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Accord Swift
Le Parlement européen a t-il arrêté
l'intégration UE-USA ?
Jean-Claude Paye
Bruxelles, le 18 février 2010
Au cours des dernières années, l’accès illégal de
Washington aux données bancaires confidentielles des
ressortissants européens était devenu à la fois le symbole de la
vassalité de l’Union européenne, et la pierre angulaire de
l’intégration de l’UE dans l’Empire transatlantique. Cependant,
en utilisant les nouveaux pouvoirs que lui confère le Traité de
Lisbonne, le Parlement européen a interdit la légalisation de
cette pratique. Pour Jean-Claude Paye, il ne s’agit pas d’une
simple péripétie parlementaire, ni uniquement d’une question de
libertés publiques, mais bien d’un coup d’arrêt donné à un
processus qui était publiquement débattu pour la première fois.
L’intégration de l’Union européenne, dans une entité politique
transatlantique sous direction états-unienne, vient de connaître
un premier revers et cela après une vingtaine d’années d’un
mouvement univoque, pendant lesquelles s’est développé un
processus de fusion politique.
Celui-ci s’est d’abord concrétisé au niveau de la coopération
policière communautaire, organisée directement par le FBI depuis
la fin des années 80. La deuxième étape de l’intégration a
débuté par le contrôle états-unien de la coopération judiciaire.
Les accords d’extradition signés entre les USA et l’Union
européenne [1]
constituent une pièce maîtresse dans la constitution d’un
« espace de liberté, de sécurité et de Justice »
transatlantique [2].
Ce deuxième procès est sous tendu par une saisie de plus en plus
importante des données relatives à la vie privée.
La capture des informations personnelles, justifiées au
niveau pénal, est avant tout une accumulation économique
primitive devant aboutir à l’installation de nouveaux rapports
de propriété, consacrant la fin de la propriété de soi [3].
La saisie des données privées résulte d’initiatives
états-uniennes et se sont accompagnées de leur transfert massif
vers les USA. Des accords signés entre le Conseil de l’Union
européenne et les Etats-Unis ont légitimé une capture de fait,
qui, dans un premier temps, s’est d’abord imposée comme un pur
rapport de forces violant le droit européen [4].
En ces matières, le Parlement européen avait seulement une
compétence d’avis. Cependant le Traité de Lisbonne a accordé à
cette assemblée de nouvelles compétences en matière
police-Justice. Le Parlement a étrenné ses nouveaux pouvoirs en
refusant un projet d’accord de transfert des données financières
des citoyens de l’Union vers les USA. Plusieurs accords
« Swift », justifiant les saisies états-uniennes, avaient déjà
été signés par le Conseil. Ce refus est donc une première. Ce
faisant, il constitue une rupture dans la légitimation constante
du rapport de domination exercé par les USA sur les populations
européennes. Il ouvre ainsi une possibilité de coupure entre
rapport de domination et hégémonie, entre pur rapport de forces
et consentement.
Le Parlement européen refuse l’accord
transitoire
Ainsi, malgré les pressions du Conseil européen, de la
Commission et de nombreux Etats membres [5],
qui avaient multiplié les promesses tardives pour convaincre les
députés, l’assemblée plénière du Parlement européen à Strasbourg
a refusé, ce 11 février, de ratifier l’accord « Swift » signé
par la Commission européenne avec les autorités états-uniennes [6].
Il s’agit là d’une réaction du Parlement face à une évolution
structurelle des relations transatlantiques, qui donne à
l’exécutif états-unien une souveraineté directe sur les
populations européennes. Si la réaction des députés n’a pas les
moyens de remettre en cause le rapport de domination qui préside
à ces relations, il marque cependant un cran d’arrêt dans
l’exercice de l’hégémonie états-unienne, dans le processus de
reconnaissance par les Européens du droit que s’est donné
Washington d’organiser leur existence.
Le texte soumis aux députés accordait aux services US le
droit de capturer, sur le sol européen, les informations liées
aux transactions financières transnationales des ressortissants
des pays membres de l’UE. Par une large majorité, l’assemblée a
ainsi suivi l’avis de la Commission des Libertés civiles et de
la Justice qui, le 4 février, avait demandé à l’assemblée de
rejeter l’accord avalisé le 30 novembre 2009 par le Conseil des
ministres de l’Intérieur de l’UE [7].
Cet accord permettait aux autorités états-uniennes de se
saisir, sur les serveurs de la société Swift placés sur le sol
de l’ancien continent, des données financières des citoyens
européens. Selon la Commission des Libertés du Parlement, le
texte n’offre pas suffisamment de garanties pour la protection
de ces informations personnelles transmises à l’administration
US. De plus, elle s’était insurgée contre le caractère
unilatéral du texte, puisque les Etats-uniens sont les seuls à
exploiter ces informations. Les enquêteurs européens n’ont,
quant à eux, pas accès aux données US placées sur le serveur
situé aux USA.
Un point d’arrêt à l’hégémonie
états-unienne ?
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, Swift, société
américaine de droit belge a transmis clandestinement, au
département du Trésor US, des dizaines de millions de données
confidentielles concernant les opérations de ses clients. Malgré
la violation flagrante des droits, européen et belge, de
protection des données personnelles, ce transfert n’a jamais été
remis en cause. Au contraire, l’UE et les USA ont signé
plusieurs accords destinés à légitimer cette capture. C’est le
dernier de ceux-ci que vient de refuser le Parlement. Cet accord
fait suite à une réorganisation du système Swift afin que les
données inter-européennes ne quittent plus le sol de l’ancien
continent, au lieu d’être envoyées sur un second serveur aux
Etats-Unis. Ce changement impliquait que les autorités
états-uniennes aient accès directement aux données placées sur
les serveurs européens. Ce qui implique la reconnaissance d’un
transfert de souveraineté à l’exécutif états-unien.
L’opposition du Parlement à ce transfert unilatéral des
données financières des Européens constitue un cran d’arrêt dans
le processus de reconnaissance de l’hégémonie US sur les
citoyens de l’ancien continent. Cependant, le rapport de
domination états-unien reste intact, puisque les Américains
n’ont jamais cessé d’avoir accès aux données européennes, même
lorsque la violation du droit de l’Union avait été révélée et
qu’aucun accord légitimant la capture des informations n’avait
encore été signé. C’est encore le cas actuellement. Le nouveau
serveur placé sur le sol européen est opérationnel depuis fin
2009 et les autorités états-uniennes y ont directement accès en
justifiant leur action par l’urgence de la lutte antiterroriste.
On peut supposer que cette situation de fait ne sera pas
modifiée par le vote du Parlement européen.
Les conséquences de la réaction du Parlement européen doivent
être lues sur un autre plan, celui de l’évolution de l’ensemble
des relations USA-UE et notamment du projet de création d’un
grand marché transatlantique, véritable acte d’intégration de
l’Union européenne dans une structure politique impériale
organisée par Washington. Dans ce projet, il est notamment prévu
la création d’une assemblée transatlantique destinée à légitimer
l’action en cours. A la lumière de la dernière réaction du
Parlement, ce dernier objectif pourrait bien ne pas être le long
fleuve tranquille espéré tant par les autorités états-uniennes
que par la Commission et le Conseil de l’UE.
Jean-Claude Paye,
Sociologue. Derniers ouvrages publiés :
La Fin de l’État de droit, La Dispute 2004 ;
Global War on Liberty, Telos Press 2007.
[1]
« Europe-Etats-Unis :
un rapport impérial », par Jean-Claude Paye, Le Monde,
le 24 février 2004, in Réseau Voltaire, le 25 février
2004.
[2]
« Un
nouvel ordre politique : Le futur grand marché transatlantique »,
par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, le 4 février 2009
[3]
Ibidem.
[4]
« L’Empire
transatlantique en construction. Les transactions financières
internationales sous contrôle états-unien » et « Affaire
Swift : Un nouvel abandon de la souveraineté européenne »,
par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, 28 avril 2008 et
14 décembre 2009
[5]
« Nous sommes déçus de ce revers dans la coopération
antiterroriste avec l’UE », Interview de William Kennard,
ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Union européenne, Le
Monde, le 13 février 2010.
[6]
Pour le détail complet du débat, consulter le site du Parlement
européen. « Accord
UE/États-Unis d’Amérique sur le traitement et le transfert de
données de messagerie financière de l’UE aux États-Unis aux fins
du programme de surveillance du financement du terrorisme ».
Texte déposé : A7-0013/2010. Débats : PV 10/02/2010 - 13 et CRE
10/02/2010 - 13. Votes : PV 11/02/2010 - 6.4 et CRE 11/02/2010 -
6.4. Texte adopté : P7_TA(2010)0029.
[7]
« Swift :
le Parlement européen irrite Washington », Le Soir,
le 4 février 2010.
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