|
IRIN
TCHAD:
Le cadre juridique, un obstacle dans les affaires de 'trafic
d’enfants'
Femmes soudanaises et leurs enfants dans un camp
de réfugiés de l'est du Tchad.
Photo:
Dieter Telemans DAKAR, 2 novembre
2007 (IRIN) Selon plusieurs responsables tchadiens
et représentants des Nations Unies, l’absence de loi en matière
de traite d’enfants au Tchad est une entrave à la poursuite en
justice de personnes accusées de ces crimes, un vide juridique qui
vient d’être rappelé par l’arrestation au Tchad des membres
d’une association française qui tentaient de faire sortir 103
enfants du pays pour les confier à des familles d’accueil en
France.
L’association, du nom de L’Arche de Zoé, a déclaré
qu’elle tentait, ce faisant, de sauver des orphelins soudanais
d’une « mort certaine » dans la région du Darfour, à la
frontière entre le Tchad et le Soudan.
Six membres du groupe – arrêtés le 25 octobre – ont été
inculpés d’enlèvement de mineurs en vue de compromettre leur
état civil (en les confiant à de nouveaux parents), un crime
passible d’une peine de cinq à 20 ans de travaux forcés.
« Le chapitre [du code pénal] consacré aux enlèvements ne prévoit
pas plus sévère sanction que celle que nous avons choisie », a
expliqué Ahmad Daoud Chari, procureur de la République à Abéché,
la ville de l’est tchadien où les membres de l’association
ont été appréhendés.
« Notre code pénal est limité. Il ne couvre pas [beaucoup]
d’infractions. Il y a un vide à combler », a expliqué M.
Chari à IRIN.
Une loi imparfaite
Pour Papa Babacar Ndiaye, responsable des programmes nationaux de
l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)
en Afrique de l’Ouest et centrale, au Tchad, ce vide législatif
pose plusieurs difficultés.
« L’inconvénient, c’est que vous pouvez commettre un crime
très grave – la traite d’enfants fait partie des crimes les
plus graves – et être condamné pour un crime moins grave »,
a-t-il expliqué à IRIN.
Selon lui, dans le cas où des accusés sont reconnus coupables de
ce qui leur est reproché, non seulement une inculpation pour enlèvement
leur vaut des peines moins lourdes, mais une condamnation est également
plus difficile à obtenir.
« Il peut être plus facile pour des enquêteurs de prouver un
trafic humain plutôt qu’un enlèvement », a-t-il poursuivi.
Bien que l’information n’ait pas encore été vérifiée, dans
le cas de l’affaire de l’Arche de Zoé, certaines sources suggèrent
que les enfants ont pu été confiés volontairement, auquel cas
l’inculpation pour enlèvement est difficile à prouver.
En revanche, une loi en matière de trafic humain couvre généralement
le recrutement illégal d’enfants auprès de parents « vulnérables
», susceptibles d’accepter de céder leurs enfants, n’étant
pas en mesure de s’occuper d’eux, a expliqué M. Ndiaye.
Une condamnation pour traite d’enfants autorise également les
autorités à saisir tout bien utilisé pour commettre le crime, a
ajouté M. Ndiaye, une mesure susceptible de décourager toute récurrence
future.
Retards de procédures
L’ONUDC plaide en faveur de lois nationales qui criminalisent le
trafic d’enfants depuis l’adoption par l’Assemblée générale
des Nations Unies, en 2000, du Protocole visant à prévenir, réprimer
et punir le trafic des êtres humains, en particulier des femmes
et des enfants.
Des enfants tchadiens dans un site pour les
familles déplacées par les combats dans l'est du Tchad.
Photo:
David Hecht/IRIN
Les conventions
et protocoles internationaux engagent les Etats qui les ratifient,
mais ces textes doivent être adoptés en tant que lois nationales
pour être mis en application.
Le Tchad n’a pas signé le Protocole, mais il est partie à
plusieurs autres conventions internationales ayant trait à la
traite des enfants, sous certains aspects. Il a notamment signé
un accord multilatéral et un plan d’action régional contre le
trafic de personnes, en particulier des femmes et des enfants, conçus
en 2006 par plusieurs entités régionales représentant l’Afrique
de l’Ouest et centrale.
Malgré tout, les accords régionaux et internationaux n’ont pas
été intégrés à la loi tchadienne.
« C’est une question de retards de procédures », a expliqué
à IRIN Pahimi Padacké Albert, ministre tchadien de la Justice.
« C’est en train d’être fait ».
Une commission de réforme judiciaire, inactive depuis plusieurs
années, a été relancée il y a deux mois et revoit à l’heure
actuelle l’ensemble des lois tchadiennes en vue d’intégrer
les conventions internationales au code pénal national, a-t-il
ajouté.
Si M. Albert estime qu’une loi en matière de traite d’enfants
« aurait pu être utile » dans le cas de L’Arche de Zoé, il a
néanmoins assuré que la loi actuelle permettait de gérer la
situation.
D'après l’ONUDC, l’affaire a mis en exergue un problème
répandu.
« De nombreux pays traînent à mettre en application ces
conventions, et en particulier celles qui concernent le crime
organisé », a observé M. Ndiaye.
Selon l’ONUDC, seuls deux des 11 pays d’Afrique centrale –
le Gabon et la Guinée équatoriale – disposent de lois spécifiques
contre la traite d’enfants.
En revanche, 13 des 16 pays d’Afrique de l’Ouest, où, par le
passé, les cas de trafic ont suscité une attention et des
pressions internationales accrues, ont promulgué cette législation.
L’ONUDC a mis en place plusieurs programmes d’assistance législative,
disponibles sur demande, pour aider les pays.
Opération de « sauvetage »
Les autorités tchadiennes ont arrêté neuf ressortissants français
– six membres de L'Arche de Zoé et trois journalistes, qui les
accompagnaient – à l’aéroport d’Abéché, alors qu’ils
tentaient d’emmener plusieurs enfants à l’aéroport
international de Vatry, quelque 150 kilomètres à l’est de
Paris, où 50 familles françaises attendaient, dit-on, de les
accueillir.
En plus d’avoir été inculpés d’enlèvement, ils ont également
été accusés d’escroquerie. Un chef de village tchadien ainsi
que sept ressortissants espagnols, membres de l’équipage du
charter qui devait emmener les enfants du Tchad vers la France ont
également été inculpés pour complicité. Un autre citoyen
tchadien, adjoint au préfet, est lui aussi impliqué dans
l’affaire, mais n’a pas encore été inculpé.
Au cours d’entretiens avec des représentants du Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, du Fonds des
Nations Unies pour l’enfance et du Comité international de la
Croix-Rouge (CICR), les enfants, en grande majorité, ont dit être
originaires de villages tchadiens proches de la frontière entre
le Tchad et le Soudan.
Ils y vivaient avec leurs familles, composées d’au moins un
adulte considéré comme leur parent, ont expliqué les agences,
le 1er novembre. Le CICR et les agences des Nations Unies
s’occupent actuellement des enfants, avec l’aide des autorités
tchadiennes.
L’Arche de Zoé a nié que les enfants aient été destinés à
être adoptés.
Les accusations « catastrophiques » de traite d’enfants, portées
par les autorités tchadiennes, ont provoqué la « colère » de
Stéphanie Lefebvre, secrétaire générale de l’association,
qui s’exprimait ainsi dans les pages du quotidien français Le
Parisien. L’enquête est en cours.
Copyright © IRIN
2007
Les informations contenues dans ce site web vous sont parvenues
via IRIN, un département d'informations humanitaires des Nations
Unies, mais ne reflètent pas nécessairement les vues des Nations
Unies ou de ses agences. Si vous réimprimez, copiez, archivez ou
renvoyez ce bulletin, merci de tenir compte de cette réserve.
Toute citation ou extrait devrait inclure une référence aux
sources originales. Toute utilisation par des sites web
commerciaux nécessite l'autorisation écrite d'IRIN. UN Office
for the Coordination of Humanitarian Affairs 2007.
|