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Le président afghan blâme « l'Occident »
pour l'extrémisme islamique
James Cogan
8 septembre 2008
La propagande utilisée pour justifier l’occupation menée par
les Etats-Unis en Afghanistan évite typiquement toutes
explications des origines des tendances comme Al-Qaïda, le
mouvement taliban et d’autres groupes islamistes qui résistent
aux troupes américaines et à l’OTAN. Les promoteurs de la
prétendue « guerre au terrorisme » veulent faire croire que les
Etats-Unis et leurs alliés combattent des fanatiques religieux
qui n’ont aucun appui dans le pays et qui sont motivés par une
haine inexplicable et irrationnelle de la civilisation
occidentale.
En de rares occasions, cependant, quelqu’un dévie du discours
officiel et attire l’attention sur les faits historiques
concernant l’extrémisme islamiste actuel que Washington et ses
alliés préfèrent ne pas mentionner. Une de ces occasions fut une
entrevue réalisée le 19 août par le magazine Time avec un
très proche allié américain — Hamid Karzaï, l’homme qui fut
installé par l’administration Bush comme président de
l’Afghanistan en 2002.
Défié par le Time par une question sur comment un
ennemi qui n’a « que l’annihilation comme but » peut être
combattu, Karzaï s’est senti obligé de noter que la situation
actuelle était le sous-produit du soutien américain, dans les
années 1980, pour la création d’une armée de fondamentalistes
islamiques destinée à déclencher un djihad ou une guerre sainte
contre un régime pro-soviétique en Afghanistan et entraîner
l’armée soviétique elle-même dans un conflit de guérilla qui
dura une décennie.
Karzaï a dit au Time : « Pour arrêter le terrorisme,
nous devons remédier aux méfaits des 30 dernières années.
Remédier veut dire réparer. Le monde nous [les djihadistes
afghans] a poussé à combattre les Soviétiques. Et ceux qui l’ont
fait sont partis et ont laissé tout le désordre se répandre.
Le 11-Septembre est la conséquence de cela…
« Dans les années de combat contre les Soviétiques, le
radicalisme était une chose essentielle. Quelqu’un comme moi
était qualifié de demi-musulman parce que nous n’étions pas
radicaux. Le plus radical on était, le plus d’argent on
recevait. Le radicalisme est devenu non seulement une arme
idéologique contre les Soviétiques, mais une voie économique
vers l’avant. Le plus radical on se présentait, le plus d’argent
l’Occident on recevait de l’Occident. »
Lorsque le Time a protesté que « ce n’était pas
seulement l’Occident ; mais l’Arabie saoudite, le Pakistan »,
qui avaient fomenté l’extrémisme islamiste en Afghanistan,
Karzaï a répondu : « Ils étaient menés par l’Occident. Les
modérés étaient affaiblis. L’histoire afghane et le nationalisme
étaient appelés athéisme. Plus on parlait de radicalisme, mieux
on te traitait. C’est ce que nous payons maintenant. »
Karzaï est intimement familier avec l’appui des Etats-Unis
pour les djihadistes afghans dans les années 1980. Il a dirigé
le bureau de Sebghatullah Mojadeddi, le chef d’un des groupes
moudjahidines et sans aucun doute lié à la CIA et d’autres
officiers américains. Son amertume par rapport à la politique
américaine provient du fait que la faction de Mojadeddi était
vue comme « modérée » par rapport aux « radicaux » qui ont reçu
la plus grande part du gâteau de l’appui financier.
À partir de 1979, les Etats-Unis ont poussé leurs alliés
comme l’Arabie saoudite et le Pakistan à donner de l’aide
militaire et de l’aide financière aux insurgés afghans à
tendance islamiste comme un moyen d’affaiblir l’Union
soviétique. Combinés aux fonds américains directs, jusqu’à 2
milliards de dollars étaient versés chaque année, le projet
afghan de la CIA fut, de loin, la plus grande opération en
sous-main de toute la Guerre froide.
Le plus grand bénéficiaire de l’aide américaine durant les
années 1980 fut le Hezb-e-Islami de Gulbuddin Hekmatyar, qui
aurait reçu jusqu’à 600 millions de dollars en armes américaines
et en argent. Une autre personne avec qui la CIA avait travaillé
étroitement était Jalaluddin Haqqani, un commandant de guérilla
qui avait construit une grande force militaire dans les
provinces de l’ethnie pachtoune du sud de l’Afghanistan.
Au même moment, de grands montants d’argent provenant
d’Arabie saoudite étaient utilisés pour financer les camps
auxquels des milliers de militants islamistes prirent part. Ces
militants provenaient des quatre coins de la planète et ont
participé aux camps de 1985 à 1992. Une des personnalités
principales impliquées dans ce qui allait être appelé « La
base », ou Al-Qaïda en Arabe, était Oussama Ben Laden, le fils
d’un milliardaire saoudien. Même si la CIA nie avoir déjà
travaillé avec les combattants étrangers ou les « Arabes
afghans », ses prétentions ne sont pas crédibles. Al-Qaïda était
partie intégrante de tout le djihad anti-soviétique, dans lequel
la CIA a collaboré étroitement avec les agences de
renseignements pakistanaises et saoudiennes.
La montée des talibans
La guerre en sous-main que les islamistes ont menée pour
les Etats-Unis à partir de 1979 fut un facteur qui contribua à
la crise politique et économique qui secoua l’Union soviétique
dans les années 1980 et qui mena le régime stalinien à restaurer
les relations capitalistes et, ultimement, à dissoudre l’URSS
elle-même.
L’Afghanistan, cependant, fut pratiquement détruit dans le
processus. Avant que les forces soviétiques ne se retirent en
1988, leurs tactiques brutales de contre-insurrection avaient
tué plus d’un million d’Afghans, blessé jusqu’à 1,5 million
d’entre eux et forcé cinq millions de personnes à fuir au
Pakistan.
Les Etats-Unis ont continué d’appuyer les islamistes dans
leur campagne pour renverser le faible gouvernement
pro-soviétique de Mohammad Najibullah, mais ont eu recours de
plus en plus à l’armée pakistanaise pour surveiller le
financement et l’armement des moudjahiddines. Le point de mire
de Washington avait changé. La crise de l’Union soviétique avait
mené l’élite dirigeante américaine à conclure qu’une opportunité
existait pour réaliser leurs vieilles ambitions de dominer le
Moyen-Orient riche en pétrole. Le régime irakien de Saddam
Hussein fut incité à envahir le Koweït, créant ainsi le prétexte
pour le déploiement d’un demi-million de troupes américaines en
Arabie saoudite et, en mars 1991, pour la première guerre du
Golfe contre l’Irak.
En Afghanistan, les forces appuyées par le Pakistan de
Gulbuddin Hekmatyar ont conduit à une meurtrière guerre civile
pour le contrôle du pays contre d’autres factions
moudjahiddines, dont les seigneurs de guerre profitaient du
soutien de puissances régionales rivales comme l’Inde, l’Iran ou
la Russie. Les troupes d’Hekmatyar, encore bien équipées par les
armes américaines, ont réalisé plusieurs bombardements
systématiques de la capitale Kaboul, lors desquelles une grande
partie de celle-ci fut détruite et des milliers de personnes
tuées. En juin 1993, il fut installé comme premier ministre,
supplantant le gouvernement dans lequel Karzaï avait brièvement
œuvré en tant que ministre adjoint aux Affaires étrangères.
La brutalité de la guerre civile, les conditions sociales
désespérées auxquelles la population faisait face et la
situation critique de millions de réfugiés au Pakistan ont créé
les conditions qui ont engendré les talibans — ou « les
étudiants religieux ». Les ecclésiastiques islamiques radicaux
menés par le mollah Omar ont gagné de l’appui parmi une jeunesse
remplie d’amertume en promettant une dure loi islamique qui
éradiquerait les seigneurs de guerre criminels et donnerait un
répit au peuple depuis longtemps meurtri par la guerre.
Assemblant une force militaire dans les camps de réfugiés
pakistanais en 1994, les talibans ont pris le contrôle de la
majeure partie de l’Afghanistan et ont finalement pris Kaboul en
1996. Lorsqu’ils ont pris le pouvoir, Karzaï, comme plusieurs
autres Pachtounes, a appuyé les talibans comme un moyen
d’affaiblir le pouvoir de leurs rivaux ethniques.
Le Pakistan, qui avait fini par considérer Hekmatyar comme un
mandataire peu fiable, a joué un rôle crucial dans
l’organisation des forces armées talibanes. Des unités de
l’armée pakistanaise auraient activement combattu à leur côté.
Un autre facteur des succès des talibans fut la décision de
Jalaluddin Haqqani en 1995 d’aligner sa grande milice pachtoune
avec eux. Haqqani a œuvré au ministère des Frontières et des
Affaires tribales dans le gouvernement taliban de 1996 jusqu’à
l’invasion américaine en octobre 2001.
Les talibans n'ont jamais contrôlé le pays
en entier et étaient engagés dans une guérilla quasi constante
contre les seigneurs de guerre soutenus par l'Inde, la Russie
et, jusqu'à un certain point, l'Iran. Dans de larges régions du
sud de l'Afghanistan, cependant, la population, même si elle
devait subir une application sévère de la charia et
l'interdiction pour les femmes de recevoir une éducation, a
apprécié les premières années de paix relative après 17 ans de
tourmente. Ce qui en reste est un héritage d'un certain
degré de sympathie et même de nostalgie pour les talibans,
particulièrement lorsque leur règne est comparé à la violence de
l'occupation américaine et à la corruption des barons de la
drogue et des hommes forts qui dominent le gouvernement fantoche
de Karzaï.
Le gouvernement américain et les
principaux conglomérats américains du pétrole accueillirent
initialement l'avance des talibans. De nouveaux et riches champs
pétrolifères et gaziers étaient développés dans les anciennes
républiques soviétiques de l'Asie centrale telles que le
Turkménistan et le Kazakhstan et le potentiel existait pour la
construction de gazoducs et d'oléoducs traversant l'Afghanistan
vers les raffineries et les ports au Pakistan et en Inde.
Cependant, aucun n'a été construit en raison de l'incapacité des
talibans de mettre complètement fin à la guerre civile.
Les relations entre Washington et les talibans commencèrent à
s'effondrer en 1998, ostensiblement en raison de l'asile qu'ils
offraient à Oussama Ben Laden et à al-Qaïda.
La politique américaine et le
terrorisme d’al-Qaïda
Les attaques terroristes dirigées contre
les États-Unis par les extrémistes islamistes à la fin des
années 1990 étaient une conséquence de la guerre du Golfe de
1991. Les islamistes radicaux qui croyaient avoir lutté pour
libérer l’Afghanistan des infidèles non musulmans étaient
furieux que la monarchie saoudienne permette aux troupes
américaines (tout aussi infidèles que les Soviétiques) de mettre
pied dans le pays censé protéger les lieux les plus saints de
l’Islam que sont La Mecque et Médina. Ce sentiment de trahison
s’est intensifié lorsque, après l’effondrement de l’Irak, les
militaires américains ont maintenu des bases non seulement en
Arabie Saoudite, mais également au Koweït et dans d’autres Etats
du Golfe.
Oussama Ben Laden, qui était de retour en
Arabie Saoudite, dénonça publiquement la monarchie et fut exilé
au Soudan. En 1996, il revint en Afghanistan, où il reprit
contact avec des combattants tels qu’Haqqani, qui avait recruté
plusieurs Arabes afghans dans sa guérilla.
La vision d’al-Qaïda reflétait les
ressentiments d’une section en colère de l’élite dirigeante du
Moyen-Orient contre la domination des Etats-Unis sur la région.
Sa perspective réactionnaire de commettre des actes terroristes
contre des cibles américaines n’avait qu’un seul but : forcer
Washington à retirer ses troupes des pays musulmans pour créer
les bases d’une nouvelle relation avec l’impérialisme.
En février 1998, Ben Laden lança un djihad
contre les Etats-Unis à partir de sa nouvelle base en
Afghanistan, appelant à ses partisans de tuer des Américains
jusqu’à ce que le gouvernement américain accepte de « libérer »
la mosquée al-Asqa de Jérusalem contrôlée par Israël et la
mosquée al-Haram à La Mecque. Le caractère de cette soi-disant
guerre sainte fut révélé lorsqu’al-Qaïda attaqua l’ambassade
américaine au Kenya et en Tanzanie en août 1998, assassinant
plus de 200 personnes innocentes et en blessant plus de 4000. En
guise de représailles, l’administration Clinton ordonna une
frappe de missiles de croisière contre des bases alléguées
d’al-Qaïda près de Khost en Afghanistan et contre une « usine
terroriste » au Soudan.
Dès 2000, les États-Unis avaient développé
leurs plans pour l’invasion de l’Afghanistan. L’objectif était
d’y mettre en place un gouvernement pro-américain. Les projets
d'oléoducs pourraient ensuite aller de l’avant et les Etats-Unis
pourraient construire des bases militaires au cœur même de
l’Asie centrale, projetant sa force militaire sur l’Iran vers
l’ouest, la Russie vers le nord et la Chine vers l’est. Ne
manquait plus qu’une justification pour tout cela.
Le 11 septembre 2001 fournit cette
justification. Dans ce qui demeure toujours un échec de sécurité
inexplicable, 19 islamistes (la plupart saoudiens) furent
capables de prendre le contrôle d’avions de ligne et de les
rediriger pour les faire percuter contre les tours jumelles du
World Trade Center et contre l’édifice du Pentagone, et ce,
malgré le fait que plusieurs d’entre eux étaient sur la liste de
surveillance de la CIA ou du FBI. Le fait qu’al-Qaïda ait été
capable de mener une telle attaque est d’autant plus suspect
compte tenu de la longue relation existant entre les services de
renseignements américains et l’extrémisme islamique. Bien que
Ben Laden se soit retourné contre ancien allié américain en
1991, il est peu probable que la CIA ait perdu tous les agents
d’informations et les agents d’infiltrations de son réseau.
Dans le mois qui a suivi les attaques du
11 septembre, l’invasion de l’Afghanistan avait commencé. Près
de sept ans plus tard, il n’y a pas de fin à la guerre en vue.
Les talibans ont été capables de recruter des forces pour la
guérilla des deux côtés de la frontière entre l’Afghanistan et
le Pakistan, se nourrissant de la pauvreté et du désespoir d’une
population largement rurale et de la colère contre la misère et
la mort qu’a apportées l’invasion américaine.
Depuis l’effondrement du gouvernement des
talibans en 2001, il est rapporté que Jalaluddin Haqqani et ses
fils auraient regroupé leurs forces militaires dans le sud du
pays, capitalisant sur les FATA, ces zones sécuritaires des
tribus pachtounes au Pakistan administrées par le fédéral. Au
même moment, le Hezb-e-Islami dirigé par Hekmatyar s’est rétabli
dans certaines parties de l’est de l’Afghanistan en se joignant
aux talibans dans un appel à la résistance contre les Etats-Unis
et l’OTAN.
Alors que les allées et venues d’Oussama
Ben Laden et de ce qui reste de son réseau basé en Afghanistan
ne sont pas définitivement connues, il est plus que probable
qu’ils opèrent à partir de bases à l’intérieur des FATA où
al-Qaïda opérait avec les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et le
Pakistan durant la guerre soviétique en Afghanistan.
Au Pakistan, les mouvements liés aux
talibans contrôlent maintenant la quasi-totalité des FATA et
étendent leur influence dans la province de la frontière du
nord-ouest, Baloutchistan et même dans le centre économique du
pays, Karachi. Le mois dernier, Asif Al Zardari, maintenant
président du Pakistan, déclarait que le « monde est en train de
perdre la guerre » et « qu’en ce moment, ils [les taliban] ont
définitivement le haut du pavé».
Contrer la montée de l’extrémisme
islamique – fomenté par les Etats-Unis dans les années 1980 –
est le prétexte premier de l’escalade dans le conflit afghan.
Aux États-Unis, le Parti démocrate et le Parti républicain sont
d’accord pour l’envoi de milliers de troupes supplémentaires.
Barack Obama, le candidat présidentiel démocrate, a déclaré que
quelle que soit l’administration qu’il va diriger, il n’aura de
« plus grande priorité » que la défaite des talibans.
Obama a déclaré qu’il ordonnerait des
opérations militaires au Pakistan sans le consentement du
gouvernement pakistanais, si ce dernier était incapable
d’empêcher la guérilla islamiste d’utiliser la zone du FATA
comme sanctuaire et base pour attaquer les forces américaines et
celles de l’OTAN en Afghanistan. Le véritable objectif de ce
virage de la politique américaine est d’avancer les ambitions
stratégiques et économiques de Washington en Asie centrale.
La politique d’Obama a déjà été adoptée
par l’administration Bush. Ce mois-ci, les troupes au sol ont
mené la première attaque connue contre une cible taliban
alléguée à l’intérieur du Pakistan. Ce geste a provoqué un
déferlement de colère et un vote unanime du parlement
pakistanais voulant que les militaires pakistanais doivent
utiliser la force pour empêcher toute nouvelle incursion
américaine.
Le résultat de trente ans d’ingérence
américaine dans les affaires de l’Afghanistan est une boîte de
Pandore d’instabilité et de haine contre l’impérialisme
américain qui menace d’embraser toute la région.
(Article original
anglais paru le 8 septembre 2008)
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Publié le 12 septembre 2008 avec l'aimable autorisation du WSWS
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