Nouvelles et analyses humanitaires
Le sud du Liban,
une région à ne pas négliger
IRIN
Un berger
s’occupe de ses moutons non loin du
village de Wazzani.
Le développement est au point mort dans
le sud du Liban
après des décennies d’occupation et de
conflit
Photo: Heba Aly/IRIN
WAZZANI, 19 février
2013 (IRIN) Alors
que la guerre et l’occupation se
poursuivaient, le temps s’est arrêté
dans certaines zones du sud du Liban.
Comme d’autres parties du Sud, le petit
village de Wazzani, situé à la frontière
israélo-libanaise, souffre depuis
plusieurs décennies d’un manque de
développement.
Le sud du Liban, qui, historiquement,
entretient des liens plus étroits avec
Jérusalem qu’avec Beyrouth, a souffert
de l’isolement après la création
d’Israël en 1948. La région a ensuite
été marquée par l’arrivée de milices
palestiniennes, l’occupation israélienne
(qui a duré 22 ans), la domination du
mouvement politique et activiste du
Hezbollah, et la guerre de 2006 entre
Israël et le Hezbollah.
« Cette région est morte en 1948 », a
dit un Casque bleu présent sur place. «
Elle ne s’en est jamais remise ».
Conséquence : le gouvernement est peu
présent dans la région – celle-ci compte
une école publique, qui a fermé il y a
deux ans, et une clinique de soins de
santé ouverte deux fois par semaine, qui
est parfois confrontée à des pénuries
d’analgésiques.
Peu de progrès ont été réalisés depuis
la fin de la guerre. Les bergers font
paître leurs moutons comme ils le
faisaient autrefois – ils manquent de
fourrage. Les maisons abandonnées
abritent désormais des animaux – les
trois quarts des habitants sont partis
pendant l’occupation israélienne, a dit
le maire de Wazzani, et ils ne sont
jamais revenus.
Le Sud n’est pas la seule région
négligée. Toutes les zones périphériques
sont sous-développées, mais le nord et
l’est du pays – qui accueillent
aujourd’hui des dizaines de milliers de
réfugiés syriens – sont dans une
situation plus difficile encore.
L’histoire du Sud, qui est marquée par
la guerre et l’instabilité, est unique,
soutient le bureau du Coordinateur
résident (BCR) des Nations Unies. En
témoigne la présence des 12 000 hommes
de la Force intérimaire des Nations
Unies au Liban (FINUL) mandatée pour
contrôler la cessation des hostilités
entre le Liban et Israël.
« Cette partie du pays est très fragile
», selon Robert Watkins, Coordinateur
résident et Représentant du Programme
des Nations Unies pour le développement
(PNUD). « Nous la négligeons à nos
propres risques ».
Le Sud a connu un calme sans précédent
au cours de ces dernières années – les
habitants hésitent encore à parler de
stabilité – et les dirigeants des
Nations Unies y voient l’occasion de
s’engager de manière durable dans la
région, après des décennies d’abandon,
en essayant de renforcer les services
publics et le développement économique.
Mais les efforts des bailleurs de fonds,
des travailleurs humanitaires et du
gouvernement se sont concentrés sur la
crise des réfugiés syriens qui secoue le
nord et l’est du pays, et les doléances
exprimées par la population de cette
région isolée et fragile n’ont – pour la
plupart – pas été entendues.
L’essor du
secteur de la construction
Suite à la guerre de 2006, des centaines
de millions de dollars d’aide ont été
versées aux villes détruites dans le sud
du Liban, ce qui a entraîné une hausse
des activités du secteur de la
construction et des créations d’emploi,
et a redonné de l’espoir à la
population.
Une grande partie de l’argent a
cependant été gaspillée – en raison de
la corruption et d’un manque de vision à
long terme, qui ont favorisé
l’apparition de nombreuses « usines à
gaz » et de « projets parachute », selon
un Casque bleu.
« L’aide n’a pas permis d’établir des
bases suffisamment solides … elle nous a
seulement donné un avant-goût », a dit à
IRIN Ali Dia, un activiste de la société
civile originaire du district frontalier
de Marja’ayoun, au sud-est du pays. «
C’est comme s’ils avaient descendu un
seau dans le puits et qu’ils avaient
coupé la corde avant de le remonter ».
Ensuite, en 2009 -2010, les effets de la
crise économique mondiale se sont fait
sentir ; dans le Sud, le rétablissement
post-conflit était plus ou moins terminé
; des crises sont apparues dans d’autres
régions et l’argent a cessé d’arriver.
Les agences des Nations Unies ont fait
leurs cartons et sont parties vers
d’autres régions du pays.
« Au cours des quatre dernières années,
la présence des agences des Nations
Unies a été minimale dans le Sud », a
dit Svjetlana Jovic de l’Unité des
affaires civiles de la FINUL, qui
coordonne des projets à « impact rapide
» dans le cadre de ses activités de
maintien de la paix. « Il y avait cette
manière de penser que "La FINUL est ici.
La FINUL peut s’en occuper … Dans le
cadre de notre mission de maintien de la
paix, nous participons à de petits
projets, mais nous ne pouvons pas
rétablir l’autorité gouvernementale ou
offrir des services … Nous ressentons ce
manque maintenant. Nous n’y arriverons
pas tout seul ».
Présence
gouvernementale
Plus de dix ans après le retrait
d’Israël, le gouvernement n’a toujours
pas réussi à rétablir son autorité dans
la région.
Des
enfants jouent dans un bâtiment en
construction à quelques pas de fils de
fer barbelé
retrouvés après le retrait d’Israël du
sud du Liban en 2000
Photo: Heba Aly/IRIN
À
Marja’ayoun, situé à l’extrémité d’une
bande de montagne utilisée comme zone de
sécurité par Israël de 1978 à 2000, le
Centre de développement social du
ministère des Affaires sociales est
sensé venir en aide aux plus vulnérables
– les pauvres, les personnes âgées, les
personnes ayant des besoins particuliers
– dispenser des formations en
informatique, proposer des camps de
vacances aux enfants et offrir des
services de santé.
Mais la directrice du centre, qui est
jeune et inexpérimentée, a du mal à s’en
sortir avec ses sept employés et un
budget qui suffit à peine à payer les
salaires.
« Le [soutien] du ministère est très,
très faible », a dit à IRIN Maya Hasban.
« En cinq ans, le ministère ne nous a
pas proposés une seule activité. Il n’en
a pas les moyens. Il n’est même pas
capable de nous verser nos salaires à
temps ».
« Sans développement économique, la
sécurité ne s’améliorera pas dans la
région…On ne peut pas avoir la paix
et la stabilité sans emplois, sans
opportunités économiques, sans
éducation, sans services de base »
La plupart des projets qu’elle dirige
sont financés grâce aux fonds versés par
les agences d’aide humanitaire et ne
sont donc pas pérennes.
Le ministère des Affaires sociales
indique que des services ont été mises
en place : les deux gouvernorats du sud
du Liban, qui couvrent une superficie
d’environ 1000 kilomètres carrés,
disposent de 46 centres de soins de
santé et de huit hôpitaux publics, par
exemple.
« Je pense que c’est largement suffisant
», a dit Adnan Nassreddine, qui dirige
les Centres de développement social au
sein du ministère basé dans la capitale,
Beyrouth. « L’État ne peut pas ouvrir un
centre de soins de santé dans chaque
village ».
Mme Hasban n’est cependant pas la seule
à se plaindre. Anis Slika, le maire du
petit village druze d’al-Fardis, dit en
plaisantant qu’il occupe les postes de
secrétaire et de policier, car il n’a
pas les moyens d’embaucher deux
personnes.
Finalement, la plupart des habitants du
Sud profitent des services proposés par
les partis politiques, comme le
Hezbollah, mais ces services ont un
coût.
« Un membre du Hezbollah peut frapper à
votre porte et vous dire, "Nous vous
avons soigné dans notre hôpital
récemment. J’espère que vous vous en
souviendrez le jour des élections », a
expliqué un habitant.
La crainte est de voir le Hezbollah
renforcer sa domination si le
gouvernement tarde à revenir dans le
Sud. Plus les jeunes ont des difficultés
à trouver un emploi, plus ils risquent
de se radicaliser.
Une
étude commandée l’année dernière par
les Nations Unies afin d’évaluer la
sécurité humanitaire dans le Sud a fait
état de nombreuses migrations de sortie,
de fréquentes manifestations contre le
manque de services de base et des
risques de toxicomanie, de
radicalisation et d’activités
criminelles en raison du chômage des
jeunes.
Un frein
aux investissements
« Le Sud a été ignoré pendant de
nombreuses années », a dit Andrea
Tenenti, porte-parole de la FINUL. « Les
infrastructures ont été reconstruites.
Maintenant il faut reconstruire
l’économie ».
En dépit de l’aide octroyée et de
l’essor du secteur de la construction
après la guerre, peu d’investissements à
long terme ont été réalisés dans le
secteur de l’industrie. Comme la plupart
des habitants de la région, les
investisseurs craignent qu’une nouvelle
guerre n’éclate.
Le mur
érigé par Israël est déjà couvert de
graffitis, comme « À bas le mur ! »
Photo: Heba Aly/IRIN
La présence d’Israël se fait toujours
plus sentir. En 2012, Israël a construit
un mur de deux mètres de haut et de 1,3
kilomètre de long dans le Sud afin de
séparer le village libanais de Kafr Kila
et la colonie israélienne située à la
frontière, et a installé un système de
vidéo-surveillance pour contrôler les
villages libanais.
Il est fréquent que des bergers soient
arrêtés, parce que leurs moutons ont
franchi, par accident, la « Ligne bleue
» souvent non matérialisée qui constitue
la ligne de retrait d’Israël, en
l’absence d’une frontière officielle
acceptée par Israël et le Liban.
En 2010, une nouvelle guerre a failli
éclater entre les deux pays à cause d’un
arbre (après un affrontement meurtrier à
la frontière, la FINUL a réussi à
rétablir le calme). Un nouvel échange de
tirs a eu lieu à la frontière en juillet
dernier. Les deux pays ont négocié la
cessation des hostilités, mais aucun
cessez-le-feu permanent n’a été décrété
– ou, pour reprendre les mots d’un
Casque bleu : « L’absence de guerre ne
veut pas dire qu’il y a la paix ».
Si les Forces armées libanaises
renforcent leurs capacités et
rétablissent leur crédibilité dans la
région – sous la tutelle de la FINUL –
elles n’ont pas encore gagné les cœurs
et les esprits des habitants de la
région.
« Notre principal protecteur est le
Hezbollah », a dit M. Dia, l’activiste
de la société civile.
Une
opportunité de changement
C’est dans ce contexte que la FINUL et
le BCR demandent aux agences de
développement des Nations Unies de
réévaluer leur engagement dans le Sud et
de participer au renforcement de la
présence gouvernementale dans la région.
« Oui, il y a d’autres urgences », a dit
Mme. Jovic, « mais nous ne devons pas
oublier le Sud ».
Plus le Sud est stable et se développe
économiquement, moins il a de risques de
basculer dans un nouveau conflit, selon
les Nations Unies.
« Sans développement économique, la
sécurité ne s’améliorera pas dans la
région », a dit Luca Renda, responsable
du PNUD au Liban. « On ne peut pas avoir
la paix et la stabilité sans emplois,
sans opportunités économiques, sans
éducation, sans services de base ».
À la fin du mois de janvier, tous les
responsables des agences des Nations
Unies se sont retrouvés pour la première
fois dans les bureaux de la FINUL à
Naqoura afin d’évoquer les besoins dans
la région, ce qui laisse présager un
renforcement de la coopération entre la
FINUL et les agences des Nations Unies.
Ils se sont accordés sur la nécessité de
se concentrer sur trois enjeux majeurs
dans le Sud : la durabilité de
l’environnement, le chômage des jeunes
et le renforcement des autorités
locales.
Mais jusqu’à présent, l’engagement des
bailleurs de fonds, du gouvernement et
des agences des Nations Unies qui ont
des mandats humanitaires reste limité.
« À ce stade, le Sud n’est pas une
priorité pour les bailleurs de fonds,
car il faut porter une attention
particulière à l’urgence et à l’impact
de la crise syrienne sur [les régions
pauvres du Nord et la vallée de la
Bekaa] afin d’éviter tout retour de la
violence dans le pays », a dit Soha Bsat
Boustani, porte-parole du Fonds des
Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) au
Liban.
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Publié le 19 février 2013 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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