Guerre et Paix
Otan : continuité
à la française
Jean-Dominique Merchet
©
Jean-Dominique Merchet
Lundi 20 août 2012
"Guerre et
Paix"
L’arrivée des socialistes au pouvoir
va-t-elle modifier l’attitude de la
France vis-à-vis de l’Otan? Il n’y a pas
lieu de le croire et, au-delà de
quelques précautions de langage, les
choses devraient rester en l’état. La
décision du président Nicolas Sarkozy,
datant de mars 2009, de réintégrer le
commandement militaire intégré de
l’Alliance atlantique ne sera pas remis
en cause par la gauche.
A la mi-juillet, l’ancien ministre
des affaires étrangères Hubert Védrine,
homme de gauche mais chantre d’une
vision gaullienne des relations
internationales, s’est vu confié par
François Hollande «la charge d’évaluer
le retour de la France» dans l’Otan. Il
devrait rendre son rapport en octobre et
ses conclusions viendront alors nourrir
les travaux du prochain Livre blanc de
la défense, attendu début 2013. C’est là
de la bonne politique : confier à un
expert unanimement reconnu et peu porté
sur l’atlantisme le soin de dire qu’au
fond, rien ne sert de rouvrir ce dossier
et qu’il vaut mieux se concentrer sur
«le développement de la relation
transatlantique dans la décennie à
venir», comme le dit également
l’intitulé de sa mission.
S’il fallait chercher une preuve de
cette continuité, elle est arrivée
quelques jours après la nomination
d’Hubert Védrine : le 6 aout, le général
Jean-Paul Paloméros, chef d’état-major
de l’armée de l’air, a été désigné par
le gouvernement français pour succéder
au général Stéphane Abrial au poste
aussi prestigieux que dépourvu de
pouvoirs décisionnels d’ACT, l’un des
deux grands commandements alliés. A
Norfolk (Etats-Unis), ACT est en charge
de la «transformation» de l’Otan ;
Nicolas Sarkozy avait obtenu en 2009 que
ce poste soit désormais réservé à un
officier français. Le général Paloméros
avait été choisi par l’équipe sortante
et les socialistes se sont simplement
accordé quelques mois pour ne pas (trop)
donner l’impression d’avaliser des
décisions déjà prises…
En France, les socialistes
entretiennent un rapport compliqué avec
l’Otan. Ils en furent, jadis, de chauds
partisans lors de la création de
l’Alliance en 1949 et allèrent même
jusqu’à déposer une motion de censure
contre le gouvernement lorsque le
général De Gaulle décida, en 1966, de
quitter le commandement intégré et de
fermer les bases américaines en France !
Dans les années 70, leur rapprochement
avec le Parti communiste les amena à
réviser leurs positions dans un sens
plus critique, et, à peine élu en 1981,
François Mitterrand chaussa les bottes
de son illustre prédécesseur. Durant ses
deux mandats (qui correspondent à la fin
de la guerre froide), le socialiste tint
la France soigneusement à l’écart de
l’Otan, lui opposant le projet d’une
très hypothétique défense européenne.
C’est paradoxalement l’élection d’un
gaulliste, Jacques Chirac, en 1995, qui
devait commencer à faire bouger les
lignes. Les Balkans (Bosnie, puis
Kosovo), où l’engagement de l’Otan
devait contribuer à stabiliser la
situation après l’échec lamentable des
Nations Unies, furent le théâtre de
cette nouvelle orientation stratégique.
Et l’élection en 2007 d’un autre
dirigeant issu de la famille gaulliste,
Nicolas Sarkozy, allait permettre de
franchir le pas des fiançailles vers le
mariage en bonne et due forme, sous les
applaudissements de militaires français
enthousiastes.
Aujourd’hui, les dirigeants
socialistes sont majoritairement de
sensibilité pro-américaine et
«pro-occidentale», une position
facilitée par la présence de Barack
Obama à la Maison Blanche. Mais ils
doivent ménager, en leur sein et surtout
au sein de la gauche (Front de gauche,
Parti communiste, Verts), des
sensibilités très hostiles à l’Otan.
D’où leurs prudences de langage et la
mise en avant du projet de défense
européenne, d’autant plus consensuel
qu’il n’a guère de réalités. Avec
l’enthousiasme des nouveaux élus, ils
assurent vouloir relancer cette idée que
Nicolas Sarkozy aurait, selon eux,
abandonné au profit de son tropisme
atlantiste. Mais, comme ce fut le cas
pour le président sortant, ils
découvriront assez vite le peu
d’enthousiasme, de moyens et de volontés
des pays européens voisins sur lesquels
ils font mine de compter.
L’Otan restera donc le cadre
privilégié de la politique militaire de
la France. Et cela, même en Afghanistan,
où en dépit de l’accélération du retrait
des «troupes combattantes», la France
continuera d’être contributrice de l’Isaf
(International Security Assistance Force
– une structure otanienne) tant que
celle-ci existera… Paris vient même
d’accepter de prendre à sa charge une
nouvelle mission, à la demande des
Américains: la gestion de l’aéroport de
Kaboul.
Au-delà de cette continuité, qui ne
veut pas dire son nom, des questions
importantes se posent, en particulier
celle-ci: à quoi sert l’Otan? François
Hollande devra, comme tous les
dirigeants occidentaux, fournir quelques
éléments de réponse.
Pour quelques grands pays, dont la
France et le Royaume-Uni, c’est une
sorte de boite à outils, une Agence
proposant ses savoir-faire et ses
moyens, bien utiles lorsque l’on veut
s’engager dans des opérations militaires
comme dans le cas de la Libye en 2011.
Les Etats-Unis, qui tournent de plus en
plus leurs regards vers l’Asie, ne sont
pas loin de penser de même.
Pour d’autres pays, en revanche,
l’Otan est essentiellement une
assurance-vie tournée contre un risque
unique : la Russie, perçue comme
toujours menaçante. C’est le cas de la
plupart des anciens membres du Pacte de
Varsovie, au premier chef, la Pologne et
les pays baltes. Plus on va vers l’Est,
et plus l’Otan reste ce qu’elle était au
temps de la guerre froide. La volonté,
jadis exprimée par l’Ukraine et la
Géorgie, de rejoindre l’Alliance
atlantique en témoigne. D’où,
régulièrement, beaucoup
d’incompréhensions sur l’axe
Moscou-Varsovie-Berlin-Paris/Londres-Washington,
parce que, ici ou là, le même mot (Otan)
ne recouvre pas toujours les mêmes
choses…
Militairement, cette «assurance-vie»
se traduit de plusieurs manières. A bas
bruit, c’est par exemple, la police du
ciel que certains pays – dont,
régulièrement, la France – assurent pour
le compte des pays baltes ou de
l’Islande. Dans le haut du spectre,
c’est la réaffirmation que l’Otan reste
une alliance nucléaire, avec le maintien
d’armes atomiques américaines en Europe.
L’affaire du bouclier antimissile (sur
laquelle nous reviendrons dans une
prochaine chronique) vient compliquer
les choses, mais là encore, à Paris, la
continuité va prévaloir. On l’a vu lors
du sommet de Chicago, en mai 2012, au
tout début du mandat de François
Hollande : beaucoup de réserves sur le
fond mais refus de la politique de la
chaise vide.
Jean-Dominique Merchet,
journaliste spécialisé dans les affaires
de Défense. Auteur du blog français le
plus lu sur ces questions, créé en 2007.
Ancien de l’Institut des hautes études
de défense nationale. Auteur de nombreux
ouvrages dont : « Mourir pour
l’Afghanistan » (2008), « Défense
européenne : la grande illusion »
(2009), « Une histoire des forces
spéciales » (2010), « La mort de Ben
Laden » (2012).
© 2012
RIA Novosti
Publié le 20 août 2012
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