Opinion
Syrie : comme une
odeur de gaz...
Jean-Dominique Merchet
©
Jean-Dominique Merchet
Samedi 8 décembre
2012 Source :
RIA Novosti
"Guerre et Paix"
L’image est restée gravée dans toutes
les mémoires: le secrétaire d’Etat
américain Colin Powell exhibant un tube
d’anthrax devant le Conseil de sécurité
des Nations Unies.
C’était le 5 février 2003 et il
s’agissait de convaincre le monde que
l’Irak de Saddam Hussein possédait des
armes de destruction massive –
biologique en l’occurrence – et que,
puisqu’il représentait une menace, il
fallait lui faire la guerre.
On sait ce qu’il advint – l’Irak fut
envahi mais d’armes de destruction
massive, point! Certes, l’armée de
Saddam en avait bien possédé, les
utilisant même contre sa propre
population (Halabja, 1988) mais, en
2003, elle n’en avait plus… L’affaire
s’avéra être un formidable montage
médiatico-politique, qui discrédita
définitivement l’administration Bush aux
yeux de l’opinion mondiale.
Or, voici que, en ce début décembre
2012, près de dix ans plus tard, les
chaînes de télévision américaine sonnent
à nouveau l’alerte aux armes chimiques…
à propos, cette fois, de la Syrie d’un
autre dictateur baasiste, Bachar al-Assad.
Des «responsables américains», en clair
des officiels qui parlent off the
record, indiquent que «plusieurs indices
nous laissent penser qu'ils sont en
train de mélanger des précurseurs
chimiques».
Trois jours plus, tard, les mêmes
sources annoncent que les bombes ont été
chargées avec du gaz sarin. En clair,
l’Administration Obama fait savoir au
monde que les troupes fidèles au régime
se préparent à utiliser des armes
chimiques. Info ou intox?
Pour mieux comprendre la gravité de
cette déclaration, il faut savoir que le
gaz sarin est un produit tellement
dangereux qu’il n’est jamais stocké tel
quel. On le conserve sous forme
d’éléments dits «précurseurs» qui
doivent mélangés juste avant que les
armes (bombes, obus, diffuseurs
aériens…) n’en soient remplies. Mieux,
des munitions modernes permettent de
mélanger les précurseurs après le tir
des obus ou le largage des bombes.
Si l’armée syrienne «mélange les
précurseurs chimiques», l’affaire
devient extrêmement sérieuse. Car une
fois mélangés, on ne sépare plus ces
précurseurs et on se trouve en
possession d’une arme redoutable et
interdite par les conventions
internationales. Selon la pureté des
éléments chimiques de base et la
composition exacte du mélange, le sarin
se dégrade naturellement en quelques
mois, voire quelques semaines.
C’est une arme à un coup: une fois
chargées, il faut soit utiliser les
munitions, soit les perdre
définitivement en quelques mois.
Le sarin, comme le VX, le tabun ou le
soman, est un organophosphoré – des
substances hautement toxiques qui
attaquent le système neurologique.
C’est un liquide inodore et incolore,
diffusé sous forme d’aérosol. Le contact
d’une micro gouttelette suffit à tuer un
homme. C’est une invention de la chimie
allemande en 1939, un produit IG Farben,
l’inventeur du Zyklon B des camps
d’extermination…
L’affaire est grave. Mais faut-il
croire les «responsables américains»? La
tentation est grande de se rappeler la
fable du jeune berger qui, s’ennuyant
seul dans sa montagne, crie au loup pour
avoir de la visite. A plusieurs
reprises, les hommes de la vallée
montent le secourir avant de découvrir
qu’il a menti… Mais lorsque le loup
vient pour de bon, plus personne ne le
croit et l’animal le dévore.
Ce n’est donc pas parce que les
Américains ont menti sur l’Irak qu’ils
mentent sur la Syrie – mais rien ne
prouve le contraire non plus!
Une chose est sûre: depuis des mois, la
Maison Blanche voit dans l’usage d’armes
chimiques par les forces d’Assad le seul
casus belli possible, le seul motif
permettant d’intervenir militairement.
S’adressant à la Syrie, le président
Obama l’a rappelé: «Le recours à des
armes chimiques est et serait totalement
inacceptable. Si vous commettez l'erreur
tragique d'utiliser ces armes, il y aura
des conséquences et vous en répondrez».
L’Otan approuve et la France aussi.
Le président François Hollande
l’avait d’ailleurs expressément dit lors
de la conférence des ambassadeurs:
l’usage d’armes chimiques «serait pour
la communauté internationale une cause
légitime d’intervention directe». Seuls,
pour l’heure, les Russes alliés de
Damas, tempèrent, mettant en garde
contre les «rumeurs».
Si l’armée d’Assad utilise des armes
chimiques contre les rebelles, ce sera
donc la guerre. Une guerre «préemptive»,
comme disent les experts, pour désarmer
Assad. Mais une guerre quand même. Au
milieu des nuées de gaz sarin…
Il est évident que seuls les
Américains ont la puissance nécessaire
pour intervenir. Mais ils ne le feraient
pas seuls: à leur côté, des troupes de
l’Otan, en particulier françaises et
britanniques, et arabes (Jordanie,
Qatar, etc…)
Une telle intervention prendrait deux
formes : obtenir la supériorité aérienne
au-dessus de la Syrie et sécuriser les
sites d’armes chimiques. Ce n’est pas
une opération coup de poing qui se règle
en vingt-quatre heures avec une poignée
de commandos… Des sources américaines
parlent de 75.000 hommes, ce qui ne veut
pas dire grand-chose, mais montre en
tout cas, l’ampleur de l’affaire.
Tout le problème de la guerre, c’est
que l’ennemi réplique! Et, une fois
attaqué – donc condamné – le régime d’Assad
tentera d’internationaliser l’affaire en
attaquant ses voisins: Israël, la
Turquie, l’Arabie saoudite, etc. Avec
quelques missiles dotés de têtes
chimiques…
C’est d’ailleurs la raison pour
laquelle l’Otan va déployer des
batteries de missiles Patriot dans le
sud-est de la Turquie, mais elles
n’arriveront pas avant quelques
semaines. Si l’on en croit, les
responsables américains parlant du
«mélange des précurseurs » et du «
chargement des bombes», le gaz sarin
commencera déjà à se dégrader. Le compte
à rebours est lancé. A moins que tout
cela ne soit du bluff…
(1) Jean-Dominique
Merchet « Défense européenne : la grande
illusion » Larousse 2009.
Jean-Dominique Merchet,
journaliste spécialisé dans les affaires
de Défense. Auteur du blog français le
plus lu sur ces questions, créé en 2007.
Ancien de l’Institut des hautes études
de défense nationale. Auteur de nombreux
ouvrages dont : « Mourir pour
l’Afghanistan » (2008), « Défense
européenne : la grande illusion »
(2009), « Une histoire des forces
spéciales » (2010), « La mort de Ben
Laden » (2012).
© 2012
RIA Novosti
Publié le 8 décembre 2012
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|