Mohamed Merah
voulait collaborer avec la police
Hicham Hamza
Vendredi 23
novembre 2012
Rebondissement. En annonçant avoir
déposé plainte contre M6, Souad Merah a
révélé de nouveaux éléments
d’information à propos de son frère.
Décryptage.
La cause est
entendue : depuis les évènements de
Toulouse-Montauban, l’homme présenté par
la police et les médias comme le seul
coupable de sept meurtres aurait cultivé
une haine à l’encontre de la France. Ce
récit a été consolidé par le
documentaire controversé de
Mohamed Sifaoui, récemment diffusé
par M6 : selon le fils Abdelghani et le
journaliste algérien, la famille Merah
était viscéralement antisémite et
hostile aux institutions policières et
militaires du pays. Problème : un
nouveau témoignage contredit cette
version des faits.
S’estimant piégée par l’équipe de M6
qui l’a enregistré à son insu, Souad
Merah vient de déposer
plainte contre la chaîne du groupe
allemand
Bertelsmann, le coproducteur Mohamed
Sifaoui et son frère Abdelghani. La
« fierté » déclamée par Souad Merah
faisait allusion, selon son avocat, à la
« combativité » de Mohamed
Merah lors de l’assaut du RAID -non aux
crimes qui lui sont imputés.
Quoiqu’il en soit, Souad Merah a
révélé incidemment, lors de ses
entretiens avec I Télé et Le Point, une
information inédite à propos de son
frère défunt.
Mardi, la chaîne I Télé a diffusé son
interview réalisée par l’agence Tony
Comiti : à la fin de l’entretien, la
sœur de Mohamed Merah affirme (à 2’25)
que celui-ci était disposé à «
travailler » avec les services de
renseignement français. Dans la voiture
qui le dépose à son rendez-vous,
mi-novembre 2011, avec l’antenne locale
de la DCRI, Merah, de retour du
Pakistan, révèle à sa sœur qu’il est
prêt à collaborer avec la police.
Mercredi, lors de
son entretien avec
Le Point, Souad Merah a également
affirmé que leur frère Abdelkader,
présenté désormais comme un antisémite
forcené, avait tenté, dans le passé, de
se convertir au judaïsme. Quant à la
DCRI, la sœur confirme au journaliste le
désir de Mohamed de travailler
secrètement avec les fonctionnaires
chargés,
entre autres, d’infiltrer les
réseaux djihadistes. En outre, la
proximité « amicale » de
celui-ci avec un officier de police lui
aurait été révélée par son ex-épouse.
« Quelques jours après le retour
de son second voyage au Pakistan, j'ai
reçu un appel d'un un homme se
présentant comme un officier de police
et qui cherchait à joindre Mohamed. Je
lui ai répondu qu'il était hospitalisé.
Plus tard, Mohamed l'a rappelé
pour prendre rendez-vous avec lui.
Quelques jours après cet appel, j'ai
déposé mon frère qui était convoqué rue
du Rempart-Saint-Étienne (le siège de la
Direction régionale du renseignement
intérieur, NDLR). Dans la voiture, il
m'a dit : "S'ils me proposent de bosser
pour eux, je bosse pour eux." Je lui ai
dit : "Tu vas devenir une balance ?" Il
ne m'a pas répondu. Mais à son retour de
l'entretien, il m'a dit qu'on lui avait
"seulement posé des questions sur ses
voyages".
Après la mort de Mohamed, la
jeune femme avec laquelle il s'était
marié religieusement m'a raconté avoir
surpris plusieurs conversations
téléphoniques entre cet officier de
police et mon frère. Le ton de leurs
conversations était amical. »
A ce jour, la Direction centrale du
renseignement intérieur -qui avait
curieusement tenu ses agents locaux
à l’écart lors de l’enquête sur les
tueries- dément avoir recruté Mohamed
Merah comme
informateur. Pourtant, une note
interne, rédigée le 21 février 2012 et
dévoilée le 31 octobre par
Libération, indique que Merah
«pourrait présenter un intérêt pour
notre thématique en raison de son profil
voyageur ». En clair, le jeune
homme était vu, selon le QG du
Renseignement basé à Levallois-Perret,
comme une recrue potentielle et
susceptible d’être « immatriculé »
pour infiltrer la mouvance intégriste.
D’après une
source judiciaire, un tel avis est
stupéfiant de la part de la DCRI : «
«Soit c’est de l’incompétence, soit il y
avait autre chose derrière».
Une photo censurée
Autre élément intrigant : comme l’a
révélé
Libération le 8 novembre, la photo
de vidéo-surveillance d’un homme «
«grand, baraqué, au teint cuivré »
aperçu avec Mohamed Merah avant son
départ -en août 2011- au Pakistan ne
figure pas dans le dossier fourni par la
DCRI à la justice. Pourquoi cette
rétention ? S’agit-il d’un membre
présumé d’une cellule terroriste, d’un
indicateur de la police ou de l’officier
traitant de la DCRI?
En juillet, Oumma avait déjà
souligné, lors de la mise en ligne de
notre
dossier spécial consacré à l’affaire
Merah, que ce policier, dénommé ou
surnommé
Hassan Loubane, avait été décoré,
contre toute attente, de la Légion
d’honneur. Le 20 octobre, le quotidien
toulousain
La Dépêche indiquait, sans en donner
l’explication, que cet «agent
traitant a été muté sur un territoire
d’outre-mer ». Une récompense
prestigieuse suivie, en l’espace de six
mois, d’une sanction : jamais policier
n’aura connu publiquement une telle
différence de traitement en un temps
aussi court. Pourquoi l’Etat, dirigé
alors par le clan sarkozyste,
voudrait-il honorer le travail d’un
fonctionnaire avant de l’éloigner, sitôt
arrivée une nouvelle majorité au
pouvoir, aux confins de son territoire ?
Selon des sources policières qui se
sont entretenues avec
l’AFP, le policier aurait été muté
« pour des raisons de sécurité ».
De quelle « sécurité »
s’agit-il là ? Celle relative à son
intégrité physique, menacée par
d’obscurs djihadistes revanchards et
proches de Mohamed Merah ? Ou bien celle
désignant un quelconque
secret d’Etat, faisant de l’affaire
Merah une potentielle menace - à terme-
pour les « intérêts fondamentaux de la
Nation » ?
Ayant mené son enquête parallèle,
Zahia Mokhtari, l’avocate algérienne du
père de Mohamed Merah, affirme pour sa
part, dans un
entretien paru le 21 octobre, que
l’officier traitant de Merah, qui
s’appellerait en réalité « Hassan
Ben Rahou », a été envoyé en «
Calédonie sur une décision de la
préfecture ».
Au-delà de la concordance de ces
témoignages disparates, une seule chose
est certaine à ce stade : l’homme de la
DCRI en charge de Merah a été
soudainement muté en outre-mer pour
d’obscures raisons. Seule une
enquête indépendante permettrait de
lever une partie du voile à ce sujet.
« Crime parfait »
Et alors que la focalisation
médiatique se concentre sur son rôle
exact vis-à-vis de Mohamed Merah, une
collègue de ce policier traitant est
passée totalement inaperçue depuis le
début de l’affaire : son nom est Magali
Bouclier. Elle
aussi a reçu la légion d’Honneur
pour son travail en amont : cette
policière d’encadrement, basée à
Levallois-Perret, était l’une des deux
personnes envoyées par le DCRI pour
faire un « débriefing » de
Mohamed Merah à son retour du Pakistan.
C’est donc sous son autorité que la note
interne faisant état d’un « intérêt
» pour le jeune homme, jugé
inoffensif, a été rédigée. Il est
impossible de savoir, de source sûre, si
Magali Bouclier a été également
sanctionnée d’une quelconque manière par
la
nouvelle direction installée à la
tête de la DCRI. Un élément
d’information est pourtant intéressant à
son sujet : en octobre 2009, la
policière qui recommanda, par la suite
et contre toute logique, d’abandonner la
surveillance de Merah entretenait alors
de curieuses ambitions littéraires. Sur
le site de l’écrivain Martin Winckler,
elle fit paraître un
court texte intitulé « Crime
parfait ». Particulièrement
machiavélique, l’histoire, introduite
comme un document administratif de la
police, est rétrospectivement troublante
: en résumé, il s’agit de faire endosser
un crime à un innocent « manipulable
» à la « personnalité fragile »
et à « l’enfance malheureuse ».
Deux ans après la publication de son
récit, la fiction commence à prendre
chair : Magali Bouclier rencontrera à
Toulouse un jeune homme au profil
similaire à celui de son coupable idéal
et imaginaire.
Publié le 24
novembre 2012 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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