Nouvelles et analyses humanitaires
Liban-Syrie: La
poudrière des réfugiés
IRIN
Des
réfugiés syriens se sont installés sous
une tente de fortune dans un camp établi
pour les travailleurs saisonniers
syriens à El Kaa, Liban
Photo:
Courtesy
of Freedom House
· Le Liban accueille au moins 41 494
réfugiés syriens
· Ces chiffres sont fortement contestés
· Des craintes sont exprimées quant à
une déstabilisation de la situation
politique
· Les préoccupations politiques
entravent les efforts d’aide
BEYROUTH, 4 septembre 2012 (IRIN)
Les
progrès réalisés en matière
d’accroissement et d’amélioration de
l’aide pour répondre à l’afflux régulier
de réfugiés syriens au Liban sont
entravés par l’indécision qui règne au
sein du gouvernement : certains
craignent en effet de voir les violences
qui secouent la Syrie déstabiliser la
situation politique fragile du pays.
Les affrontements religieux qui se sont
produits au cours de ces dernières
semaines dans la ville de Tripoli,
située dans le nord du pays, ont fait 15
victimes et 120 blessés. Les
représentants politiques de tous bords
ont appelé au calme, mais bon nombre de
personnes pensent que les réfugiés
constituent une menace pour la sécurité.
Le général Ibrahim Bachir, secrétaire
général du Haut comité de secours (HCS)
libanais, une agence d’aide humanitaire
rattachée au bureau du Premier ministre
(initialement établie pour coordonner la
reconstruction d’après-guerre en 2006),
a indiqué que sa priorité était «
d’assurer la sécurité de ce pays ».
Les tensions sont fortes au Liban :
Michel Samaha, un ancien ministre de
l’Information qui entretient des
relations étroites avec Damas, a été
arrêté le 9 août pour avoir planifié des
attentats à la bombe dans le Nord,
visant notamment
le patriarche de l’Église maronite.
Cependant, les principaux partis
politiques semblent avoir un intérêt à
maintenir la stabilité du pays. Certains
experts font même preuve d’un optimisme
prudent. Rami Khoury, qui travaille à
l’université américaine de Beyrouth, a
dit à IRIN : « Nous avons déjà subi les
principales retombées du conflit syrien,
je ne pense pas qu’il y en aura
davantage. Nous avons été témoins des
effets du conflit, comme les fusillades
et les enlèvements, et la situation va
perdurer, mais je ne pense pas qu’elle
va se dégrader ».
La Syrie, qui a retiré ses troupes du
Liban en 2005, a longtemps considéré le
Liban comme un État-client ; bon nombre
de factions politiques libanaises sont
cataloguées pro ou anti-gouvernement
syrien. L’Alliance du 8 mars réunit des
forces pro-syriennes, comme le Hezbollah
et le parti Amal, des mouvements
chiites, et le Courant patriotique
libre, le mouvement chrétien de Michel
Aoun. L’Alliance du 14 mars rassemble
quant à elle le parti du Futur, un
mouvement sunnite, des chrétiens
maronites et des indépendants, et
constitue le front anti-syrien.
Le gouvernement doit trouver le juste
équilibre lorsqu’il vient en aide aux
réfugiés. « Nous préférons régler la
question en douceur, tranquillement, et
éviter tout problème qui pourrait
entraîner [une] nouvelle guerre civile
au Liban », a dit M. Bachir.
Il serait préjudiciable de distribuer
des cartes d’immatriculation officielles
aux réfugiés ou d’établir des camps, a
dit M. Bachir à IRIN.
Les travailleurs humanitaires qui, sous
couvert d’anonymat, se sont entretenus
avec les journalistes d’IRIN ont indiqué
que les régions du nord du pays, où les
réfugiés syriens se sont installés, sont
bombardées par l’armée syrienne (en
représailles aux tirs des rebelles le
soir). Pour pénétrer dans ces zones, les
agences d’aide humanitaire ont besoin
d’une autorisation délivrée par les
Forces armées libanaises : cela laisse
penser que le gouvernement a pour
priorité d’empêcher toute invasion de la
région par le Liban et toute fourniture
d’armes aux réfugiés, et non pas
d’assurer leur sécurité.
Le Liban n’est pas partie à la
Convention de 1951 relative au statut
des réfugiés : il n’a donc aucune
obligation de reconnaitre les réfugiés,
qualifiés de simples « visiteurs » par
le gouvernement. Le Haut Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) confirme toutefois que le
gouvernement offre une aide d’urgence et
que la frontière reste ouverte aux
réfugiés syriens.
Syndrome palestinien
Le Liban, qui n’est pas étranger à la
question des réfugiés, accueille déjà
455 000 Palestiniens installés dans 12
camps. L’arrivée de groupes armés
palestiniens dans les années 1970 a
changé l’équilibre des pouvoirs entre
les groupes religieux et a provoqué une
course aux armes entre les différentes
milices ; celle-ci s’est soldée par une
guerre civile sanglante (de 1975 à 1990)
qui a fait au moins 150 000 victimes.
Aujourd’hui encore, les Palestiniens
réfugiés au Liban sont privés de
plusieurs droits fondamentaux, et les
camps de réfugiés sont devenus des
bidonvilles. Les réfugiés dépendent des
services de base fournis par l’Agence
des Nations Unies pour les réfugiés
palestiniens (UNRWA). Les affrontements
entre les groupes extrémistes installés
dans les camps et les forces libanaises
sont fréquents.
« Le gouvernement a peur que la
situation se répète avec les Syriens et
qu’elle perdure, que les réfugiés ne
repartent pas », a dit à IRIN Simon
Faddoul, président de Caritas Liban.
Bon nombre de personnes craignent que
les camps de réfugiés palestiniens ne
servent de bases arrières aux rebelles
syriens.
L’établissement de camps de réfugiés
officiels pourrait mettre le
gouvernement libanais en porte-à-faux
avec le régime syrien de Bachar el-Assad
et le gouvernement du 8 mars n’est pas
enclin à prendre ce genre de risque,
pense M. Faddoul. Les interférences
politiques entravent les efforts d’aide
: avant juillet, le HCS n’a pas été
autorisé à intervenir dans la vallée de
la Bekaa où se trouvent bon nombre de
réfugiés syriens.
Entretemps, les réfugiés ont commencé à
construire des camps de fortune dans
certaines zones, mais ces camps sont
dépourvus d’installations sanitaires.
Les travailleurs humanitaires d’une
organisation non gouvernementale (ONG)
internationale – ils ont préféré garder
l’anonymat - ont dit à IRIN qu’une
discussion portant sur une alternative
aux camps – l’établissement de
structures temporaires - se poursuit et
que des décisions doivent prises alors
que l’hiver approche.
Wadi Khaled et la vallée de la Bekaa, où
la plupart des réfugiés se sont
installés, comptent parmi les régions
les plus froides du Liban.
Cinquante-trois pour cent des réfugiés
du Nord sont accueillis chez des parents
libanais ou d’autres habitants, selon
une étude récente du Programme des
Nations pour le développement (PNUD).
Mais dans la région de la Bekaa, à
majorité chrétienne et chiite, les
réfugiés (pour la plupart sunnites)
comptent peu de proches. Certains
d’entre eux ont les moyens de louer un
appartement et des chambres d’hôtel,
d’autres vivent dans des mosquées en
ruines ou des écoles.
M. Faddoul de Caritas a dit à IRIN que
le problème du logement pourrait
s’aggraver si les réfugiés continuent à
affluer. « Le nombre de réfugiés
augmente très rapidement et il y a peu
de place ».
Bataille de chiffres
Le bureau du HCR au Liban a enregistré
41 949 réfugiés syriens. L’agence a
cependant indiqué à IRIN que ces
chiffres n’étaient pas exacts : bon
nombre de réfugiés sont venus dans le
pays pour échapper aux affrontements les
plus violents et sont repartis, et une
grande partie des réfugiés enregistrés
se sont installés dans le pays il y a
plusieurs années en tant que
travailleurs saisonniers. M. Faddoul
conteste également les chiffres
officiels, indiquant que beaucoup ne se
sont peut-être pas enregistrés de
crainte que leur nom ne soit transmis
aux autorités syriennes.
« Tout le monde sait que nous
accueillons bien plus de 150 000
réfugiés. Le Liban comptait déjà 300 000
travailleurs saisonniers syriens avant
la guerre. Combien d’entre eux viennent
de villes comme Homs, Alep et Damas, et
combien ont déjà contacté leurs familles
pour qu’elles viennent au Liban ? Des
milliers d’autres réfugiés louent des
chambres d’hôtel et des appartements.
Ils ne sont pas enregistrés, car ils ont
suffisamment d’argent pour vivre sans
aide. Combien de milliers de personnes
sont arrivées et vivent chez des proches
? Que cela nous plaise ou non, ces
personnes doivent être comptées avec les
réfugiés », a dit M. Faddoul.
Le HCS essaye de trouver de nouvelles
sources de financement pour organiser
ses opérations de secours d’urgence, car
le gouvernement dispose de peu de fonds
et les principaux bailleurs de fonds
internationaux ne versent pas leur aide
par le biais du HCS. Des discussions ont
lieu pour savoir si, et comment, le
ministre des Affaires sociales peut
prendre en charge une partie des efforts
d’urgence, mais les divisions au sein du
gouvernement ont empêché une prise de
décision claire jusqu’à présent, ont dit
à IRIN les responsables de l’aide
internationale, sous couvert d’anonymat.
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© IRIN 2012. Tous droits réservés.
Publié le 5 septembre 2012 avec
l'aimable autorisation de l'IRIN
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