Analyse
Ahmed,
réfugié palestinien de Syrie : « j’ai
l’impression que nous sommes de doubles
réfugiés »
IRIN
En 2008,
des réfugiés palestiniens fuyant les
violences en Irak s’étaient vus refuser
l’entrée en Syrie
et s’étaient retrouvés coincés entre les
frontières irakienne et syrienne dans le
camp d’al-Tanf
(photo d’archives) - Photo: Phil
Sands/IRIN
MASNA’A (FRONTIÈRE LIBANO-SYRIENNE), 29
août 2013 (IRIN)
Les réfugiés palestiniens fuyant les
violences en Syrie se voient refuser
l’entrée au Liban depuis trois semaines.
Depuis le 6 août, selon Human Rights
Watch, le gouvernement libanais refuse
de laisser entrer sur son territoire les
Palestiniens qui avaient cherché refuge
en Syrie lorsqu’ils s’étaient fait
chasser de chez eux en 1948 et en 1967
et qui fuient une fois de plus avec
leurs descendants pour échapper cette
fois au conflit qui fait rage en Syrie.
Une source de la Sûreté générale
libanaise a confirmé à IRIN que le
gouvernement ne laissait plus entrer les
Palestiniens de Syrie au Liban. Makram
Malaeb, directeur de programme du
ministère des Affaires sociales pour
l’intervention en Syrie, a toutefois
précisé que des exceptions pourraient
être faites pour des « cas humanitaires
».
Selon l’Agence des Nations Unies pour
les réfugiés palestiniens (UNWRA), plus
de 92 000 Palestiniens de Syrie ont déjà
cherché refuge au Liban. Ils sont venus
grossir les rangs des 455 000 réfugiés
palestiniens qui résidaient déjà au
Liban avec la crise syrienne,
principalement dans des bidonvilles
surpeuplés qui ont souvent été des
foyers de tensions.
Ahmed, 28 ans, vivait dans le camp de
réfugiés palestiniens de Yarmouk, en
Syrie, avec sa femme et ses trois
enfants lorsque le conflit syrien a
éclaté. Il a raconté son histoire à
IRIN.
« J’ai été déplacé de chez moi il y a
six mois, après le bombardement de
Yarmouk. J’ai dû changer plusieurs fois
d’endroit à cause des combats. Il y a un
mois, je suis allé voir l’état de ma
maison et j’ai découvert qu’elle avait
été détruite par le bombardement et que
mon magasin aussi. »
« Le 3 août, j’ai décidé d’envoyer ma
famille [au Liban], car mes enfants
commençaient à souffrir du traumatisme
de la guerre. Ils faisaient tout le
temps des cauchemars et pleuraient
chaque fois qu’ils entendaient une
explosion. Je les ai envoyés retrouver
leurs cousins dans le camp de Baalbek,
pendant que j’attendais le
renouvellement de mes documents de
voyage. »
« J’ai cherché un emploi, mais je n’en
ai pas trouvé. Le 13 août, j’ai décidé
de rejoindre ma famille, car j’avais
tout perdu en Syrie. Je suis allé à la
frontière. »
« Le trajet entre le Liban et la Syrie
est dangereux, non pas à cause des
bombardements, mais parce qu’on est tout
le temps confronté aux Shabiha [milice
chiite pro-Assad]. Je voyageais en
minibus avec 16 autres personnes. Ils
auraient pu nous arrêter à tout moment
si on ne leur avait pas versé des
pots-de-vin. »
« Nous avons dû passer plusieurs postes
de contrôle et lorsque nous avons
atteint la douane syrienne, j’ai attendu
pendant de longues heures et j’ai payé
des pots-de-vin. Ils ont fini par me
laisser passer après m’avoir interrogé
sur les personnes que je connaissais et
le but de ma visite au Liban. »
« Lorsque je suis arrivé devant la
douane libanaise, j’ai été surpris par
le nombre de Palestiniens qui faisaient
la queue pour passer de l’autre côté.
Nous avons été bousculés et frappés par
les douaniers. Nous avons été traités
comme des animaux par la Sûreté
générale. »
« Le jour où je suis arrivé [au
poste-frontière libanais], j’ai dû faire
la queue pendant plus de 11 heures, puis
on m’a renvoyé [au poste-frontière
syrien]. On nous a dit de rester [dans
le no man’s land] jusqu’à ce qu’ils nous
laissent entrer, mais il ne s’est rien
passé. »
« Pendant mes deux jours à la frontière,
j’ai tenté de soudoyer les services de
sécurité libanais pour qu’ils me
laissent entrer. Ils ont failli
m’arrêter pour leur avoir offert des
pots-de-vin, mais je l’ai fait parce que
je voulais trouver une solution pour ma
famille, dispersée entre le Liban et la
Syrie. »
« Après avoir attendu pendant deux
jours, j’ai perdu tout espoir de pouvoir
entrer au Liban et j’ai décidé de
retourner en Syrie. Je suis rentré à
Damas, où je vis désormais dans un petit
kiosque à l’entrée principale d’une
école. J’attends que ma famille revienne
— pour vivre et mourir dignement plutôt
que d’être humilié par la douane
libanaise. Je les appelle tous les jours
pour leur demander de rentrer, mais ils
refusent. S’il m’est arrivé tout ça rien
que pour entrer au Liban, comment est-ce
que je pourrais vivre et élever mes
enfants dans un tel pays ? »
« D’abord nous étions des réfugiés en
Syrie et maintenant nous cherchons
refuge au Liban [...] Comme beaucoup
d’autres Palestiniens, j’ai l’impression
que nous sommes de doubles réfugiés. »
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Publié le 30 août 2013 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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