Opinion
Discours de M.
Hollande au Mali ou les accents de
l'Empire
Hélène
Claudot-Hawad
Dimanche 3 février
2013 Le 2 février
2013, Monsieur Hollande fait une visite
triomphale au Mali. Les images de la
foule en liesse agitant les drapeaux
tricolores français et malien à Bamako,
Tombouctou et Gao, sont à la Une de
toute la presse nationale et
internationale. Mais de quel Mali
s’agit-il ? Le président français évoque
l’amitié franco-malienne et exprime sa
reconnaissance aux troupes africaines
qui seraient accourues notamment pendant
la deuxième guerre mondiale pour aider à
la libération de la France.
Manier la carte de la "liberté" et de sa
reconquête face à des forces oppressives
est un thème on ne peut plus ambigu dans
ce contexte, car une telle idée ne peut
être avancée ici qu’au prix d’une
amnésie monumentale : celle de
l’asservissement colonial de l’Afrique
de l’Ouest par la France, à l’aide de
ces troupes dites de "tirailleurs
sénégalais", le "Sénégal" et le "Mali"
n’étant pas alors des entités séparées.
Le noyau de ces troupes était formé de
soldats bambaras, comme l’est
aujourd’hui l’armée malienne,
descendante directe des tirailleurs
sénégalais rappelés d’Algérie au moment
de la création de l’État du Mali en
1960. Ces troupes ont été constituées
pour les besoins exclusifs de la
colonisation française et c’est pourquoi
elles ont été mobilisées, plutôt de
force que de gré, pendant les deux
guerres mondiales, toujours au service
de la France. Aucune notion ni de libre
arbitre ni de "liberté" ni de droits de
l’homme à protéger dans l’enrôlement des
tirailleurs sénégalais : seulement une
solde à taux bas - colonisation oblige -
pour servir de chair à canon à la
France.
Les remerciements enflammés et émus de
M. Hollande envers ces troupes de
sinistre mémoire en Afrique de l’Ouest,
des troupes qui avaient la licence des
autorités françaises pour des pratiques
inhumaines afin de créer la terreur et
de décourager tout soutien de la
population à ceux qui résistaient à la
domination de leur pays, crée un
véritable malaise. Ce discours
disqualifie ceux qui au contraire ont
fait l’honneur de l’Afrique,
c’est-à-dire les résistants à la
colonisation et leurs successeurs qui,
jusqu’à aujourd’hui, essaient de faire
entendre leurs voix pour contester les
États dictatoriaux mis en place pour
servir l’ancienne puissance coloniale,
des régimes qui ne respectent ni les
droits de l’homme, ni les règles
démocratiques les plus élémentaires, ni
les peuples qui leur ont été livrés sans
leur assentiment, des régimes que M.
Hollande est en train de rétablir dans
leurs fonctions régaliennes. Tandis que
les troupes maliennes, à peine
réinstallées par l’armée française, se
sont déjà et de nouveau livrées à des
exactions contre les civils touaregs et
maures "à peau claire", catégorie
raciale et raciste héritée de la France
coloniale et entretenue par les
autorités maliennes en butte aux
revendications politiques du nord, ce
discours donne licence à la poursuite de
l’épuration communautaire puisque, comme
l’affirme M. Hollande, les "terroristes"
sont encore là et que l’action doit être
poursuivie. Mais laquelle ? Les
exécutions sommaires de civils touaregs
et maures (amalgamés à des "terroristes"
à cause de la couleur de leur teint),
par l’armée et les milices
para-militaires qui reprennent du
service et dont pas un mot n’a été dit
de manière explicite, alors que les noms
des victimes et de leurs bourreaux sont
connus ? La destruction des maisons et
le pillage des biens des citoyens à peau
rouge, par des miliciens jamais
inquiétés par le pouvoir ? M. Hollande,
se contentant de généralités et de
principes abstraits, déclare faire
confiance aux autorités maliennes pour
qu’il n’y ait pas de pogroms, alors même
qu’ils ont commencé et que certains
responsables maliens, toujours en poste
à Bamako, les ont encouragés.
A Tombouctou, les autorités maliennes
ont eu l‘idée baroque d’offrir au
Président français un chamelon harnaché
d’une selle touarègue. Mal à l’aise, M.
Hollande a tenté de toucher l’animal,
mais avant même que sa main n’effleure
la tête du chamelon, il l’a retirée avec
frayeur. Avec ses cris de détresse ou de
rage, le petit chamelon, privé de sa
mère et de ses horizons, est une
extraordinaire allégorie de l’Azawad
entravé, livré pieds et poings liés aux
forces qui, à plusieurs reprises, ont
essayé d’exterminer son espèce, et
offert comme un trophée à exhiber au zoo
de Vincennes.
Pris au jeu éphémère de la popularité
facile et ne flattant que l’héritage
colonial du Mali (en contradiction
d’ailleurs avec la logique apparente de
son discours d’Alger), Monsieur Hollande
a déclaré que ce jour du 2 février 2013
était le plus important de sa carrière
politique : c’est pourtant clairement le
jour où il a endossé le costume d’une
France qui soutient les régimes et les
territoires taillés sur mesure pour
servir les intérêts de l’Empire et qui
disqualifie les peuples réclamant le
droit de vivre dignement sur le
territoire de leurs ancêtres.
Hélène Claudot-Hawad
3 février 2013
Le dossier Afrique noire
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