante : peut-on intervenir
militairement ? Et la réponse est plutôt
non…
Ecoutons le chef d’état-major des
armées français, l’amiral Edouard
Guillaud. Alors que ses services
travaillent depuis des mois sur des
scénarios d’intervention, il juge une
telle opération « extrêmement compliquée
». « Pour tenir la bande côtière, il
faudrait 100.000 hommes… »,
explique-t-il. Or, personne, au sein de
l’Otan et dans le monde arabe, n’a
100.000 hommes sous la main. C’est aussi
simple que cela. A titre d’exemple, le «
contrat opérationnel » de l’armée de
terre française est de pouvoir déployer
au maximum 30.000 hommes dans une
opération extérieure, à condition
qu’elle ait six mois pour le faire et
que la mission ne dépasse pas un an.
L’époque des gros bataillons est
vraiment derrière nous ! Imagine-t-on
les Américains s’engager au sol dans un
pays arabo-musulman à la veille des
élections présidentielles, alors qu’Obama
essaie, tant bien que mal, d’en finir
avec l’Afghanistan après avoir « soldé »
l’Irak ? Poser la question est y
répondre. Donc, pas d’intervention au
sol.
Peut-on alors rejouer le scénario
libyen ? Il s’agirait alors d’une double
intervention extérieure : frappes
aériennes et actions des forces
spéciales clandestines en soutien de
l’opposition armée. On est là dans le
champ du militairement possible. Depuis
des bases dans la région (Chypre,
Turquie…) et des porte-avions,
l’aviation de l’Otan pourrait frapper
des cibles en Syrie, par exemple des
batteries d’artillerie, des camps
militaires, des véhicules blindés ou des
postes de commandement. Pour obtenir un
effet stratégique, une telle campagne
durerait des mois et l’on entendrait
vite les criailleries habituelles sur
les « risques d’enlisement » et les
inévitables « bavures », bien que
réduites à portion congrue.
La Syrie serait-elle capable de se
défendre contre de telles frappes
aériennes ? Son aviation ne représente
aucune menace sérieuse pour des forces
modernes et elle serait éliminée en
quelques jours. Sa défense aérienne
(DCA) pose un tout autre problème. On
vient de la voir avec le F-4 Phantom
turc qui a été abattu alors qu’il menait
une mission de reconnaissance dans
l’espace aérien syrien. Si les systèmes
centralisés de défense aérienne seraient
très vite rendus impuissants par des
frappes « décapitantes » et la guerre
électronique, il n’en va pas de même des
systèmes autonomes – extrêmement
nombreux. Difficile d’imaginer que les
avions (ou les hélicoptères) se risquent
à basse altitude, en dessous de 15.000
pieds.
Autre outil dans l’arsenal d’une
intervention extérieure : les forces
spéciales clandestines. Certains pays
sont sans doute déjà présents sur le
terrain. On n’imagine guère les Turcs ou
certains pays arabes, comme le Qatar, ne
pas avoir quelques éléments insérés dans
certains groupes de l’Armée syrienne
libre (ASL), l’opposition armée. Comme
on l’a vu en Libye ou ailleurs, ces
forces spéciales sont moins là pour
combattre que pour former et armer les «
insurgés ». Et surtout pour servir de
liaison entre le terrain et les
états-majors « alliés ».
Reste une question politique
essentielle : quel mandat pour quelle
mission ? On a vu, en 1999, l’Otan se
passer de mandat des Nations Unies pour
intervenir contre la Serbie au Kosovo,
mais le monde et la Russie ne sont plus
les mêmes qu’à l’époque... Reste que
l’on sait aujourd’hui qu’en 2011,
Nicolas Sarkozy a sérieusement considéré
l’hypothèse de se passer d’un tel
mandat… Et la mission ? « Protéger les
populations » ? Cela signifie-t-il aussi
protéger les deux millions d’alaouites,
soutiens du régime et dont l’existence
même est menacée par la victoire de
l’opposition sunnite ? Renverser le
régime, comme ce fut le cas en Libye… en
sur-interprétant le mandat confié par la
communauté internationale ? Beaucoup y
pense, au risque d’ouvrir la boîte de
Pandore, en installant un pouvoir
islamiste à Damas.
Dernier élément : la réaction du
régime syrien et de ses amis. Comme le
disait le général De Gaulle, « la
différence entre la chasse et la guerre,
c’est qu’à la guerre, le lapin tire ! »
Le régime a le dos au mur : ses deux
grands voisins, la Turquie (l’ancienne
puissance coloniale)) et Israël
(l’ennemi de toujours) souhaitent
ouvertement sa chute, comme les
islamistes sunnites. Il se défendra
donc, avec l’aide de l’Iran et du
Hezbollah chiite libanais. La France a,
par exemple, un millier de militaires au
Sud-Liban, sous le casque bleu. En plein
fief du Hezbollah…
Jean-Dominique Merchet,
journaliste spécialisé dans les affaires
de Défense. Auteur du blog français le
plus lu sur ces questions, créé en 2007.
Ancien de l’Institut des hautes études
de défense nationale. Auteur de nombreux
ouvrages dont : « Mourir pour
l’Afghanistan » (2008), « Défense
européenne : la grande illusion »
(2009), « Une histoire des forces
spéciales » (2010), « La mort de Ben
Laden » (2012).
© 2012
RIA Novosti
Publié le 27 juin 2012
Le
dossier Syrie
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