|
Analyse
A quoi sert Michel Onfray ?
Jean-Claude Paye - Tülay Umay
Lundi 3 mai 2010
La question essentielle, qui se pose lors
de la sortie du dernier livre de Michel Onfray : « Crépuscule
d'une idole. L'affabulation freudienne », est celle-ci : quel
est le sens de la campagne médiatique destinée à imposer un
ouvrage basé sur la falsification des faits comme un « livre
évènement »? Nous n'allons pas reprendre ici les éléments, que
nous partageons, de la critique développée par Elisabeth
Roudinesco dans « Onfray projette sur l’objet haï ses propres
obsessions » paru dans l'Humanité du 21 avril. Le cas Onfray
nous intéresse dans la mesure ou il représente une attitude
spécifique de notre époque, celle du déni de tout processus de
connaissance et de la
nécessaire reconnaissance
intellectuelle et symbolique qu'il implique. C'est à dire qu'il
faut accepter sa castration, que tout apport théorique ne se
crée pas à partir de soi-même, mais s'inscrit dans un mouvement,
dans un rapport aux autres et dans une relation avec une
extériorité. A l'opposé, Michel Onfray est un parfait exemple du
mode opératoire, devenu aujourd'hui commun, qui consiste à
affirmer que les choses existent puisqu'on les a énoncées.
Dans les propos développés, il nous est signifié que toute
objectivité doit s'effacer. Celui qui occupe le devant de la
scène a donc la capacité de créer une nouvelle réalité devant se
substituer aux faits eux-mêmes.
Toute possibilité de constitution d'une conscience, qui repose
sur la séparation entre extérieur et intérieur, sur la
distinction entre les faits et leur interprétation, est ainsi
anéantie.
Selon les paroles mêmes de son auteur, l'ouvrage serait le
résultat de cinq mois de lecture, pendant lesquels, Michel
Onfray aurait lu tout Freud et en aurait tiré un point de vue
définitif. Cette prétention contraste fortement avec la
multiplicité des débats contradictoires entre les diverses
écoles de psychanalyse ou, par exemple, avec le travail de
Jacques Lacan qui, après plus de cinquante ans de lecture, en
était toujours, lui pauvre humain, à approfondir son
interprétation et à faire évoluer ses hypothèses.
Alors que l'exhibition d'une telle toute
puissance devrait prêter à sourire, elle est généralement tenue
comme une garantie de la qualité de son travail et du caractère
de « chercheur infatigable » attribué à l'auteur. M. Onfray est
présenté comme l'icône, l'image de l'incarnation de la vérité
comme « toute ». Il s'offre en tant que vérité qui se fait voir,
qui ne se présente pas à la raison, mais au regard, à la pulsion
scopique. Son livre n'est pas destiné à penser, mais à fournir
une jouissance. Il s'agit d'une vérité qui s'énonce sans
vouloir se heurter, ni aux faits,
ni à une interprétation. Elle n'est pas relative, elle se
présente comme la chose absolue. Elle n'a besoin d'aucun
support, d'aucune extériorité. Elle est la Theoria qui se fait
monde et qui jouit d'elle-même. Simplement, Onfray fait une
fixation sur Freud qu'il réduit à une image rivale.
Sa « lecture » de Freud présente deux caractéristiques
complémentaires. Sans note, ni référence, elle ne doit rien à
personne, elle ne se fonde formellement que sur elle-même. Il
s'agit du travail d'un « self made man ». Tout ce qui est
affirmé est présenté comme nouveau, n'ayant aucune filiation, ni
intellectuelle, ni historique.
Enfin, il s'agit d'une lecture à la lettre. Si Freud a théorisé
la pulsion de mort et a montré son rôle dans l'histoire des
sociétés humaines, c'est qu'il est un adepte de l'abandon à ce
mécanisme pulsionnel. Sa théorisation est ainsi anticipation de
la barbarie nazie et porterait une responsabilité des génocides
commis. Une identité est établie entre l'énonciation du mot et
la chose elle-même. Comme disent les enfants : « c'est celui qui
le dit qui l'est ».
Aussi, Freud, en faisant du meurtre du père imaginaire, donnant
existence à un père symbolique, un principe fondateur d'une
société spécifiquement humaine, aurait assassiné Moïse, le père
de la loi judaïque, favorisant ainsi la solution finale des
nazis contre le peuple juif.
Quant à Onfray, il veut se soustraire à la loi symbolique posé
par Freud, il ne veut pas tuer le père, mais occuper sa place.
Grâce au déni de la fonction du père, il n'y a plus de dette
symbolique entre les générations, d'articulation entre
l'objectivité et la subjectivité. Pour l'enfant tout puissant,
les choses n'existent qu'au moment où il les énonce. Ainsi, il
est dans l'air du temps, comme rouage d'une machine déjà bien
installée.
Historiquement, la psychanalyse a été combattue par les régimes
fascistes et nazis, comme « science des juifs » et stigmatisée
par la droite catholique, à cause sa référence à la sexualité.
Si le philosophe athée et hédoniste se trouve en une telle
compagnie, ce n'est pas pour les mêmes raisons. Dans les Etats
fascistes et nazi, ce qui fait lien entre les hommes est
mythique. A l'ordre symbolique, au lien social, doit se
substituer l'imaginaire. Dans la post modernité, dont Michel
Onfray est un héraut, ce qui explique sa grande médiatisation,
tout ordre symbolique, même imaginaire, doit être anéanti.
L'enfant tout puissant, figure centrale de cette nouvelle
période historique, ne peut connaître aucune limite. La
dimension sociale de l'humain est déniée. A l'ordre de l'ancien
testament qui repose sur la gestion de la violence, Michel
Onfray oppose une humanité hédoniste, uniquement habitée par la
pulsion de vie, orchestrée par un dieu païen prônant une
jouissance sans limite. Si on n'est pas aveuglé par cette notion
d'un dieu solaire, on retrouve là la spécificité des valeurs de
la post modernité.
Si depuis toujours la psychanalyse a toujours été un enjeu de
confontation, les attaques actuelles sont d'un autre ordre.
Actuellement, il ne s'agit plus de la confronter, mais de la
diaboliser, de la forclore. La Grande Bretagne, pays aux quatre
millions de caméras de surveillance et qui a déjà supprimé
l'essentiel des libertés individuelles, est à la pointe de ce
combat. Un projet de loi est en discussion visant à empêcher
concrètement sa pratique. Cet exemple extrême fait partie d'une
tendance générale. Ce livre en est un élément. Pour dénier la
psychanalyse, tout est bon : inventer des faits, fabriquer des
révélations, privilégier la rumeur face au réel. Dans cette
entreprise, l'auteur est assuré d'obtenir tout le soutien
nécessaire.
Ce qui est dérangeant dans la
psychanalyse, c'est qu'elle repose sur le manque, qu'elle montre
à l'homme que sa condition l'empêche d'être le tout. Dévoilant
sa castration à l'individu, elle fait de la reconnaissance de
celle-ci, la condition de l'émergence d'une parole. A l'opposé
de M. Onfray, elle nous montre que l'existence d'une société
humaine repose sur l'interdiction de l'inceste, non pas du corps
à corps dans lequel on est habitué à la penser, mais dans la
séparation de l'individu d'avec la mère symbolique, aujourd'hui
l'Etat maternel. La psychanalyse est un instrument indispensable
pour faire face au déni de l'humain. Elle nous est nécessaire
pour sortir d'un processus de régression qui nous ramène au
stade le plus primaire du narcissisme, celui de l'auto-érotisme,
de la non distinction entre intérieur et extérieur, dans lequel
Onfray veut
s'enfermer.
L'assurance présentée par
l'auteur est celle d'un
concessionnaire du monopole de la parole
que s'est octroyé la machine
étatique. Pour faire face au discours développé dans ce livre et
surtout à la campagne médiatique qui le promotionne, il ne
suffit pas de rétablir les faits. Il faut également rendre
ceux-ci audibles.
Pour cela, il faut reconquérir le
territoire du langage et renverser le règne de l'image.
Actuellement, la décomposition du rapport social est telle que
l'installation d'une structure politique démocratique passe par
le rétablissement d'un ordre symbolique. Ce ne sont pas
uniquement nos libertés qui sont attaquées, mais ce qui fait de
nous des humains. La spécificité de la psychanalyse, c'est
justement de montrer qu'il n'y
a d'Homme que parlant et cela au
moment ou on nous intime de nous taire et de nous abandonner.
Afin de recomposer un langage, la psychanalyse est
indispensable. Ceci explique l'interrogation de Roudinesco
:« pourquoi cette haine? ». Les assauts contre la pratique
analytique ne sont que le paravent de ce qui gêne dans la
psychanalyse : son caractère directement social et politique.
Jean-Claude Paye, sociologue.
Tülay Umay, sociologue.
|