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Opinion
Jetez une chaussure
à la trahison d'Obama
Ilan Pappe
Mercredi 25 mai 2011
Dimanche à 16h17 GMT, j'ai lancé ma chaussure sur l'écran de
mon poste de télévision, pour viser le président états-unien
Barack Obama, précisément au moment il y a commencé à expliquer
que la référence aux frontières de 1967 faite lors de son
discours de jeudi dernier au Département d'Etat concordait avec
l'interprétation israélienne de ces frontières. Non pas que ce
discours [de jeudi] m'ait enthousiasmé, mais il était au moins
aussi insipide que ses discours précédents sur le sujet. Mais à
16h17, il a dit qu'il n'y aurait "aucun retour aux frontières du
4 juin 1967" et les milliers de participants à la convention de
l'AIPAC ont applaudi frénétiquement. L'annexion des blocs de
colonies construits illégalement en Cisjordanie occupée et la
création d'un petit bantoustan palestinien dans les interstices
est l'essence de la vision d'Obama pour la paix.
C'était une chaussure souple et tout ce qu'elle a fait, c'est de
rebondir sur l'écran. Et parce qu'elle était une arme aussi
inoffensive, elle était aussi dirigée à mes amis palestiniens
qui, depuis vendredi, ont expliqué publiquement tout ce que le
discours d'Obama devant Département d'Etat avait d'inhabituel et
d'important.
C'est dur de savoir qu'à la Maison Blanche se trouve quelqu'un
qui trahit non seulement les Palestiniens, mais tous les
opprimés dans le monde et aux Etats-Unis qu'il avait promis de
soutenir et de représenter.
Mais j'ai changé de chaîne et que me suis retrouvé à la Puerta
del Sol, à Madrid, où des milliers de jeunes gens sont en train
de reformuler le message puissant qui est parti de la Place
Tahrir, au Caire, et qu'on a également entendu
aux frontières de la Palestine le jour de
la Nakba, et à Trafalgar Square, à Londres, pendant de récentes
manifestations d'étudiants.
C'est un appel de défiance à l'égard du discours politique et de
ses effets toxiques. Oui, ils disent à Madrid, comme ils l'ont
fait aux frontières de Palestine, que nos vies
sont régies et affectées par des hommes politiques occidentaux
suffisants, cyniques et indifférents, qui détiennent un pouvoir
immense pour perpétuer un monde injuste pour les années à venir,
mais nous en avons assez et nous résisterons.
Où que l'on soit touché par cette élite occidentale politique et
économique, on est confronté à deux options. Soit accepter avec
fatalisme que la seule chose à faire, c'est de se retirer dans
nos petits jardins d'Eden personnels et tenter autant que faire
se peut de les ignorer et de continuer sans eux, dans les
limites du possible. Ou bien, si on n'a pas ce penchant ou ce
luxe, on peut plutôt s'associer à tous ceux qui ne veulent pas
céder et disent à leurs élites que leur monde et leur programme
ne sont pas les leurs.
Dans certaines parties du monde, les autorités tirent sur les
manifestations massives qui expriment un tel message ; dans
d'autres, elles les ignorent. Il est trop tôt pour juger de
l'échec ou de la réussite de ces tentatives, mais il est clair
que jusqu'à présent, les protestations s'étendent. Elles défient
les diktats hégémoniques politiques des gouvernements et elles
montrent une impatience et un ressentiment croissants vis-à-vis
des manipulations du monde des affaires et des stratagèmes
macro-économiques.
Les populations de Cisjordanie occupée et de la
Bande de Gaza ont été victimes de cette
politique sous couvert du soi-disant processus de paix.
Cependant, récemment, en Palestine, les
dirigeants locaux ont enfin répondu à la demande populaire pour
l'unité et la confiance en soi après l'avoir ignorée pendant des
années.
En conséquence, le soutien aux efforts de la population à entrer
dans une nouvelle phase de résistance populaire contre
l'occupation israélienne est en train de galvaniser le mouvement
mondial de solidarité avec la Palestine avec
une énergie semblable à celle qui a généré le mouvement de
boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
La reprise de l'initiative par les gens ordinaires dans le monde
arabe et en Europe devrait nous aider à éviter de sombrer trop
profondément dans la paralysie et l'inaction en face d'un tel
cynisme. Il y a encore tant à faire, au mépris total du discours
hégémonique et de l'inaction des élites politiques occidentales
sur la Palestine. Beaucoup a déjà été fait dans
la résistance continue contre la destruction israélienne de la
terre et de son peuple.
On peut continuer à boycotter les produits israéliens et les
représentants culturels en France, même s'il y a une nouvelle
loi contre ce boycott. Si les Palestiniens en Israël
défient les lois israéliennes contre la commémoration de la
Nakba, on peut aussi ignorer ses lois et réglementations
européennes insidieuses. On peut lutter contre tout lien
institutionnel universitaire entre les universités britanniques
et Israël, malgré l'embarras du ministère des
Affaires étrangères et la position universitaire officielle. Et
enfin, on peut continuer à diffuser dans les médias alternatifs
l'image véritable, malgré la façon honteuse dont les médias
"libéraux" américains et européens dépeignent la réalité du
terrain.
Le monde est un endroit bizarre, après les deux discours
d'Obama. L'écart entre Obama, Berlusconi, Netanyahu, Cameron,
Merket et consorts a disparu. Pendant un temps, il y a eu un
danger qu'on compte quelques dirigeants palestiniens au sein de
ce groupe indigne de dirigeants occidentaux. Mais heureusement,
ce danger a diminué.
Tout comme en Israël, l'option d'un changement
de l'intérieur des systèmes politiques occidentaux est douteux
et y investir trop d'énergie peut être inutile. Mais tout ce qui
n'en fait pas partie - églises, mosquées, synagogues
progressistes, ashrams ouverts sur le monde, centres
communautaires, réseaux sociaux et le monde des ONG - indique
qu'une alternative existe.
Une lutte sans merci contre le nettoyage ethnique de la
Palestine continuera en dehors des couloirs occidentaux
du pouvoir. Ce que nous avons appris de l'Egypte et de la
Tunisie, même si nous ne sommes pas sûrs de l'issue de la
partie, c'est que la lutte hors des couloirs du pouvoir n'attend
pas de dirigeants, d'organisations bien huilées et de gens qui
parlent au nom des autres.
Si vous êtes partie prenante de cette lutte, engagez-vous et
faites ce que vous pouvez, sans vous soucier de la malheureuse
Obamafication de notre monde.
Ilan Pappe est
professeur d'Histoire et directeur du Centre européen d'Etudes
palestiniennes à l'université d'Exeter (GB). Son livre le plus
récent est
Out of the Frame: The Struggle for Academic Freedom in Israel
(Pluto Press, 2010).
Source :
Electronic Initifada
Traduction : MR pour ISM
Le
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jour
Publié le 26 mai 2011 avec l'aimable autorisation d'ISM.
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