Réseau Voltaire
Sarah Palin, Big Mother
Jean-Claude Paye*, Tülay Umay*
Sarah Palin salue la modératrice du débat
vice-présidentiel, le 2 octobre 2008,
à l’université Washington de Saint Louis (Missouri)
3 octobre
2008
Le débat Palin-Biden n’a fait apparaître aucun argument nouveau
de la part des deux candidats à la vice-présidence des
États-Unis. Il a par contre révélé la flamboyante personnalité
du gouverneur Sarah Palin et son incroyable aplomb pour formuler
des certitudes toutes faites et éviter le dialogue de fond. Pour
les sociologues Jean-Claude Paye et Tülay Umay, cette nouvelle
figure politique (qui fait suite en France à celle de Ségolène
Royal, mère juste et sévère), incarne la mutation de l’ordre
symbolique des sociétés occidentales : le pouvoir refuse toute
extériorité, il devient englobant, castrateur, fusionnel.
La question n’est pas de déterminer si John McCain, grâce à
l’apport que représente Sarah Palin, va gagner l’élection
présidentielle US. Ce résultat dépend également d’autres
variables et est secondaire par rapport à ce que cette
candidature révèle. Celle-ci est le symptôme d’une profonde
mutation de l’ordre symbolique de la société, à savoir
l’apparition au grand jour de la figure maternelle, à qui est
offerte le pouvoir d’État. Cette image, entièrement érigée par
les médias, se substitue à la figure paternelle. Ce mode de
communication englobant, supprime toute distinction entre
intérieur et extérieur, entre privé et public. Il installe une
relation fusionnelle entre individu et pouvoir. Cette
transformation n’est pas seulement formelle. Elle atteste d’un
changement radical dans l’organisation sociale, le passage d’une
structure névrotique à une structure psychotique, à savoir le
déni du lien social et la neutralisation de la conscience.
Pour la première fois dans
l’histoire des élections états-uniennes, alors qu’il s’agit
généralement d’une fonction effacée, l’intérêt pour le poste de
vice-président dépasse celui porté envers le candidat effectif.
Qui connaît la personnalité du vice-président de George W.
Bush ? Ici, au contraire, depuis plusieurs semaines le candidat
républicain reste à l’ombre de sa colistière. Il n’est plus que
celui qui a porté son choix sur Sarah Palin.
Maintenant, la presse
états-unienne insiste sur l’âge de ce dernier, sur sa maladie,
sur le fait qu’il ne pourrait ne pas aller jusqu’au bout de son
mandat et, ainsi, laisser la place à sa colistière. Il apparaît
de plus en plus que voter McCain c’est remplir les conditions
qui permettront à Sarah Palin d’exercer le mandat présidentiel.
La situation dans laquelle se
trouve Sarah Palin est exactement l’inverse de celle dans la
laquelle était cantonnée Hillary Clinton. Au contraire de cette
dernière, elle ne s’est pas battue pour obtenir cette fonction,
la place lui a été offerte.
Hillary Clinton avait insisté
sur sa compétence et sa longue expérience. Sarah Palin ne peut
faire valoir qu’une fonction de maire d’une petite ville, ainsi
que d’un mandat de gouverneur d’un État très peu peuplé.
Dans son opposition à Obama,
Hillary Clinton s’était positionnée en championne des valeurs
masculines. Cette position féministe classique : plus forte que
les hommes sur leur propre terrain, ne lui a pas permis de
supplanter son rival. Au contraire, son avantage initial dans
les sondages s’est renversé.
Quelle est la qualité prêtée à
la nouvelle candidate qui supplée à tout ce qui était considéré,
jusqu’à présent, comme indispensable pour occuper le poste
présidentiel ? Au contraire de Clinton, Sarah Palin ne se
présente pas comme une femme en compétition avec les hommes.
Elle apparaît à travers la figure de la mère. Elle n’a pas
besoin des attributs du masculin pour être une femme. Les hommes
sont déjà hors jeu. Ils se présentent comme des enfants et lui
abandonnent le pouvoir.
Dans son discours
d’intronisation de colistière de McCain, elle se présente comme
féminité toute puissante, qui peut donner la vie et la mort.
Elle est à la fois mère de famille qui enfante, qui conduit ses
enfants au hockey et ange exterminateur, « pitt bull avec rouge
à lèvres », qui détruit ses adversaires politiques et anéantit
les « ennemis de l’Amérique ».
La candidate à la
vice-présidence s’est montrée ferme envers la Russie, n’excluant
pas la possibilité d’une guerre. Elle a aussi envisagé une
intervention au Pakistan, sans obtenir l’aval du gouvernement de
ce pays. Le discours s’est révélé non seulement belliqueux, mais
unilatéral, donnant un caractère absolu à sa décision. Aucune
place n’est laissée à la négociation et rien n’est discuté avec
les « alliés ». L’autre n’existe pas.
Le rapport à la castration
permet de différencier Palin de Clinton. Le phallus est châtré
symboliquement par la Loi qui enjoint, à la mère, de ne pas se
le donner à elle-même, par l’intermédiaire de l’enfant.
Palin exalte la toute puissance
de la mère, celle qui avale ses enfants et qui opère un déni de
la prévalence de la Loi.
Clinton, quant à elle, reste
bloquée à un stade antérieur de la féminisation de la société.
Elle veut concurrencer l’homme. Elle occupe une position
féministe classique, elle se revendique comme étant plus digne
que les hommes de porter le signifiant phallique. Son action se
limite à une guerre de place au sein de la même structure.
Palin, elle, ne se modèle plus
sur les hommes. Elle effectue une démarche post-féministe où la
confrontation de genre n’existe plus. Nous ne sommes plus dans
la guerre des sexes. Sarah Palin opère un déni du signifiant.
Elle ne cherche pas à acquérir le phallus symbolique, elle l’est
grâce à l’image. Toute médiation disparaît. Sa jouissance est
sans limites. Maintenant la figure maternelle est érigée par les
médias, tel un phallus. Cette maternité triomphante exclut tout
autant les femmes que les hommes, elle ne s’adresse qu’à des
enfants. Le récent appui de la première organisation féministe
états-unienne à Obama montre que le principal combat d’arrière
garde, face à la toute puissance maternelle, viendra de la
femme. Quant à l’homme il s’est, depuis longtemps, placé hors
jeu.
Clinton n’a pas pu engranger les
acquis de la féminisation de la société. C’est Palin qui
bénéficie de celle-ci, du renversement de la Loi du père. Elle
incarne une mère toute puissante qui n’introduit plus dans le
langage, dans le symbolique, mais enferme dans l’image, dans le
narcissisme. Elle opère un déni de la castration symbolique, une
négation du manque et lui substitue un phallus imaginaire
qu’elle s’approprie. Le doute ne l’atteint pas, elle est prête à
tout. Elle est le tout qui jouit de lui-même, une toute
puissance qui n’est pas barrée par la Loi.
Ainsi, Palin est la figure
politique idéelle d’une société d’après le 11 septembre 2001,
une société où, au niveau juridique, le rôle de la loi est
renversé. Le pouvoir qui impose la loi n’y est plus soumis.
Cette dernière devient une forme vide. Elle n’est plus que
l’enregistrement de la toute puissance de l’administration.
Cette mutation dans l’ordre symbolique, ainsi que le déni des
faits, suppriment tout point d’arrêt, toute extériorité, à la
puissance maternelle qu’incarne le pouvoir. Cela est
particulièrement visible dans la transformation de l’ordre
juridique, qui, actuellement, supprime toute distinction entre
intérieur et extérieur, toute différence entre guerre et paix.
Le droit pénal et le droit de la guerre sont confondus. L’Etat
applique à ses propres populations des techniques de
surveillance et d’emprisonnement qui, autrefois, étaient
réservées à l’ennemi.
Sarah Palin est une pure image
de cette structure sociale où les individus sont plongés dans
l’effroi et s’abandonnent à l’État en tant que mère. Ils
consentent à la destruction de leurs libertés et du droit de
disposer d’eux-mêmes en échange d’une prise en charge
sécuritaire qui les annulent.
Jean-Claude Paye
Jean-Claude Paye est sociologue.
Derniers ouvrages publiés :
La Fin de l’État de droit,
La Dispute 2004 ;
Global War on Liberty, Telos Press
2007
Tülay Umay
Sociologue
|