Présence musulmane.com
Que cache la
souffrance d'Haïti
Ingrid Mattson
Vendredi 15 janvier 2010
“Nous ne pouvons pas comprendre ce désastre si nous ne nous
posons pas d’abord cette question : Pourquoi Haïti est-il le
pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental? La triste
réalité c’est que le peuple haïtien a presque constamment été
victime d’oppression et d’injustice depuis l’arrivée des
colonisateurs européens il y a cinq cent ans”.
On a entendu M. Pat Robertson, un représentant chrétien
connu, dire qu’Haïti a été « maudit » à cause d’un « pacte avec
le diable ». Heureusement, ceci ne représente pas la position
dominante chez les chrétiens et mon ami, le révérend Paul
Raushenbush a rejeté cette théologie « blâmons les victimes ».
Les leaders religieux doivent prendre position contre les
voix extrémistes de leurs communautés, et je suis heureuse de
voir le révérend Raushenbush réagir aux suggestions ridicules et
offensantes de M. Robertson.
En tant que musulmans, nous croyons qu’il n’est pas toujours
possible d’expliquer ou de comprendre les raisons de la
souffrance humaine. Nous savons que des innocents souffriront
toujours soit de maladies soit à la suite de catastrophes
naturelles, et qu’à ces moments-là, il nous faut faire deux
choses : d’abord prier et se rappeler, comme nous le dit le
Coran « Nous sommes à Dieu et à Dieu nous revenons », puis nous
devons aider ceux qui souffrent. Le Prophète Mohammed, que la
paix l’accompagne, a rapporté dans un hadith sacré que pour nous
rapprocher de Dieu, nous devrions rendre visite aux malades et
nourrir les gens dans le besoin.
Le jour de la résurrection, Dieu dira « O fils d’Adam, je
suis tombé malade et tu ne m’as pas rendu visite », la personne
répondra « O Seigneur, comment pouvais-je te rendre visite, Toi
Seigneur des mondes? » Il répondra « Ne savais-tu pas qu’un tel
est tombé malade et tu ne lui a pas rendu visite? » Si tu lui
avais rendu visite tu M’aurais trouvé près de lui (le hadith
continue) ». Ce hadith nous fait prendre conscience que la voie
qui rapproche de Dieu, après la prière, c’est le service à
l’humanité.
Aujourd’hui, la collectivité du monde qui est dans le plus
grand besoin, c’est sans doute le peuple haïtien qui vient de
subir ce terrible tremblement de terre. Venir en aide aux
Haïtiens en cette période affligeante est certainement une
démonstration de sincérité religieuse. Nous devons prendre
conscience, cependant, qu’il y a beaucoup plus ici qu’une
catastrophe « naturelle »; que cette souffrance ne provient pas
uniquement des plans insondables de Dieu. Comme ce fut le cas de
la dévastation qui a suivi le passage de l’ouragan Katrina, la
négligence humaine et l’oppression ont transformé un événement
naturel sévère en une catastrophe énormément destructrice. Nous
ne pouvons pas comprendre ce désastre si nous ne nous posons pas
d’abord cette question : Pourquoi Haïti est-il le pays le plus
pauvre de l’hémisphère occidental? »
La triste réalité c’est que le peuple haïtien a presque
constamment été victime d’oppression et d’injustice depuis
l’arrivée des colonisateurs européens il y a cinq cent ans. La
population indigène d’alors a presque complètement été décimée
après l’arrivée de Christophe Colomb. Ensuite, on a réduit à
l’esclavage des centaines de milliers d’Africains qu’on a
transportés à Haïti où ils ont subi la pire brutalité que
l’humanité n’ait jamais connue. Les Haïtiens ont continué d’être
sévèrement opprimés sous le colonialisme français et chaque fois
qu’ils tentaient d’acquérir leur indépendance, ils étaient
l’objet d’une vive répression. Malgré l’indépendance finalement
réalisée au cours du dix-neuvième siècle, les Haïtiens n’étaient
toujours pas libres des interférences étrangères, ils ont aussi
connu l’occupation américaine au début de vingtième siècle. Cet
impérialisme a été suivi par le règne d’une série de dictateurs
dans la seconde moitié du siècle. Ce n’est que tout récemment
que les Haïtiens avaient réussi à rétablir la démocratie.
L’expérience vécue par les peuples partout au Moyen-Orient et
en Afrique nous apprend que des siècles de colonialisme et
d’impérialisme ont eu pour effet de détruire la culture, la
famille ainsi que toutes les structures sociales et économiques
essentielles au développement d’une société. Les gens d’Haïti
sont désespérément pauvres à cause des siècles d’injustice et
d’oppression qu’ils ont connus. C’est à cause de la pauvreté que
leurs maisons et leurs immeubles étaient complètement
inappropriés pour résister à un tremblement de terre, lequel
était prédit depuis longtemps par les scientifiques. C’est à
cause de la pauvreté que les gens d’Haïti de disposent même pas
de l’équipement et des infrastructures de base pour sortir les
personnes des décombres et leur fournir l’aide dont elles ont un
urgent besoin.
Ce vendredi, je fais appel aux imams, aux prédicateurs et aux
dirigeants de la communauté musulmane afin qu’ils livrent à leur
communauté un message de sincérité religieuse et de compassion.
Il nous faut parler du sens de notre obligation collective
d’aider les pauvres et les gens dans le besoin, et ce, pour
faire en sorte que nous dépassions les aides ponctuelles pour en
arriver à une réforme des structures sociales et économiques
actuelles qui oppriment les gens. En fin de compte, cet
événement est une leçon de solidarité humaine. Notre communauté
connaît très bien les dégâts causés aux sociétés musulmanes par
le colonialisme et par l’impérialisme, mais nous avons tendance
à ignorer que d’autres nations dans le monde ont aussi souffert
de ces maux. Assurément, Dieu élèvera la communauté musulmane et
allègera les souffrances des nôtres si, au nom de l’humanité,
nous nous mettons de tout cœur au service de nos frères et
sœurs, ces fils et filles d’Adam, qui eux aussi crient au
secours.
Ingrid Mattson est professeur d’études
islamiques et directrice de l’aumônerie islamique au Macdonald
Center for Islamic Studies and Christian-Muslim Relations au
Séminaire de Hartford, au Connecticut. Mme Mattson est née au
Canada, elle a étudié la philosophie à l’Université de Waterloo,
Ontario où elle a obtenu son diplôme en 1987.
De 1987 à 1988, elle a vécu au Pakistan où elle a travaillé
auprès des réfugiées afghanes. En 1995, elle a été conseillère
auprès de la délégation afghane à la Commission des Nations
Unies sur le statut de la femme.
Pendant ses études supérieures à Chicago, Ingrid Mattson a
contribué à la communauté musulmane locale en siégeant au
conseil de direction de Universal School à Bridgeview et en tant
que membre du Comité interreligieux du Conseil des organisations
islamiques du Grand Chicago.
Elle a obtenu son doctorat en études islamiques de
l’Université de Chicago en 1999. Son sujet de recherche touchait
la loi islamique et la société.
Traduit de l’anglais par Suzanne Touchette
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Publié le 17 janvier 2010 avec l'aimable
autorisation de Presence Musulmane
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