Impressions de Russie
Villages Poutine
Hugo Natowicz
© Hugo Natowicz
Vendredi 19 novembre 2010
Ce qui frappe le plus avec la Russie, c'est le diapason des
opinions entourant ce pays: jamais un Etat n'aura été perçu de
façon aussi divergente.
Les changements en son sein sont souvent complexes а
appréhender. A la fois proche culturellement et dotée d'une
dynamique propre, un verre déformant semble distordre les
perceptions.
Pour certains, la Russie est la puissance montante du XXIe
siècle: dotée d'immenses réserves d'hydrocarbures, elle
s'annonce selon eux incontournable sur la scène internationale
si elle relève le "défi de la modernisation". Mais dans
l'imaginaire occidental, la Russie actuelle cumule les clichés
déplaisants. Aux yeux de l'écrasante majorité, c'est un Etat
mourant, agressif, inquiétant.
Cette disparité des opinions ne cesse de m'impressionner.
Certains expatriés endossent le rôle d'opposants systématiques
au régime, figés dans une critique pouvant aller jusqu'au délire
de persécution: une jeune femme m'avait ainsi assuré avoir été
suivie par les services secrets alors qu'elle se rendait à un
pique-nique près d'Ekaterinbourg.
Une infime minorité se crispe dans une attitude "pro-russe"
sans concessions, selon laquelle toute critique serait le fruit
d'une hostilité générale de l'occident contre ce pays. Signe que
le sujet est sensible, le simple fait d'avoir défendu trop
chaudement la Russie lors d'un débat m'a un jour valu d'être
catalogué parmi ces seconds par un grand journal français.
L'approche des médias en dit long sur notre vision.
Confrontés à la Russie, ces derniers se réfugient généralement
derrière un ton narquois, raillant tout événement positif si
tant est qu'ils cherchent à en rendre compte. En témoignent les
récentes avancées du pays dans le domaine écologique, passées
sous silence, et les initiatives menées dans ce domaine avec
l'aide de l'UE, qui ont obtenu une couverture presque nulle.
"Russie: ils meurent en faisant l'amour", "Russie: un toxicomane
tue sa mère à coups de couteau et la découpe", en revanche, se
vendent mieux.
La presse occidentale distille l'impression, en réalité très
ancrée dans notre inconscient, que l'on cache quelque chose en
Russie, et que la réalité est aux antipodes de que ce qui
paraît. Exemple maintes fois traité: les incendies de l'été
2010. Alors que journaux, blogs et internet foisonnaient
d'information, les médias français martelaient qu'un black-out
médiatique avait été orchestré par les autorités, en réalité
complètement dépassées, le pouvoir russe cherchant cacher à tout
prix la réalité.
Claire tentative de réveiller chez le lecteur les
réminiscences de l'époque soviétique, ce qui passait également
par des rappels incessants de Tchernobyl, et d'une ribambelle de
clichés. Dans un autre registre, toute initiative démocratique
de Medvedev est systématiquement taxée de "rideau de fumée" ou
de "poudre aux yeux", même si elle correspond à une prise de
conscience ou une avancée, aussi modeste soit-elle.
C'est qu'à défaut d'appréhender la Russie d'un œil neuf, il
est commode de raccrocher ce pays au convoi de nos idées reçues,
héritées du passé, comme en atteste cet élégant "Poutine, ancien
chef du FSB (ex-KGB)" pioché dans la presse française. Pris en
flagrant délit d'aveuglement pendant l'URSS, les intellectuels
français semblent tenir leur revanche: redresseur des torts de
la Russie moderne, le journaliste apporte sa lumière à un peuple
russe dupé par le Kremlin.
Quoi qu'elles entreprennent, les autorités du pays seront
accusées de mettre en scène quelques succès de façade à grands
renforts de propagande, tandis que le chaos continue de régner
dans le reste du pays. C'est que les "Villages Poutine",
reconstruits en un temps record après les incendies sous l'œil
des webcams, en rappellent d'autres: les Villages Potemkine. Ces
villages idéaux érigés en Crimée afin de tromper l'impératrice
Catherine II sur l'état de son empire, symbolisent à eux seuls
le complexe jeu de mirages qui entrave la perception de cet
immense et déroutant pays.
La Russie trompe en raison de sa proximité culturelle et
charnelle avec l'Europe. Cette dernière ne pardonne pourtant pas
les ruptures qui ont poussé Moscou à suivre sa voie propre. Le
schisme de 1054, lors duquel l'église d'orient refusa de se
soumettre à sa consœur d'occident, a empoisonné les relations
pendant des siècles et conféré une dynamique de défiance
profonde aux relations.
Mais le fossé le plus violent s'est creusé peu après la chute
de l'URSS: censée rejoindre le monde libéral et ses valeurs,
Moscou rejetait, sous l'impulsion du président d'alors Vladimir
Poutine, l'appel de l'occident. Un nouveau décrochage dont les
conséquences sont loin d'être épuisées.
Et pourtant, le pays évolue. La société connaît des mutations
rapides que le pouvoir ne cherche pas uniquement à réprimer sur
le modèle nord-coréen ou chinois, mais aussi à comprendre voire
à accompagner. Ce qui nous vexe, c'est peut-être cette
indépendance de destins: ici ce n'est pas comme en Occident,
mais ça ne sera jamais plus comme avant. C'est avec cette idée
en tête qu'il convient peut-être d'appréhender la Russie
actuelle.
© 2010 RIA Novosti
Publié le 23 décembre 2010
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