Opinion
Le révélateur grec
Jacques
Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 15 juin 2013
Source :
RIA Novosti
"Promenades
d'un économiste solitaire" par Jacques
Sapir
La fermeture
décidée par le gouvernement grec des
chaînes de radio et de télévision
publiques (ERT) a provoqué une énorme
émotion, tant en Grèce qu’à l’étranger.
Les chaînes publiques italiennes ont
inséré le logo de la compagnie d’État
grecque et des mouvements de solidarité
se sont produits dans toute l’Europe.
D’importantes manifestations ont eu lieu
à Athènes, et l’émotion légitime
provoquée par ce geste n’est pas prête
de s’éteindre. Cet acte, qui est en
réalité en contravention avec les règles
de l’Union européennes stipulant que
chaque pays doit avoir une radio et une
télévision publiques, n’est que la
réaction de panique du gouvernement
devant l’effondrement des ressources
fiscales.
© Photo
Source : FMI, World Economic Report,
Avril 2013, Washington DC
La Grèce est en réalité sur la voie
fatale de toutes les économies où l’on
essaye d’imposer une austérité brutale.
Le gouvernement cherche à réduire un
déficit budgétaire qu’il estime
excessif. Il commence par supprimer des
dépenses et augmenter les impôts, mais,
le multiplicateur des dépenses
publiques, cette relation entre les
dépenses et la croissance, est en
réalité très supérieur à 1 (1), comme
l’a reconnu au début de cette année
l’économiste en chef du FMI (2). Il en
résulte une baisse de l’activité, qui se
traduit par une baisse des recettes
fiscales. Tout cela est bien connu des
économistes (3), même si l’Union
Européenne continue de prétendre, contre
toutes les évidences, que le
multiplicateur est inférieur à 1 et que
la contraction tant budgétaire que
fiscale n’a pas d’impact sur l’activité
économique.
Face à la reconduction du déficit, le
gouvernement s’affole et procède à un
nouvel ajustement budgétaire (réductions
des dépenses) et fiscal (augmentation
des impôts). Ce faisant, il ne fait
qu’accélérer la chute de la production
et de la richesse, et donc des recettes.
Le déficit n’a donc pas diminué en
pourcentage, même si en valeur absolue
il s’est réduit. Le gouvernement
persiste donc, et l’économie entre dans
un cycle mortifère de réduction des
dépenses, d’accroissement des impôts et
de contraction de l’activité.
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Source : FMI, World Economic Report,
Avril 2013, Washington DC
Mais, au bout de quelque temps, d’autres
mécanismes se mettent en place qui vont
aggraver la situation. D’une part, quand
des politiques d’austérité sont menées
simultanément dans plusieurs pays
voisins, leurs effets s’additionnent
(4). Mais, de plus, la fiscalité
elle-même pose problème. Les
entreprises, surchargées par une
fiscalité excessive, entrent dans ce que
l’on appelle « l’économie grise » et ne
facturent plus leurs services ni ce
qu’elles payent. Les recettes d’un impôt
comme la TVA en diminuent d’autant.
Ou bien, n’étant plus payées par
l’État, en raison de la compression des
dépenses, elles accumulent lesretards de
paiements des impôts. Quant aux ménages,
qui ont vu leurs impôts directs
augmenter de manière considérable en
Grèc e alors que les revenus baissaient,
ils sont dans l’impossibilité de
s’acquitter de leurs impôts. Au bout du
compte, l’effondrement de la fiscalité
est encore plus dramatique que celui de
la production, tandis que, dans le même
temps, le chômage explose. C’est ce que
l’on constate en Grèce.
Mais ceci n’est pas tout. Dans le
même temps, les investissements
s’effondrent dans tous les pays soumis à
ces politiques assassines. La chute est
particulièrement forte en ce qui
concerne la Grèce, bien sûr, mais aussi
l’Espagne et l’Irlande. Elle est
importante au Portugal et en Italie. Or,
sans investissement, non seulement il ne
peut pas y avoir de modernisation de
l’appareil productif, mais ce dernier en
réalité se dégrade rapidement. Ceci
touche en premier lieu l’industrie
manufacturière.
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Source : FMI, World Economic Report,
Avril 2013, Washington DC
La productivité horaire du travail va
donc baisser en valeur absolue et, ce
qui est encore plus grave, en valeur
relative par rapport aux autres pays.
Cela signifie que tous les efforts
réalisés, tous les sacrifices consentis
en particulier sur la baisse des
salaires, pour accroître la
compétitivité de ces économies vont être
réduits à peu de chose si ce n’est à
rien. Les pays concernés voient leurs
chances de sortir de la crise diminuées
à mesure même qu’ils appliquent des
politiques censées porter remède à leurs
problèmes. Ici encore, il y a une
dimension cumulative dans cette
situation. Avec plusieurs pays entraînés
dans une dépression de longue durée,
c’est toute l’Europe qui est désormais
tirée vers la bas par les politiques
imposées par l’Union Européenne et la
Banque Centrale Européenne.
En fait, si l’on compare le total des
investissements exprimés à prix
constants dans les 9 pays représentants
95% du PIB de la Zone Euro, on constate
que l’on est en 2012 à 79% du niveau de
2007. C’est dire l’ampleur et la gravité
de cette crise, dont les événements de
Grèce ne sont que la pointe avancée. De
fait, le poids exprimé en pourcentage du
PIB de la dette publique ne fait que
monter, en dépit des politiques mises en
œuvre pour le diminuer.
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Source : FMI, World Economic Report,
Avril 2013, Washington DC
Ceci est bien le plus terrible aveu
d’échec d’une politique dont les effets
contreproductifs sont désormais
évidents. Dans ces conditions, le répit
constaté actuellement de la crise de
l’Euro ne saurait durer éternellement.
Il pourrait bien ne pas aller au-delà de
cet été.
* * *
1. Hall, Robert E., 2009, “By How
Much Does GDP Rise If the Government
Buys More Output?” Brookings Papers on
Economic Activity, Fall, pp. 183–249.
Christiano, Lawrence, Martin Eichenbaum,
and Sergio Rebelo, 2011, “When Is the
Government Spending Multiplier Large?”
Journal of Political Economy, Vol. 119,
pp. 78–121
2. Blanchard O., et D. Leigh, «
Growth Forecast Errors and Fiscal
Multipliers » IMF, Working Paper,
WP/13/1, Washington DC, janvier 2013.
3. Auerbach, Alan, and Yuriy
Gorodnichenko, 2012, “Fiscal Multipliers
in Recession and
Expansion,” in Fiscal Policy after the
Financial Crisis, edited by Alberto
Alesina and
Francesco Giavazzi (Chicago: University
of Chicago Press) ; Auerbach, Alan, and
Yuriy Gorodnichenko, 2012, “Measuring
the Output Responses to Fiscal Policy,”
American Economic Journal – Economic
Policy, Vol. 4, pp. 1–27.
4. Artus, P. D’où vient le
multiplicateur fiscal anormalement élevé
de l’Espagne et de l’Italie ?
FLASH-Economie n° 686, NATIXIS, 10
octobre 2012, p. 7.
*Jacques Sapir
est un économiste français, il enseigne
à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie
de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des
problèmes de la transition en Russie, il
est aussi un expert reconnu des
problèmes financiers et commerciaux
internationaux. Il est l'auteur de
nombreux livres dont le plus récent est
La Démondialisation (Paris, Le Seuil,
2011).
©
RIA Novosti
Publié le 15 juin 2013
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