Tribune
Des armes pour la
Syrie ?
Jean-Dominique Merchet
©
Jean-Dominique Merchet
Lundi 18 mars 2013
Source :
RIA Novosti
"Guerre et
Paix"
En septembre 1986, des missiles
sol-air portables américains de type
Stinger sont livrés aux Moudjhadines
afghans, via le Pakistan. Ces engins,
redoutablement efficaces, vont changer
la donne militaire sur le terrain et
poser de très sérieux problèmes à la 40ème
armée soviétique. Un quart de siècle
plus tard, on ignore toujours combien de
missiles Stinger – et de Blowpipes
britanniques – furent livrés par la CIA
dans le cadre de l’opération Cyclone ;
plusieurs centaines en tout cas. Combien
d’avions et d’hélicoptères furent
abattus? Là encore, les données exactes
manquent, mais tous les spécialistes
s’accordent à reconnaitre que ses
livraisons furent l’un des moments
importants de cette guerre, qui s’acheva
deux ans et demi plus tard par le départ
des Soviétiques. Sans que la paix ne
revienne pour autant en Afghanistan…
Sommes-nous en train de voir le même
scénario se rejouer en Syrie? Le
président français François Hollande
est-il le nouveau « Good Times Charlie
», le surnom de Charles Nesbitt Wilson,
incarné sur les écrans d’Hollywood par
Tom Hanks dans le film « la guerre selon
Charlie Wilson », qui raconte comment
toute cette opération fut montée?
Comme le Royaume-Uni, la France
souhaite aujourd’hui la levée de
l’embargo européen sur les livraisons
d’armes à la Syrie – en clair aux
insurgés qui combattent le régime de
Bachar al-Assad. « Nous avons comme
objectif de convaincre nos partenaires à
la fin du mois de mai, et si possible
avant. Si d’aventure, il devait y avoir
un blocage d’un ou deux pays, alors la
France prendrait ses responsabilités
» a assuré le président de la République
le 14 mars. Comprenez que si l’Allemagne
– hostile à la levée de l’embargo – s’y
opposait, Paris et Londres passeraient
outre et livreraient des armes aux
rebelles. Il y a, sur cette question
comme sur tant d’autres, matière à
désaccord entre pays européens – qui
semblent s’éloigner chaque jour un peu
plus de la construction d’une politique
étrangère et de sécurité commune… Mais
c’est une autre histoire !
L’urgence est aujourd’hui en Syrie.
Au terme de deux années de guerre
civile, on compte environ 70.000 morts
et aucune perspective politique ne se
dessine. Le pouvoir baasiste s’est
bunkerisé et l’opposition armée
radicalisée, notamment avec des groupes
proches d’Al Qaïda, comme le front Al
Nosra. Jour après jour, le pays
s’enfonce dans l’horreur.
Armer les insurgés est-il une bonne
idée? La réponse n’est pas simple. On
peut dire que c’est ajouter de la guerre
à la guerre, mais les guerres s’achèvent
aussi par la victoire militaire, donc
par les armes ! On peut dire que c’est
trop tard, qu’il aurait fallu le faire
l’an dernier, mais mieux vaut tard que
jamais! On peut dire que c’est
insuffisant, qu’il faudrait une vraie
intervention militaire, mais on sait que
celle-ci est impossible, ne serait-ce
que parce que le président Obama ne veut
pas en entendre parler! On peut surtout
craindre que les armes livrées tombent
entre de mauvaises mains – comprenez les
djihadistes les plus radicaux – mais
est-ce une raison pour ne pas aider les
groupes modérés, pour éviter justement
que les plus extrêmistes ne sortent
auréolés de la victoire? Les services
occidentaux assurent qu’ils ont
aujourd’hui suffisamment de garanties
pour livrer des armes offensives à
certains groupes combattants.
Ces livraisons sont aussi un signal
politique destiné à accroitre la
pression sur le régime Assad tout en
renforçant nos alliés contre nos ennemis
au sein du camp insurgé. Car, n’en
doutons pas, ce n’est pas l’option de la
guerre totale qui a été retenu à Paris.
Pendant les livraisons d’armes, les
discussions politiques continuent.
L’affaire a été discutée lors de la
récente visite du président Hollande à
Moscou. Si la Russie est très hostile à
la livraison d’armes aux insurgés, elle
ne s’active pourtant pas moins à la
recherche d’une issue politique. Russes,
Américains et Français, chacun à sa
manière, cherchent actuellement en Syrie
des hommes susceptibles de devenir des
interlocuteurs acceptables pour le camp
d’en face. Y réussiront-ils? Rien ne le
dit. Mais on ne peut que se réjouir de
leurs efforts, sans doute plus
parallèles que communs.
La situation syrienne est déjà
suffisamment tragique pour qu’elle ne
devienne pas l’occasion d’un retour à la
guerre froide. La tentation est là: en
Russie comme à l’Ouest, nombreux sont
les « faucons » qui rêvent aujourd’hui
d’en découdre. Ce serait ajouter la
catastrophe à la catastrophe.
Jean-Dominique Merchet,
journaliste spécialisé dans les affaires
de Défense. Auteur du blog français le
plus lu sur ces questions, créé en 2007.
Ancien de l’Institut des hautes études
de défense nationale. Auteur de nombreux
ouvrages dont : « Mourir pour
l’Afghanistan » (2008), « Défense
européenne : la grande illusion »
(2009), « Une histoire des forces
spéciales » (2010), « La mort de Ben
Laden » (2012).
© 2013
RIA Novosti
Publié le 18 mars 2013
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